«L'Europe échoue depuis des années à ce test d'humanité», selon un responsable de MSF

© REUTERS / Stefano RellandiniDes migrants
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L'UE a suspendu son activité de sauvetage de migrants au large de la Libye faute d'avoir pu se mettre d'accord sur les pays qui accueilleraient les réfugiés après leur arrivée sur le territoire européen. Les ONG sont également très restreintes dans leur travail de sauvetage.

Le quotidien Izvestia a interrogé Florian Westphal, directeur général de Médecins sans frontières en Allemagne, pour déterminer ce qui se passe actuellement en Méditerranée et dans les camps de réfugiés en Libye, et s'il reste des pays où les notions d'humanité prévalent sur les intérêts politiques.

La crise migratoire, que la presse évoquait pratiquement tous les jours en 2015, a cessé depuis longtemps d'être au centre de l'attention des médias internationaux. Peut-on dire qu'elle touche à sa fin?

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«Premièrement, il faut noter que la composante européenne de la crise migratoire mondiale a toujours été très réduite par rapport à ce que nous observons dans d'autres régions. Par exemple, rien que l'Ouganda a accueilli en 2016 plus de réfugiés du Soudan que toute l'Europe en Méditerranée.

Deuxièmement, l'attention des médias pour les événements en Méditerranée a effectivement diminué. Cela est dû à la réduction significative du nombre de bateaux de sauvetage et d'organisations qui parlaient de la situation des migrants à la première personne, ainsi qu'au fait que de plus en plus d'individus recueillis en mer aussi bien par la garde côtière libyenne que par les navires commerciaux sont renvoyés dans des camps sur le territoire libyen. Ils s'y retrouvent dans des conditions vraiment terribles de détention, incluant de multiples abus, l'exposition aux maladies et la famine. C'est pourquoi le thème des réfugiés est sorti de l'ordre du jour des médias européens.

Mais tout le monde n'a pas perdu son intérêt pour ce thème. Il existe encore des gens en Allemagne qui ne sont pas prêts à accepter la politique des gouvernements européens consistant à renvoyer les réfugiés en Libye».

La partie maritime de l'Opération Sophia (EUNAVFOR Med), qui a permis de sauver depuis 2015 presque 50.000 personnes en mer, a été définitivement fermée. Les pays de l'UE ne font que patrouiller dans les airs au-dessus de la Méditerranée. La situation a évolué ainsi parce que l'UE n'a pas réussi à s'entendre pour savoir qui accueillerait les migrants sauvés en mer. Quelles pourraient en être les conséquences?

«Malheureusement, la décision de mettre un terme à la partie maritime de l'Opération Sophia en Méditerranée est un nouveau pas de la politique européenne qui s'est toujours focalisée en priorité sur la fermeture de l'accès à l'Europe. Pendant toutes ces années, les autorités des pays de l'UE se fixaient pour objectif prioritaire uniquement de retenir au maximum les gens, en acceptant tranquillement le fait qu'à cause de cette politique les gens se noyaient en mer ou subissaient les horreurs d'une longue détention dans les camps de réfugiés libyens. La suspension de la partie maritime de l'opération est un autre indicateur du fait que l'Europe ne se préoccupe pas du tout des gens qui meurent en mer.

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Nous avons toujours dit que la recherche et le sauvetage en Méditerranée n'avaient rien à voir avec la politique: il s'agit de sauver la vie de gens qui, dans le cas contraire, vont se noyer. Et cette activité humanitaire relève uniquement de l'UE et de ses pays membres. Les ONG ne devaient pas l'assumer. Mais nous et d'autres ONG avons pris en charge les opérations de sauvetage parce que les gouvernements de l'UE faisaient preuve d'irresponsabilité dans le sauvetage de vies humaines».

Avez-vous essayé de comprendre la position des pays européens qui ne veulenent pas accueillir des migrants?

«Quand un accident de la route se produit et qu'une ambulance est appelée pour porter secours à une victime, personne ne se demande si cet individu est bon ou mauvais, s'il a traversé la route au mauvais endroit et s'il n'a pas provoqué cet accident en agissant ainsi. L'ambulance sauve simplement l'individu parce que c'est le travail des médecins. Le sauvetage en mer, c'est la même chose.

Prenons l'exemple du navire de croisière norvégien, couvert par toute la presse (le 23 mars, le navire de croisière Viking Sky transportant 1.373 passagers a été frappé par une tempête au large de la côte Ouest de la Norvège et a failli percuter les rochers sous l'eau). Personne ne s'est demandé si le capitaine avait commis une erreur. Dans un premier lieu, on a sauvé les gens parce que c'était tout simplement la chose juste à faire et qu'il ne peut y avoir deux points de vue.

C'est la même chose avec les migrants. Sauvez d'abord, puis examinez individuellement chaque cas concret pour savoir qui a le droit ou non de prétendre au statut de réfugié. Mais on ne peut pas condamner les gens à la mort tout simplement parce qu'on ne sait pas à l'avance si l'individu fuit à cause de la guerre ou pour des raisons économiques. On peut découvrir cela au stade suivant».

Depuis le début de la crise migratoire, les réfugiés sont devenus pour l'Europe l'objet de débats enflammés pour savoir qui devait les accueillir. Il y avait et il y a une volonté très claire de, si je puis dire, déléguer ce problème en créant des camps pour migrants hors de l'UE. Reste-t-il aujourd'hui au moins un pays d'Europe qui placerait les notions d'humanisme au-dessus des notions politiques?

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«Malheureusement, non. Je suis d'Allemagne et je pense que nous avons vu une grande manifestation de solidarité en 2015 tant bien de la part du gouvernement que, surtout, de la société allemande. Mais, malheureusement, la politique du gouvernement a foncièrement changé depuis, pour prendre la direction opposée.

L'absence de solidarité se remarque surtout sur l'exemple de la Grèce. La situation y est catastrophique: tout l'hiver les gens vivent sous des abris plastiques, sans confort, sans eau, sans aide médicale. Et cela se produit sur le territoire de l'UE — la plus riche association d'intégration du monde. Elle observe tranquillement l'horreur qui se produit dans un État de l'Union qui dispose de tous les moyens nécessaires, d'équipes de médecins et d'experts — c'est-à-dire de tout pour renverser la situation. Mais l'UE préfère ne pas le faire.

Le fait est aussi qu'au sein même de l'UE, les pays comme la Grèce restent pratiquement seuls face à ce fardeau. Certes, le gouvernement grec n'a pas dûment réagi à ce défi, mais il n'a pas non plus obtenu un soutien conséquent des pays de l'UE pour apporter aux gens arrivés sur ses îles le respect de la dignité humaine, les conditions que mérite chaque personne sur Terre.

Par conséquent, malheureusement, l'Europe échoue depuis des années à ce test d'humanité élémentaire».

Pour la plupart des observateurs extérieurs, les réfugiés sont une masse non personnifiée de visiteurs qui ne sont pas les bienvenus. Mais parfois, une histoire particulière est capable de bouleverser les cœurs de millions de gens — comme ce fut le cas, par exemple, avec les frères Aylan et Ghalib Kurdi dont les corps ont été apportés par la mer avec celui de leur mère en septembre 2015 sur la côte de la ville turque de Bodrum, et un navire de sauvetage a été baptisé en leur nom. Y a-t-il une histoire humaine qui vous a le plus bouleversé personnellement durant vos années de travail chez MSF?

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«Les histoires qui m'ont personnellement bouleversé sont nombreuses… L'an dernier, à Lesbos (île grecque où sont apparus les premiers camps de réfugiés), j'ai rencontré un Afghan qui vivait dans une moitié de conteneur avec sa femme et quatre enfants, tous ayant moins de 11 ans. Autrement dit, tous les cinq vivaient depuis plusieurs mois dans environ 10 m². Mais ces conditions n'étaient pas mauvaises par rapport à d'autres… Cet homme m'a raconté comment durant sa traversée via l'Iran et la Turquie sa femme était constamment violée, qu'il ne pouvait rien y faire, comment cela avait traumatisé toute sa famille. Certes, les enfants ne comprenaient pas très bien ce qui se passait, mais ils voyaient que quelque chose s'était brisé entre leurs parents. Et quand nous parlions il a dit: ma propre vie ne m'intéresse plus vraiment, mais je veux que mes enfants aient un avenir. Je veux qu'ils puissent tranquillement sortir de chez eux, marcher dans la rue et revenir sans avoir à être inquiets à chaque fois.

Mon propre fils a 11 ans. Je comprends parfaitement ce que voulait dire cet Afghan. Et je pense que tout le monde comprendra — nous sommes tous des gens et des parents, nous voulons tous un minimum de sécurité, que nos gouvernements nous garantissent cette sécurité. Nous avions bien plus en commun avec les migrants et les réfugiés que nous ne sommes prêts à l'admettre».

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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