Cela aurait pu être le scénario d'un drame terrifiant de génie, mais pour les prisonniers du camp de concentration de Mauthausen les événements décrits dans une lettre n'étaient que la tragique et fatale réalité. Selon les informations officielles, 122.766 personnes y ont été tuées entre 1938 et 1945, dont 32.180 citoyens soviétiques. Un destin particulièrement horrible attendait ceux qui se retrouvaient dans le bloc n°20, où encore bloc K pour Kugel, qui se traduit comme «balle».
Au moins sept d'entre eux ont réussi à rester en vie après la Mühlviertler Hasenjagd (la chasse aux lièvres du Mühlviertel) — une chasse mortelle aux détenus fugitifs après que plus de cinq cents prisonniers ont tenté de fuir dans la nuit du 2 au 3 février. Seulement 419 d'entre eux ont réussi à quitter le camp de concentration, les autres ont été tués pendant la tentative de prendre d'assaut le fort ou ont été déchiquetés par des chiens.
Sputnik a reçu la lettre que l'un des survivants, Ivan Bitioukov, avait adressée au chef de l'URSS Nikita Khrouchtchev. La lettre a été trouvée par un lecteur dans les Archives publiques russes. Nikita Khrouchtchev, quant à lui, avait perdu son fils, pilote, pendant la guerre.
«Si chacun de nous attend l'exécution de sa sentence, les fascistes cacheront leurs horreurs sans précédent dans l'élimination d'officiers désarmés. Mais si au moins l'un d'entre nous reste en vie, il devra raconter à la Patrie et aux familles la vérité sur le bloc de la mort n°20, dont le nom est associé à la barbarie fasciste, aux tortures, au sang, aux souffrances humaines, à la mort et au véritable courage humain. Camarades! Communistes! Nous n'oublierons jamais notre exploit.»
«Je pleure ceux qui ont été torturés ou sont morts étouffés dans les chambres à gaz, ceux qui ont été tués pendant l'assaut des murs du bloc, les fusillés pendant la grande fuite, les tués à coups de longues barres de fer dans les fenils, les dévorés par les chiens, les morts de la torture, de faim et d'épuisement pendant la fuite de l'ennemi fasciste et la progression sur le sol fasciste», écrit Ivan Bitioukov dans sa lettre.
«Je pleure les morts et les vivants, les corps dont le sang russe a coulé, ceux qui ont pris d'assaut le fort fasciste et sont restés jusqu'à la fin de leurs jours les fils fidèles de notre Patrie. Je pleure les oubliés qui ont vaincu la mort, le fait que la victoire nous ait coûté bien plus cher qu'aux grenadiers près d'Ismaïl. Toutefois, les grenadiers russes étaient des hommes libres, ils avaient des fusils et des canons et même du goudron brûlant, alors que nous n'avions qu'une chose: la foi en la victoire et la vengeance pour la souffrance de l'humanité à cause de la peste brune.»
Et les insurgés ont trouvé une arme. Du moins ce qui pouvait servir comme tel: des pavés. Une pluie de pierres devait neutraliser les tours de garde surmontées des mitrailleuses ennemies. Deux extincteurs décrochés des dortoirs des casernes ont joué le rôle d'armes principales. Plusieurs détenus devaient s'approcher de la tour en aspergeant les SS afin que le groupe d'assaut puisse grimper sur la tour et s'emparer des mitrailleuses.
«Nous voulions que la majorité revienne dans sa patrie pour parler du bloc de la mort. Mais il y avait peu d'espoir. Car toutes les heures, pendant deux jours, la radio de Vienne et de Linz appelait la population à partir à la recherche de «bandits bolcheviks» fugitifs. Il était très difficile de survivre. Le commandant du camp a annoncé que tous les fugitifs avaient été tués. Nous n'y croyions pas», affirme Nikolaï Parchine du bloc 11, dans une lettre citée par Ivan Bitioukov. Il a réussi lui à survivre jusqu'à la libération du camp de concentration le 5 mai 1945.
Ivan Bitioukov a fui le camp avec son camarade Viktor Oukraïntsev. Ils ont marché pendant plusieurs heures dans le noir en s'éloignant du camp, avant de se retrouver enfin aux abords de la ville autrichienne de Holzleiten, près de la maison du bourgmestre — un nazi fanatique. Ils ont pénétré dans le hangar et sont tombés sur des personnes qui n'ont pas sonné l'alarme. C'était des employés du bourgmestre, les citoyens soviétiques Vassili Logovatorski et Leonid Chachero, ainsi que le Polonais Metik, qui avaient été arrachés de force à leur foyer natal. Ils ont immédiatement compris qu'il s'agissait des détenus ayant fui Mauthausen et les ont accueillis. «Le bourgmestre était à la recherche des fugitifs de Mauthausen jour et nuit — il ne pouvait pas imaginer que le grenier de sa maison était devenu un refuge pour les insurgés», se souvient dans sa lettre Ivan Bitioukov.
«Il faut également le publier parce que les militaristes d'Allemagne de l'Ouest, dirigés par le bourreau Oberländer, abrutissent à nouveau les jeunes avec leurs visions de haine de l'humanité», écrit Ivan Bitioukov dans sa lettre, faisant manifestement référence à la réintégration d'anciens nazis dans le service public après la guerre. Theodor Oberländer, à l'époque de Konrad Adenauer, était ministre fédéral pour la migration, les réfugiés et les victimes de guerre.
Deux ans après la rédaction de cette lettre, en automne 1962, les anciens prisonniers du bloc de la mort n°20 sont arrivés à Moscou. Ils ont alors eu la possibilité d'honorer le serment qu'ils avaient donné à leurs camarades. Ils ont prononcé un discours à la télévision de Moscou devant des millions de citoyens soviétiques, ont été reçus par le vice-ministre de la Défense de l'URSS de l'époque, le maréchal de l'Union soviétique Vassili Tchouïkov. Au Comité des vétérans soviétiques de la guerre s'est tenue une rencontre touchante des héros de la révolte légendaire avec les anciens détenus du camp de concentration de Mauthausen.
Aucun des survivants du bloc n°20 n'a reçu le titre de Héros de l'Union soviétique. Aucun des participants à la révolte ne s'est vu décerner de médaille ou d'ordre. Aucun film n'a été réalisé et aucun livre n'a été écrit sur cette histoire. A l'époque de Staline, avoir été détenu dans un camp de concentration était déjà considéré comme une honte.