NB: Cette interview a été réalisée avant la déclaration du Chef d'État-Major algérien, Ahmed Gaïd Salah, en date du 26 mars 2019, dans laquelle il recommandait de déclarer M. Abdelaziz Bouteflika inapte, en application de l'article 102 de la Constitution.
Originaire de Mostaganem, dans le nord-ouest de l'Algérie, Abdelhamid Si Afif est un universitaire spécialiste de sciences politiques et de relations internationales, qu'il a enseignées à l'université d'Alger. De dirigeant local, au niveau de son département, il gravit les échelons pour se retrouver, des années plus tard, membre de l'instance dirigeante du parti, récemment instituée après le départ du secrétaire général Djamel Ould Abbes. En 2019, il est à son troisième mandat de député, en même temps qu'il est le président de la commission des Affaires étrangères, au sein de l'Assemblée populaire nationale.
Sputnik: Peut-on d'abord recueillir votre impression quant à la feuille de route proposée par l'opposition, avec une transition ne dépassant pas les six mois et l'instauration d'une instance présidentielle?
Leur proposition, qui est extra-constitutionnelle et donc politique, ne peut être acceptée par personne. Le mouvement populaire ne peut pas se mettre à la disposition de cette opposition. L'Algérie a connu une période similaire dans les années 1990, avec la mise en place d'un Haut Comité d'État (HCE). Ils veulent, trente ans après, nous faire revenir à la case départ. Il me semble que c'est une proposition qui ne tient pas la route. C'est une tentative qui connaîtra la même fin que les autres qui ont été faites par cette opposition, qui sur le plan électoral ne représente qu'une partie très limitée de l'électorat.»
Sputnik: Sur la représentativité, l'opposition invoque le fait que les dés sont pipés en amont du processus électoral…
Abdelhamid Si Afif: «Oui, on connaît la chanson! On a à faire à des formations politiques qui n'ont pas les moyens humains de contrôler les bureaux de vote, pas suffisamment de militants pour contrôler l'acte électoral, conformément à ce qui est prévu par la loi électorale. D'ailleurs, plusieurs partis étaient souvent obligés de s'appuyer sur des militants appartenant à d'autres formations, notamment le FLN.»
Sputnik: Vous parliez d'une proposition pour servir leurs propres objectifs. Quel serait selon vous leur objectif? Écarter M. Bouteflika du pouvoir?
Donc, vous voyez, ils refusent même la Constitution! Il me semble que ce qui est actuellement proposé par le Président de la République s'inscrit dans un souci de sauvegarder l'État et ses institutions. Alors qu'eux veulent mettre à nu l'ensemble des institutions, affaiblir l'État, pour pouvoir arriver à leurs fins. C'est inadmissible et aucun Algérien ne peut accepter cela.»
Sputnik: Vous disiez que le Président Bouteflika est le Président légitime jusqu'au 28 avril. C'est-à-dire que vous convenez qu'au-delà du 28 avril, il ne serait plus le Président légitime?
Abdelhamid Si Afif: «Je parlais du point de vue de la Constitution. Eux, ils ont proposé des solutions politiques. Le Président a également proposé des solutions politiques extra-constitutionnelles. Pourquoi les croire eux et pas celui qui est le garant de la stabilité et de la continuité des institutions de l'État, tout en prenant en charge ce souci d'aller vers plus de démocratie et de transparence?
Il me semble que cette feuille de route [présidentielle, ndlr] a plus de garanties d'être réalisée. Si elle doit prendre une année pour mettre en place cette conférence nationale qui regroupera toutes les forces politiques, quelle que soit leur nature, pour discuter ensemble autour d'une table pour sortir avec un projet de société qui doit aboutir à une révision radicale de la Constitution. Pourquoi ont-ils peur de cela? Ils n'ont qu'à se mettre autour d'une table et à apporter leur plus-value au débat pour sortir avec une Constitution consensuelle. À partir de là, on pourra aller vers la mise en place d'une commission indépendante d'organisation et de contrôle des élections. Je ne vois pas pourquoi ils rejettent la proposition politique du Président, et ils soumettent leur propre feuille de route extra-constitutionnelle.»
Abdelhamid Si Afif: «Comme d'ailleurs le mouvement populaire a rejeté que l'opposition s'approprie son mouvement! Mais vous savez, ce mouvement populaire est composé de plusieurs segments. Il en y a qui ont des revendications politiques, ce qui est légitime. Il y a ceux qui véhiculent des revendications socioprofessionnelles, et qui sont nombreux. Ceux qui alimentent ces mouvements, ce sont les partis de l'opposition.
Il y a ensuite un grand mouvement que nous avons connu dans les années 1990 qui est aussi de la partie [allusion aux islamistes, ndlr]. Il n'y a pas un mouvement homogène, donc. C'est un ensemble de préoccupation et de mouvements. L'opposition a réellement peur de ne pas retrouver sa place si le vrai mouvement, en dehors de l'opposition, va présenter sa feuille de route. Ce qui n'a pas encore été fait jusqu'à maintenant.»
Sputnik: Vous évoquiez le fait que leur proposition est extra-constitutionnelle. Mais c'est le Président qui a eu la primeur des propositions extra-constitutionnelles, avec la prolongation de son mandat…
Abdelhamid Si Afif: «C'était une proposition extra-constitutionnelle du Président, avec des garanties. Alors que l'opposition présente une feuille de route extra-constitutionnelle, mais croyez-moi, que les garanties ne sont pas réunies.»
Sputnik: Est-ce que ce mouvement populaire que connaît le pays depuis le 22 février a été une surprise pour vous, au FLN?
Abdelhamid Si Afif: «Il y a eu beaucoup de mouvements socioprofessionnels. Les avocats ont manifesté bien avant. Les médecins, aussi, pendant toute l'année 2018. Beaucoup de manifestations, aussi, de la part des syndicats autonomes de l'Éducation nationale, et ils sont nombreux. Ce sont plus de 400.000 enseignants et travailleurs dans ce secteur, et autant pour la Santé. Quand on réunit tout ce monde, ça fait des millions.»
Sputnik: Que répondez-vous, à ceux qui accusent la majorité présidentielle, et notamment le FLN, de prendre le train en marche, à ceux qui ne croient pas à la sincérité du soutien apporté par le coordinateur de l'instance dirigeante du parti, M. Mouad Bouchareb, au mouvement populaire?
Abdelhamid Si Afif: «C'est aussi une extrapolation. Il n'a jamais dit que nous allions nous allier au mouvement populaire. Il a dit que nous reconnaissons le caractère légitime des revendications, notamment celles qui vont dans le sens d'une transition politique pour plus de réformes politiques, d'ouverture, de transparence et de démocratie. Au niveau du FLN, nous n'avons jamais refusé que les élections se passent d'une manière transparente et démocratique.
Je dis cela parce que certains ont la mémoire très courte. Dans les années 1988 et 1989, il y a eu une révision de la Constitution [abolissant le système du parti unique, ndlr]. Le parti unique [FLN] avait tous les moyens, tous les pouvoirs. Mais c'était nous-mêmes, en tant que militants [du FLN], qui avions fait ce pas vers la démocratie. Cette ouverture politique ne nous fait pas peur. Aussi, en 1997, quand le Parlement a adopté la loi sur les partis politiques, juste après la révision de la Constitution, en 1996, tous les partis étaient obligés de s'y conformer en déposant un dossier au ministère de l'Intérieur. Nous l'avons fait. Je dis cela pour répondre à une question que vous ne m'avez pas posée, certains disant qu'il faut que le FLN parte au musée…»
Abdelhamid Si Afif: «Il n'y a pas que les Moudjahidines. Cet appel, nous l'avons entendu il y a des dizaines d'années. Actuellement, le FLN est un parti politique, au même titre que les autres, et notre agrément nous a été délivré par le ministère de l'Intérieur en 1997. Le FLN appartient à ses militants, pas aux autres. Seuls les militants peuvent exprimer leur opinion sur l'avenir du parti. Pour ce qui est des Moudjahidines, je respecte ceux qui ont libéré la Nation, et nous en avons beaucoup dans nos rangs, même dans les instances dirigeantes du parti. Mais si je peux adresser un reproche, c'est le fait que certains se pressent, à la suite de ce mouvement populaire, pour dire que le FLN doit partir. Pourquoi, dès lors, l'avaient-ils utilisé depuis 1962 jusqu'à maintenant, pour réaliser leurs objectifs? Y compris le Secrétaire général, qui était membre dirigeant du FLN.»
Sputnik: Vous parlez de M. Saïd Abadou, qui a été aussi ministre…
Abdelhamid Si Afif: «Et même ministre, oui. Alors, il y a quelque chose qui ne va pas. Vous voyez qu'il y a une grande manipulation, car ils pensent qu'en agissant de cette manière, changer de cheval…»
Sputnik: Vous voulez dire qu'il y en a qui essaient de se dédouaner, aujourd'hui, sur le dos du FLN?
Abdelhamid Si Afif: «Oui. Mais ils oublient que le FLN appartient à ses militants. Certes, il puise dans ses racines historiques de la révolution de novembre 1954. Mais, ce n'est pas une raison de parler au nom des militants. Nous sommes les seuls responsables de notre parti politique. S'il y a quelque chose à changer, c'est à nous de le faire, à la faveur d'un congrès. D'un autre côté, le Secrétaire général de l'Organisation des Moudjahidines est membre dirigent du RND [Rassemblement national démocratique, membre de l'alliance présidentielle et parti de l'ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, ndlr], membre de son Conseil national. Et une partie d'entre eux font partie du Conseil national.
Alors, pourquoi ils s'attaquent au FLN? Ils trouvent que le FLN s'est rajeuni. En effet, la direction politique du FLN compte aujourd'hui 65% de jeunes moins de 40 ans. Les autres, donc, n'ont plus leur place. Cela ne veut pas dire qu'on n'a pas connu de problèmes. Bien sûr, depuis 2002, ce qui a affaibli notre parti, c'était l'intrusion de personnalités qui n'avaient rien avoir avec le parti…»
Abdelhamid Si Afif: «Oui, par l'ancien Premier ministre qui est actuellement président du parti Talaie Horriet [Ali Benflis, ndlr]. Il a introduit des personnalités, des magistrats, des greffiers, qui n'ont rien à voir avec le FLN. Les statuts disposent pourtant qu'on ne peut pas être membre du comité central si on n'a pas 10 ans d'activité partisane continue. Ceux-là avaient été introduits directement comme députés, ministres ou membres de la direction politique. Et ça a continué, on a ouvert les portes du parti même aux illettrés! Voilà comment le FLN a perdu une partie de la confiance dont il jouissait auprès des militants de la base.
Maintenant, il y a une nouvelle direction politique composée uniquement de vrais militants, qui n'ont absolument rien à voir avec la mauvaise gestion, rien à voir avec la corruption. Nous voulons regagner la confiance de nos militants en leur donnant des signaux très clairs que nous luttons. Et c'est pour cela que nous approuvons une grande partie des revendications du mouvement populaire, notamment sur la lutte contre la corruption, les malversations, et autres fléaux. Effectivement, nos rangs renferment encore quelques-uns qui ont été introduits frauduleusement.»
Sputnik: Le fait, aujourd'hui, pour la rue d'inclure le FLN dans le «système» avec lequel ils veulent rompre, c'est à tort, d'après vous?
Abdelhamid Si Afif: «Quand on fait un congrès, on sélectionne des militants qui remplissent les conditions statutaires, à partir de la base. Or, voilà qu'on fait un congrès et que deux mois après, on continue à installer des gens au niveau de la direction politique. Qui? Des ministres, et parfois, des gens qui n'ont aucun lien avec le FLN. C'est inacceptable! Et nous sommes obligés de dénoncer tout cela maintenant.»
Sputnik: Il y a eu quand même une différence de tonalité entre le discours prononcé par M. Bouchareb à Oran, le 23 février, et ce qu'on a entendu lors de son dernier discours..
Sputnik: Donc pas de mea culpa, de la part du FLN, après son attitude initiale quant au mouvement populaire?
Abdelhamid Si Afif: «Non pas du tout. Parce que nous connaissons bien les composantes du mouvement populaire.»
Sputnik: Pourtant, dans son discours d'Oran, du 23 février dernier, M. Bouchareb a prononcé un discours, à la tonalité assez grave, où il mettait en garde certains partis politiques…
Abdelhamid Si Afif: «Oui, parce qu'il y a des partis politiques qui n'ont qu'un seul député à l'Assemblée, mais qui parlent comme s'ils ont la majorité!»
Sputnik: Il mettait aussi en garde, plus généralement, contre une issue pas très heureuse de ces contestations populaires. Il a parlé de pays où des manifestations avaient bien commencé et mal fini…
Abdelhamid Si Afif: «Je vais vous dire la différence. Nous, nous sommes nourris de la culture de l'État, nous sommes jaloux de notre souveraineté. Mais il y en a, aujourd'hui, qui refusent même qu'on parle de l'histoire de l'Algérie. Ils veulent carrément effacer l'histoire de l'Algérie. Ils ne veulent plus entendre de la famille révolutionnaire.»
Abdelhamid Si Afif: «Les êtres humains ne sont pas semblables. Même s'ils appartiennent au parti et qu'ils sont nourris de la culture et la philosophie partisane. Chacun a ses propres opinions et ses propres manières de réaliser ses objectifs. Il y a eu quelques déperditions, avec certains opportunistes qui croyaient que ce mouvement populaire allait leur ouvrir d'autres horizons. Mais quand on est militant engagé, on supporte, on accepte tout.
En 1997, par exemple, nous étions minoritaires à l'Assemblée, avec 63 députés seulement, alors qu'un autre parti en avait 164. Mais nous n'avons pas arrêté le combat en tant que militants. Et nous avons récupéré le terrain perdu en 2002. Nous avons tout fait pour maintenir cette place de première force politique. Mais malheureusement, nos rangs ont été infiltrés par ceux qui cherchent à arriver au pouvoir par tous les moyens.»
Sputnik: Est-ce que vous vous attendez que le mouvement populaire soit réceptif aux propositions de M. Bouteflika après les grandes mobilisations que l'on a vues depuis sa dernière proposition?
Abdelhamid Si Afif: «Ça commence [à être réceptif, ndlr]. Les premiers temps, on a dit du FLN qu'il était absent du terrain. En fait, nous n'étions pas absents, mais nous refusions l'affrontement et les réactions à chaud. Maintenant, nous avons analysé profondément ce qui se passe dans le mouvement populaire. Il y a des mains étrangères qui travaillent depuis des années, et je suis responsable de mes dires, qui ont infiltré le mouvement associatif en Algérie et qui travaillent depuis des années à déstabiliser l'Algérie, qui est le seul pays du monde arabe, à n'avoir pas été déstabilisé.»
Abdelhamid Si Afif: «Ce refus d'ingérence étrangère et ce refus de s'ingérer dans les affaires des autres pays, c'est l'une des causes qui a fait que ça a dérangé beaucoup. Je ne voudrais pas rentrer dans les détails.»
Sputnik: Mais encore… vous insinuez que c'est en lien avec la naissance du mouvement populaire?
Abdelhamid Si Afif: «Vous suivez ce qui se passe au Venezuela? On s'ingère de cette manière et on désigne des Présidents hors du territoire d'un pays souverain. Ça peut arriver à n'importe qui.»
Sputnik: En même temps, au niveau des déclarations officielles des pays étrangers, il n'y avait pas de faux bond? À moins que vous ne fassiez allusion à la déclaration de Washington qui avait déclaré son soutien aux manifestants, très tôt…
Abdelhamid Si Afif: «Nous avons des relations avec l'ensemble des pays. Nous avons des partenariats très solides. Nous sommes un grand pays, qui recèle beaucoup de potentialités. Et c'est pour ça que nous sommes un pays très ciblé, très visé.»
Sputnik: En même temps, il y en a qui vous diront que si les ingérences peuvent exister, il ne faut pas non plus y prêter le flanc… par une rupture du pacte social par exemple.
Sputnik: Et ces mains étrangères auraient des relais, selon vous, en Algérie?
Abdelhamid Si Afif: «Vous savez que depuis quelques années, l'Algérie a démontré que c'est un pays transparent, on reçoit les ONG, c'est une maison de verre…»
Sputnik: C'était l'expression de M. Bouteflika, en 1999, au tout début de son premier mandat: «notre maison est de verre et tout le monde peut la visiter, y compris Amnesty International»…
Abdelhamid Si Afif: «Oui. L'ensemble des ONG circulent normalement, les ambassadeurs sont en contact avec les milieux associatifs. Nous avons voulu faire preuve d'ouverture et de transparence. Et voilà, et c'est comme ça que c'est arrivé à plusieurs pays.»
Abdelhamid Si Afif: «Il y a de l'exagération. Les institutions de l'État ne se limitent pas à la présidence. Il y a d'autres institutions qui ont légalement fait leurs preuves et qui sont reconnues par le monde entier. Pour revenir à votre question, je n'y crois pas. C'est un petit peu étriqué, c'est une vision très réduite de la situation.»
Sputnik: Mais il y a quand même une part de vérité dans l'assertion sur un entourage du Président qui s'accaparerait des richesses, serait impliqué dans des malversations, non?