Quand, dans le cadre d'un salon professionnel ou dans les pages de la presse spécialisée, on parle de fret sur le territoire européen, on évoque surtout le fret maritime et routier. L'acheminement de marchandises par voie ferrée n'occupe qu'une place modeste dans ces discussions. Pour la France, la tendance est semblable. Et pour cause.
Premièrement, il est naturel pour un pays «maritime» comme la France de développer ses infrastructures portuaires et d'en faire des centres névralgiques de tri. Deuxièmement, depuis plusieurs années, les collectivités territoriales, l'État, SNCF Réseau et les chargeurs débattent de l'avenir des lignes ferroviaires françaises, avec un écart qui se creuse entre les lignes «dernier cri de la technologie» et les petites dessertes locales laissées en déshérence.
«Nous exhortons en permanence nos partenaires européens à organiser un projet commun sur la rapidité de livraison, similaire à celui mis en œuvre en Russie: "Transsibérien en 7 jours"», annonce à Sputnik Alexeï Grom.
Il s'agit d'un projet ambitieux qui permet de parcourir 9.000 kilomètres depuis la frontière orientale russe jusqu'à la frontière occidentale, qui a été lancé par les Chemins de fer russes en fin 2011 pour un coût de 57.850 millions de roubles (740 millions d'euros). À cette époque, le trafic de transit sur le chemin de fer transsibérien était de 18.000 EVP (Equivalent Vingt Pieds, unité approximative de mesure de conteneur que l'on utilise pour simplifier le calcul du volume de conteneurs dans un terminal ou dans un navire). Selon les estimations des analystes de la Compagne russe de fret conteneur, ce trafic a atteint 277.000 EVP au cours de l'année écoulée.
«Nous roulons aujourd'hui, sur le réseau avec un écartement de 1.520 mm, dit "russe", plus de 1.000 km par jour et proposons aux Européens de lancer un projet similaire, précise Alexeï Grom. Par exemple, on pourrait atteindre toute capitale européenne depuis le centre de triage de Małaszewicze à la frontière polonaise en moins de 24 heures. Je pense que ça ferait la preuve d'une bonne entente dans le cadre de relations entre partenaires: adhérer à l'initiative des pays du réseau 1.520 mm et le rendre le plus compétitif sur notre espace eurasien».
Bien que ses partenaires européens aient annoncé il y a trois ans que «le fret européen est au bout de ses capacités», UTLC-ERA s'est fixé comme objectif d'augmenter le nombre des conteneurs sur la route Chine-Europe jusqu'à un million par an vers 2025. «À ce moment-là, on nous a dit sceptiquement: "Messieurs, la limite est de 300.000 conteneurs sur cette route!"», précise le président de la compagnie russo-biélorusso-kazakhe.
«Cependant, l'année dernière, le volume du trafic de marchandise entre l'Europe et la Chine a dépassé 370.000 conteneurs, dont 76% ont été transportés par le service UTLC ERA, s'enorgueillit Alexeï Grom. Le point de triage Brest —Małaszewicze a tenu bon, il a même une petite marge de sécurité.»
Le président d'UTLC-ERA explique à Sputnik qu'«habituellement, on parle de "capacités insuffisantes" du point de triage Brest- Malashevichi.» Mais comme aujourd'hui Brest (l'ancienne Brest-Litovsk, en Biélorussie) termine la modernisation de son terminal, cela lui permettrait de doubler sa capacité, et «dorénavant, il n'est plus un obstacle.»
«Il me semble que nous avons réussi à faire comprendre à nos partenaires et nos voisins que ce transit est bon pour tous, qu'il est dans l'intérêt des entreprises et des pays par lesquels il passe, assure Alexeï Grom. Ainsi, on a de moins en moins de "maillons faibles", puisque la technologie et les communications se développent.»
«Tous les pays doivent se développent de manière synchronisée. Nous devons déterminer les volumes à atteindre, sans oublier que le volume de trafic entre l'Europe et l'Asie avoisine les 23 millions d'EVP, rappelle Alexeï Grom. Cette marchandise existe déjà, il faut juste la transporter. On doit conjointement proposer un ensemble solutions de marketing, de contrats, de technologies et d'infrastructures, de sorte qu'une partie de cette marchandise puisse être transportée par chemin de fer de manière compétitive et confortable pour le client.»
Le président d'UTLC-ERA donne des chiffres: en 2018, sa société a presque doublé le volume de trafic entre l'Europe et la Chine pour désormais atteindre 122.000 EVP. «Ce volume augmente chez tous les transporteurs, insiste Alexeï Grom. La Chine figure parmi les cinq principaux consommateurs des produits de luxe. Pour de nombreuses entreprises européennes du secteur du textile ou de l'alimentation, il s'agit d'un marché énorme.» Et le chef de la compagnie russo-biélorusso-kazakhe insiste sur son rôle ambitieux:
«Quand je faisais mes études à l'institut, on nous disait que la mer serait toujours trois fois moins chère que le chemin de fer, se souvient Alexeï Grom. Mais une partie fondamentale de la logistique est en train de changer, c'est nous qui la changeons. Je ne pense pas que le chemin de fer deviendra un jour moins cher que la mer, mais l'écart devient moins important».
Le projet que le patron d'UTLC-ERA veut «intégrant» et qui relie les extrémités de deux continents ne peut pas vivre en dehors de l'actualité politique. Mais son impact est moindre qu'on ne l'imagine:
«Le changement récent de pouvoir au Kazakhstan n'affectera pas le succès du projet, assure Alexeï Grom. Le développement de la "Route de la soie" moderne est leur direction clé, la probabilité que Kazakhstan se retire est nulle. Il faudrait, au contraire, envisager de nouvelles perspectives et de nouveaux points de croissance.»
Le «pont» que la compagnie UTLC-ERA propose d'installer à travers les 9.000 km de chemins de fer pour le «fret rapide» s'appuie sur ses deux extrémités. D'un côté, la Chine, où le transporteur russe attend «non seulement le soutien gouvernemental, mais aussi celui des entreprises qui travaillent dans ce secteur»:
«Notre projet rapproche nos pays, nos entreprises et nos gens, affirme à Sputnik Alexeï Grom. Nous attendons de la Chine la même chose que de la Russie, du Kazakhstan, de la Biélorussie: plus d'implication, plus de numérisation, ainsi que la réduction des barrières bureaucratiques et la simplification des formalités de transit pour le client.»
C'est un message pour l'Europe, à l'autre extrémité du «pont ferroviaire» et une tâche de plus pour les acteurs des chemins de fer français, qui débattent actuellement avec les collectivités territoriales de l'entretien et de la sécurité des voies classées dans les catégories 7 à 9 UIC (les lignes ferroviaires sont classées de 1 (fort trafic) à 9 (faible trafic) par l'Union internationale des chemins de fer). Et c'est ce réseau capillaire de petites voies locales qui assure aujourd'hui 20% du fret et qui devra prendre en charge ce prochain surcroît de trains de marchandises venu de l'Asie…