Un compromis est-il toujours possible en Algérie? La réponse est d'autant plus incertaine que les revendications populaires ne semblent se satisfaire des propositions apportées par le pouvoir d'Abdelaziz Bouteflika à la crise qui secoue l'Algérie depuis le 22 février dernier. Face à la détermination des deux parties, une alternative se présente: l'armée. Le salut réside-t-il dans un Exercitus ex machina, une intervention symbolique de l'armée nationale populaire (ANP) pour apporter un dénouement inespéré?
En revendiquant la fin du système, les Algériens n'ignorent sans doute pas que l'armée en est l'un des principaux acteurs, si ce n'est le plus important. Ils n'ignorent pas non plus, sauf à se rendre coupable d'un romantisme naïf, qu'ils avaient abjuré en 1988, que la chute d'un régime et la naissance d'un autre ne peut se faire sans l'armée.
«Le régime ne pourrait tomber purement et simplement. Le «système» est tellement enraciné en Algérie, associant présidence, armée, apparatchiks du FLN [Front de libération nationale, parti présidentiel] ou hommes d'affaires, qu'il ne pourrait tomber d'un coup, comme on avait pu le voir, par exemple et dans une certaine mesure, en Tunisie», décrypte pour Sputnik Dalia Ghanem Yazbeck, chercheure spécialiste de la politique algérienne.
«Pendant le mouvement de contestation, le peuple s'est employé à challenger l'armée, implicitement, en insistant sur le caractère pacifique de son mouvement. C'était un appel à l'armée pour ne pas intervenir de manière violente, quitte à agir dans les coulisses», analyse-t-elle pour Sputnik.
«Jusqu'à présent l'État-Major a envoyé des messages plutôt confus. Le chef d'État-Major, Ahmed Gaïd Salah, s'est montré, au début des manifestations, quasi-menaçant en affirmant que l'armée ne laisserait pas le chaos s'installer. Ensuite, il semblait s'est être rétracté en affirmant que les demandes du peuple et celles de l'armée sont convergentes. Si l'armée est actuellement parcourue par plusieurs courants, l'antagonisme générationnel n'est pas à négliger. Actuellement, le leadership est exercé par des octogénaires comme Gaïd Salah, et plus généralement par "la première génération", celle qui avait pris part à la guerre de libération nationale. Il va sans dire qu'elle ne constitue pas la majorité de l'armée, sur un plan numéraire», décrypte Dalia Ghanem Yazbeck.
Jusqu'où ira la volonté de la «première génération» à faire jouer un présumé blocage de minorité? Le soutien de notoriété publique du chef d'État-major au président Bouteflika présume d'une préférence pour le scénario de la continuité, même sous perfusion, dès lors que les recettes de la Présidence ont une chance, même infime, d'endiguer la crise. À mesure, toutefois, que les premiers manifestants commençaient à affluer, vendredi 15 mars, aux cris de «Vous partez, c'est-à-dire vous partez!», la marge de manœuvre présidentielle se réduisait sensiblement. Et ce n'est pas faute d'avoir tenté un jeu habile, appelant à la rescousse deux grands pontes de la diplomatie algérienne, Lakhdar Brahimi et Ramtane Lamamra.
«Le pouvoir avait sous-estimé la capacité de mobilisation du peuple, de même que sa capacité à dépasser ses vieux clivages, régionaux, idéologiques ou sociaux. Inversement, il avait surestimé sa propre marge de manœuvre. La dernière manœuvre consistant à faire appel à des gens comme Lakhdar Brahimi ou Ramtane Lamamra, est une fausse bonne idée. Jusqu'à leur entrée sur scène, ils jouissaient d'une certaine respectabilité, chez une grande partie d'Algériens et auraient pu, à ce titre, constituer une alternative crédible. En s'associant à cette entreprise à ce stade, ils se trouvent aujourd'hui grillés. Des manifestants n'hésitent pas à les considérer, désormais, comme des "traîtres" à la cause populaire», poursuit la chercheure algérienne.
Théoriquement, l'État-major pourrait ne plus être fondé, aujourd'hui, à se retrancher derrière une présumée neutralité politique imposée par le cadre constitutionnel, dès lors que celui-ci se trouve justement «gelé de facto», d'après l'expression du constitutionnaliste algérien Abdelkader Kacher, lors d'une précédente interview avec Sputnik. La décision du président Bouteflika de se maintenir en place au-delà de son quatrième mandat — alors qu'aucune disposition constitutionnelle ne l'y autorise — et son intention de convoquer une conférence nationale «inclusive et indépendante» — sur le modèle de ses sœurs africaines du début des années 1990 — pour jeter les jalons d'un nouveau texte fondamental semblent ériger la lettre présidentielle du 11 mars en véritable acte politique portant organisation provisoire des pouvoirs publics, mais dont la légitimité se trouve contestée.
«La meilleure option, pour le pouvoir, et en l'occurrence pour l'armée, serait d'intervenir en définissant un cadre raisonnable pour ce report de l'élection, tout en l'assortissant d'une issue acceptable. Outre l'annulation pure et simple d'une cinquième candidature, qui est aujourd'hui acquise, il lui faudrait mettre un terme à la prolongation du quatrième mandat. À l'issue d'une période qui ne pourrait excéder une durée raisonnable de 6 mois, un candidat ou plusieurs candidats pouvant faire consensus pourraient être proposés au vote des Algériens», envisage Dalia Ghanem Yazbeck.
À charge pour l'histoire de ne pas retenir ce potentiel coup d'éclat comme l'œuvre de «marsiens», du nom de ces résistants de la dernière heure dans la guerre de libération algérienne.