Comment on apprend aux jeunes à faire des coups d'État avec de l'argent occidental

© Sputnik . Aram Nersesian / Accéder à la base multimédiaManifestation à Erevan
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Un correspondant de la chaine RT a assisté au séminaire CampCamp 2018, qui s'est déroulé début novembre à Erevan, auquel ont participé des membres de l'opposition des pays de la CEI. Pendant la formation, on a appris aux jeunes à faire une révolution avec de l'argent occidental.

Le langage de la communication d'opposition

Le séminaire CampCamp 2018 s'est déroulé début novembre à Erevan (Arménie) dans l'enceinte de l'Institut de recherches scientifiques Marguelian. A l'époque soviétique, les lieux étaient un centre de production d'ordinateurs. Aujourd'hui, ils ont été reconvertis en centre d'exposition, écrit le site de la chaîne RT.

Pendant le CampCamp 2018, seules les personnes présentes sur les listes de participants pouvaient y pénétrer. A l'entrée, on distribuait des badges avec des cordons de deux couleurs: bleu pour ceux qui permettent de les photographier, rouge pour ceux qui l'interdisaient.

Dès les premiers pas dans le bâtiment, on pouvait se faire une idée du caractère progressiste de l'événement: dans les toilettes, un participant avait collé des autocollants expliquant la théorie du genre. La femme de ménage n'a pas tout de suite compris cette idée très «cool», qui a d'abord jeté dans la poubelle tous les stickers et brochures propagandistes. Le lendemain, elle a compris que son comportement n'était pas un exemple de tolérance.

Les organisateurs ont commencé leur allocution d'ouverture par des excuses:

«Nous vous demandons pardon, mais nous parlerons russe, même si certains trouveront cela désagréable».

La proposition de parler anglais a été rejetée: le vote a montré que tout le monde ne comprenait pas cette langue. Au final, les 150 personnes présentes — avant tout des ressortissants russes, biélorusses et kazakhs, ainsi que des militants kirghiz et ukrainiens, principaux experts des «révolutions de couleur» — ont été obligés de donner des recommandations concernant la vie dans un pays «après le coup d'État» ou de raconter qu'«après avoir pris le pouvoir, les révolutionnaires d'hier commençaient à introduire leurs proches au sein des structures de pouvoir», uniquement en russe.

«Les principaux opposants étaient les parents»

Des militants arméniens ont également partagé leur expérience révolutionnaire avec l'audience. Ainsi, Olga Azatian a reconnu que le «printemps arménien» n'avait pas été spontané. Les préparatifs des manifestations ont débuté en 2008, juste après l'élection de Serge Sarkissian à la présidence du pays.

«Nous avons progressé chaque jour, nous avons beaucoup travaillé et réfléchi à nos erreurs», a souligné Olga Azatian.

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Sous la présidence de Sarkissian, «il était triste et peu intéressant» d'être journaliste politique en Arménie, a regretté Mikhael Zolian, député du parlement arménien (alliance Mon pas) et expert du Prague Civil Society Centre. Selon lui, le triomphe de la révolution a encouragé le développement des médias.

Les intervenants ont présenté à CampCamp un schéma universel d'élargissement des contestations. Ainsi, l'objectif primordial des organisateurs d'un coup d'État est d'impliquer les adolescents dans les manifestations de rue. Telle est la recommandation de Levon Barsegian, rédacteur en chef du journal Gyumri Asparez. Selon ce journaliste arménien, le secret d'une révolution réussie est très simple: si les enfants descendent dans la rue, cela implique au final leurs parents dans les contestations.

«Qui ont été, selon vous les opposants principaux aux jeunes? Leurs parents! Ces derniers ont pourtant rejoint leur enfants après avoir compris qu'ils ne reviendraient pas», a-t-il expliqué au sujet de la révolution de velours arménienne de 2018.

«On peut également compter sur une aide étrangère»: selon Levon Barsegian, la diaspora arménienne aux États-Unis a offert son aide financière en transférant des fonds sur des comptes bancaires publiés sur Facebook.

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«Soyez prêts pour le pouvoir»

Les Ukrainiens qui avaient participé aux événements sur le Maïdan de Kiev fin 2013-début 2014 ont également présenté à l'audience leur expérience de la lutte révolutionnaire.

«Environ 203.000 personnes ont marché sur la place pendant quelques première heures, mais seulement quelques-unes y sont restées pour la nuit. Je faisais partie de ce groupe. Nous n'avions même pas planifié nos actions et n'espérions pas de tels changements dans le pays. Nous pensions seulement que c'était une année décisive et que nous tenterions de faire quelque chose. Nous avons compris qu'il fallait faire quelque chose d'important», a témoigné Ivan Omelian, qui s'est présenté comme l'un des premiers militants du Maïdan.

«Du haut de son expérience», il a souligné que «depuis l'année 2005, depuis la première révolution en Ukraine» ou depuis «les événements sur la place Bolotnaïa en Russie en 2012», «vous tous avez eu des moments où vous auriez pu vous réunir». Selon Ivan Omelian, ces mouvements se sont épuisés faute de leader.

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Le militant du Maïdan a également présenté aux participants ses impressions concernant les «acquis» de la «révolution de la dignité».

«80% de nos parlementaires sont aujourd'hui corrompus, mais nous leur tendons la main et leur demandons de voter de telle ou telle manière. Nous sommes obligés de travailler avec eux. Je ne suis pas au pouvoir, mais je travaille avec le pouvoir», a-t-il fait remarquer.

Son intervention, intitulée «L'espoir contre l'apathie», visait à expliquer à l'audience que le changement de pouvoir était un «marathon». Ainsi, les vedettes du Maïdan sont également obligées de combattre un burn-out émotionnel, surtout après plusieurs années de lutte. Selon Ivan, son expérience personnelle pourrait s'avérer utile pour les militants russes et kazakhs, car le changement de pouvoir dans ces pays pourrait prendre beaucoup de temps.

«Un burn-out quelques années après… et tout pourrait revenir à la case départ, vous réfléchiriez de nouveau à émigrer. Les gens y penseront et vous aussi. Personne n'est prêt à franchir ce corridor très long. Personne n'est prêt à courir des marathons. Tout le monde veut une course rapide. En ce qui concerne les grands États comme la Russie ou le Kazakhstan, cela sera un chemin très long, probablement plus long que notre vie», fait remarquer Ivan.

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Après avoir tenu des propos psychologiques et philosophiques, il a repris une rhétorique politique.

«Vous faites déjà de la politique. C'est comme ça, si vous voulez des changements. La question est de savoir si vos actions sont assez systémiques. Il faut faire le point», a prévenu le militant ukrainien.

Enfin, la thèse principale de son intervention était la suivante: il faut être prêt à détenir le pouvoir.

«Il y a un point très important. Et je voudrais bien connaître l'opinion de mes collègues arméniens à ce sujet. Vous devez être prêts. Cela pourrait vous sembler fantaisiste, mais vous pourriez vous retrouver au parlement dans cinq ou dix ans», affirme-t-il.

Mikhael Zolian a développé les thèses d'Ivan Omelian, dans un discours qui rappelait le slogan non-officiel de cette réunion d'Erevan: «Tue ton Serge intérieur» (en référence à l'ancien premier ministre Serge Sarkissian, ndlr).

«Se libérer de la mentalité et des pratiques qui permettent au système de te contrôler. Si cela arrive, chacun décide personnellement ce qu'il faut faire… Les leaders de notre mouvement ont dit: «Faites ce que vous considérez comme juste. Nous proposons cela, mais vous devez réfléchir vous-mêmes. Nous proposons de fermer les rues. Décidez vous-mêmes quelle rue vous voulez fermer»», a-t-il expliqué.

«Quel comportement doivent adopter les militants s'ils veulent entrer en politique? Existe-il un certain savoir-faire?» l'interroge Anastassia, venue de Biélorussie.

«Si vous luttez pour la liberté de la presse, vous ferez face à beaucoup d'éléments compromettants. Il faut y être prêt. Regardez-vous et comprenez que vous n'avez pas le droit de marcher dans la merde», répond Ivan.

Un Kirghiz ayant déjà survécu à deux révolutions dans son pays a également présenté son opinion sur le travail des militants au pouvoir: «Penser qu'ils (le pouvoir) sont sales, alors que nous (la société civile) sommes purs, est incorrect. Prague a accueilli un forum civil dont le message principal était que les militants civils ne doivent pas avoir peur de rejoindre le pouvoir, car ils faisaient déjà de la politique en soulevant des questions sensibles».

«S'opposer à Poutine n'est pas encore à la mode»

La Russie a également été mentionnée dans l'intervention de Nikolaï Artemenko, leader du mouvement Vremiya («Temps»), de Saint-Pétersbourg.

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Il a commencé par rappeler les contestations qui ont éclaté à Saint-Pétersbourg contre le transfert de la Cathédrale Saint-Isaac à l'Église orthodoxe russe.

«L'un de nos militants était habillé en soutane et s'est couché sur des sacs de dollars en disant «J'en veux encore plus». Cette parodie tournait en dérision beaucoup de nos représentants de l'Église. Nous avons également organisé des référendums improvisés: on a demandé aux citoyens, dans la rue, de voter sur l'appartenance de la cathédrale. Six mois après, nous avons lancé l'action «Anneau bleu» qui consistait à encercler la cathédrale pour montrer que nous étions nombreux», explique Nikolaï Artemenko.

Le fait que le «gouverneur a consenti à geler cette question» découle des actions des militants.

«Des histoires comme celles-là doivent nous motiver», souligne-t-il.

Il a également mentionné les problèmes des opposants actuels: «Les autorités ont commencé à serrer sérieusement la vis», «les amendes pourraient augmenter», et «les militants ont peur».

Sa solution est d'organiser «des campagnes moins traumatisantes, sur l'exemple de «18+», sur tout le territoire russe».

«18 ans au pouvoir… Combien de temps cela peut-il encore durer?» s'interroge Nikolaï Artemenko.

Il a également répondu à une question sur le «morcellement féodal» des ONG et la nécessité de réunir toutes les organisations d'opposition:

«Cela n'a pas de sens, car il existe en Russie énormément d'ONG, petites ou grandes comme Mémorial. A mon avis, il est inutile de se réunir: plus il y a de mouvements, mieux c'est. Il ne faut réunir les forces que pour atteindre un objectif concret comme dans le cas de la Cathédrale Saint-Isaac ou des élections présidentielles. J'ai été directeur de campagne de Ksenia Sobtchak à Saint-Pétersbourg et nous avons proposé à tout le monde de se réunir autour d'elle après qu'Alexeï Navalny a été écarté de la course».

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Une autre question sur la Russie a été posée par une Kazakhe, participante du jeu «Comment renverser un régime à l'aide du régime» (qui explique que les militants d'opposition doivent rejoindre les organisations de jeunesse pro-gouvernementales):

«Quel événement doit se passer en Russie pour qu'ils comprennent que c'est un monstre, que ce n'est pas bon?»

«Nous avons, nous aussi, des mouvements progouvernementaux: on peut rejoindre la Jeune garde de la Russie unie», a indirectement répondu Nikolaï Artemenko.

«Pourquoi Navalny a-t-il réussi? Parce qu'il a transformé la politique en processus à la mode, il s'est entouré de personnes branchées qui peuvent tout faire joliment. Il est intéressant de les regarder et de les écouter. En Arménie, la lutte contre Sarkissian est devenue très branchée. Chez nous, s'opposer à Poutine n'est pas encore en vogue, mais il est déjà à la mode d'y réfléchir», a-t-il remarqué.

Porté par l'élan de ses propres idées, il a décidé de jeter un regard vers le futur: «Il est erroné de penser qu'il existe tout un système dans l'ombre de Poutine. Si Poutine disparaissait, le système serait différent. Si Medvedev était arrivé au pouvoir, le système aurait déjà changé pour le mieux. Je vais dire une chose inattendue — il ne faut pas me citer: même si les communistes arrivaient au pouvoir, la Russie ferait face à des changements positifs».

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Pour finir, Nikolaï Artemenko a tiré une conclusion étonnamment alarmiste: «Tout indique qu'internet sera interdit dans six mois. Nous n'avons plus aucune possibilité. Les affaires pourraient fermer».

«Aujourd'hui, nous sauvons le monde»

Le séminaire CampCamp fait partie du travail systémique du Prague Civil Society Centre visant à former une nouvelle génération de «militants». L'organisation a créé un système assez sévère de sélection des participants: le forum d'Erevan n'était accessible qu'après avoir passé un test de loyauté. Le vol étant pris en charge par les organisateurs, la plupart des jeunes qui ont ainsi gagné le voyage dans la capitale arménienne étaient certains qu'ils «sauvaient le monde».

Certains participants à cet événement n'habitent plus dans leur pays natal et préfèrent combattre à distance pour les droits de leurs concitoyens. Ainsi, Anatoli se présente comme un militant de la communauté LGBT du Kazakhstan. Il s'est fait connaître par le passé en plaçant dans les toilettes publiques des brochures et des stickers soulignant l'importance des WC pour les deux sexes. Compte tenu de leurs publications sur les réseaux sociaux, on peut dire qu'Anatoli et ses camarades militants passent désormais la plupart de leur temps à Prague.
«Aujourd'hui, nous sauvons le monde. Nous vivrons après», indique-t-il dans le style des héros de Hollywood.

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Les organisateurs de cet événement sont tout sauf des amateurs. La lutte contre les «régimes» et les réunions de «citoyens actifs» sont devenues leur profession, qui leur apporte des revenus solides grâce au Prague Civil Society Centre et au Congrès américain. Rostislav Valvoda, directeur exécutif du centre, avait tenté en 2009 d'organiser un événement similaire en Russie intitulé «Les méthodes de déroulement des campagnes civiles: exemples de réussites». Il a pourtant été interpellé à cause d'une infraction à la législation migratoire russe et a quitté le pays.

Rostislav ne s'est pas impliqué dans le déroulement de la réunion d'Erevan et n'a pas pris la parole. Il a simplement observé comment ses protégés menaient les débats et quelle réaction ces derniers suscitaient auprès de l'auditoire. Les autres organisateurs du séminaire étaient parfaitement ordinaires: la plupart des militants étaient des ressortissants des pays de la CEI poursuivant leur carrière dans le domaine de la lutte contre les «régimes» grâce au financement occidental.

La journaliste kazakhe Evguenia Plakhina a compris que la contestation devait être à la mode encore en 2014, quand elle s'est présentée sur une place d'Almaty en portant des sous-vêtements en dentelle au lieu d'un drapeau. C'était sa manière de lutter contre la dévaluation de la devise nationale et l'interdiction éventuelle des ventes de sous-vêtements en dentelle dans les pays de l'union douanière. Il s'est cependant avéré que cette interdiction était une fausse information. Evguenia habite actuellement à Prague, tout comme Anatoli, militant de la communauté LGBT kazakhe.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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