La Russie a divisé par 3,3 ses exportations d'or en 2018 par rapport à l'année précédente pour les faire passer de 56,6 tonnes à 17,05 tonnes, a annoncé le Bureau des garanties du ministère russe des Finances, précise le quotidien Vzgliad. En 2017, au contraire, les exportations d'or avaient augmenté de 2,5 fois.
«Tout l'or facile à extraire en Russie — et pratiquement dans le monde entier — a déjà été extrait. Il ne reste plus aujourd'hui que de l'or de mine difficile à extraire, nécessitant des investissements importants et un grand horizon de planification. C'est pourquoi il est impossible d'accroître brusquement la production de 20%. Sans compter le fléchissement dans l'exploration géologique dans les années 1990. A présent tout cela se rétablit», explique Alexeï Viazovski, vice-président de la Maison des monnaies et de l'or.
Malgré ces éléments, le secteur se porte très bien en Russie, et ce pour deux raisons.
«Premièrement, il y a toujours un acheteur garanti: la Banque centrale et la Gokhran. Deuxièmement, les producteurs d'or sont doublement gagnants: le prix de l'once a augmenté de 20% en dollars depuis trois ans. De plus, le rouble a perdu 50% de sa valeur. Les producteurs d'or paient les frais en roubles. La main d'œuvre dans les régions où est concentrée la production d'or (par exemple, à Magadan) est bon marché: les gens y travaillent pour un salaire très bas, pour des roubles qui ont perdu leur valeur. Alors que l'or est vendu contre des dollars qui ont pris de la valeur. C'est pourquoi Polus Zoloto et d'autres sont comme des coqs en pâte», explique l'interlocuteur.
Mais où part l'or extrait en Russie? Seulement 17 tonnes ont été exportées l'an dernier.
«Auparavant, les banques occidentales achetaient activement les lingots russes, mais ce thème est fermé à cause des sanctions. Mais pourquoi ne pas ouvrir de comptes en Chine et en Inde — après tout, ce sont les plus grands acheteurs d'or — pour leur vendre de l'or? Cependant, nos producteurs d'or sont devenus fainéants, ils ne veulent pas concurrencer les producteurs occidentaux et écrivent simplement des lettres à la Banque de Russie pour que cette dernière, qui achète déjà les deux tiers de la production, en achète encore plus», déclare Alexeï Viazovski.
La majeure partie de l'or extrait dans le pays est achetée par la Banque centrale, qui remplit ses réserves. L'an dernier, elle en a acquis 274,3 tonnes — cette quantité record explique également la chute des exportations d'or au profit du pays producteur.
Compte tenu des exportations et des achats de la Banque centrale, il restait donc à peine plus de 23 tonnes d'or, qui ont probablement été réparties entre les banques et les bijoutiers. «Nous avons de grands acheteurs — la Sberbank et d'autres. Les banques accordent des prêts aux producteurs d'or, qui, à leur tour, les remboursent avec les lingots qu'ils stockent dans les coffres de la banque. Une certaine quantité est récupérée, évidemment, par les bijoutiers. Mais les transactions avec l'or, notamment sur le marché interbancaire, ne sont pas transparentes», poursuit Alexeï Viazovski.
En 2018, la Russie est devenue le plus grand acheteur d'or au monde et a vendu une quantité sans précédent d'obligations américaines. «En ce qui concerne la «marge» sur l'or, aujourd'hui peu y pensent. Il est important comme jamais pour la Russie que ses réserves ne soient pas bloquées sur les comptes étrangers à cause des sanctions. Aucun autre instrument d'investissement ne répondrait à cette exigence actuelle mieux que les lingots d'or», estime Vladimir Rojankovski, expert du Centre financier international.
Toutefois, l'abandon des obligations américaines au profit de l'or laisse percevoir non seulement une logique géopolitique, mais également un calcul économique. Les prévisions concernant le prix de l'or sont favorables.
«Cette année, il franchira la barre des 1.400 dollars l'once contre 1.300 dollars actuellement. Le prix historique maximal de l'or (1.800 dollars l'once) sera également atteint à terme», prédit Alexeï Viazovski. Sur le plan global, la tendance est ascendante: en 15 ans le prix de l'or en dollars a triplé pour passer de 300-400 dollars l'once à 1.300 dollars aujourd'hui.
Le prix de l'or est corrélé à la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed) et aux perturbations mondiales, explique l'expert.
Les obligations américaines et l'or sont considérés comme les actifs les plus fiables, mais périodiquement les investisseurs transfèrent leurs fonds d'un actif à l'autre. «Sur quoi se base la décision? Si le rendement des obligations américaines augmente, elles deviennent plus rentables: l'or est alors vendu pour acheter des obligations. Et inversement — si le rendement des obligations chute, que la Fed marque une pause dans l'augmentation du taux directeur ou compte même le réduire, les investisseurs vendent les obligations pour acheter de l'or», indique Alexeï Viazovski.
Actuellement, la rhétorique de la Fed s'assouplit et on s'attend à une pause dans l'augmentation du taux directeur, ce qui augmente la demande en or. C'est pourquoi, outre la Banque centrale russe, bien d'autres acteurs du marché se tournent vers ce métal précieux. En 2018, les Banques centrales du monde ont enregistré une quantité d'or maximale depuis 1971.
«Les responsables de la Banque centrale surveillent de près les événements dans le monde. Et aujourd'hui, l'économie mondiale réduit sa croissance, la bourse américaine surchauffe, les marchés émergents sont périodiquement secoués. De nombreux cycles et signes avant-coureurs indiquent qu'une crise économique pourrait se produire d'ici un an. Et l'accumulation d'or par notre Banque centrale confirme qu'elle admet une telle éventualité. A chaque période de crise et de dépression, les pays accumulent des réserves d'or. Il s'avère que sans réserves d'or nous souffrons soit des sanctions, soit de la crise», explique Katia Frenkel, responsable du département analytique de FinIst.
Un autre indicateur est celui de l'or d'occasion, acheté essentiellement à la population via les prêteurs sur gage et les receleurs. Une partie réduite est récupérée sur les déchets électroniques et d'autres secteurs. La production d'«or d'occasion» est élevée ces dernières années: 34,57 tonnes en 2018, soit approximativement le niveau de 2016 (35 tonnes). En 2017, la quantité d'«or d'occasion» s'élevait à 36,6 tonnes. 310,8 tonnes d'«argent d'occasion» ont été produites l'an dernier contre 246,3 tonnes en 2017. «Ce n'est pas un très bon signe. Il indique que les gens ont peu d'argent et vendent leurs bijoux», conclut Alexeï Viazovski.
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