Bien que la parenté d'Anna Anderson avec le dernier empereur russe n'ait pas été reconnue officiellement, jusqu'au dernier jour de sa vie Anna insistait sur la véracité de ses propos et de sa santé psychique, écrit le site d'informatino Gazeta.ru.
Fräulein Unbekannt
En 1920, une patiente inhabituelle a fait son apparition à l'hôpital Elizabeth de Berlin. Elle avait été sauvée du suicide la veille par un policier qui patrouillait le long du canal Landwehr. N'ayant pas dévoilé son identité, elle a été inscrite dans le registre des admissions comme «Fräulein Unbekannt» — mademoiselle inconnue. Un mois plus tard, elle a été transférée à la clinique neurologique de Daldorf où elle a passé deux ans avec le diagnostic «maladie mentale à caractère dépressif».
De plus, pendant l'examen, les médecins ont déterminé que la jeune femme avait accouché moins de six mois avant sa tentative de suicide. Ils ont constaté sur la poitrine et le ventre de la patiente des nombreuses cicatrices, et sur la tête, derrière l'oreille droite, une cicatrice de 3,5 cm de long, si profonde qu'un doigt pouvait y entrer librement. La jeune femme possédait également une cicatrice sur le front, à la racine des cheveux, cachée par sa frange. En bas du pied droit se trouvait une cicatrice d'une blessure qui aurait pu être engendrée, selon les médecins, par une baïonnette russe.
Cependant, cette patiente inhabituelle n'aurait pas attiré l'attention si un jour, dans la chambre de l'hôpital, n'avait pas fait son apparition un numéro du Berliner Illustrirte Zeitung où était publiée la photo des filles de Nicolas II.
La ressemblance frappante de la «mademoiselle inconnue» avec Anastasia Romanova a été remarquée d'abord par sa voisine de chambre. Mais à toutes les questions, la jeune femme a placé un doigt sur les lèvres en disant: «Tais-toi!»
C'est seulement en 1922, quand la jeune femme a enfin quitté l'hôpital, que les rumeurs sur son appartenance à la dynastie Romanov ont commencé à se répandre. La «Fräulein Unbekannt», installée dans la maison de la baronne Maria von Kleist qui lui avait rendu visite à la clinique plusieurs fois, les confirmait elle-même. C'est dans la famille von Kleist que la jeune femme a commencé à être appelée Anna.
Par la suite, des émigrés russes ont commencé, l'un après l'autre, à se rendre dans la maison de la baronne pour voir de leurs propres yeux «Anastasia rescapée». Tout le monde était préoccupé par une seule question: comment avait-elle pu survivre à l'exécution? La jeune fille affirmait s'être cachée derrière sa sœur aînée Tatiana. Sonnée par les coups de feu, elle aurait perdu connaissance et se serait réveillée quelques heures plus tard dans la maison d'un soldat, qui aurait réussi à sauver la fille de l'empereur tué. Elle serait ensuite partie en Roumanie avec la famille de ce soldat.
Le mystère de la frange d'Anastasia
L'entourage d'«Anastasia la survivante» s'est alors scindé en deux groupes: ceux qui la reconnaissaient comme l'une des filles de l'empereur, et ceux qui affirmaient qu'il s'agissait d'une malade psychique. L'impératrice douairière Maria, mère de Nicolas II et grand-mère supposée d'«Anastasia», qui habitait à l'époque au Danemark, a décidé de vérifier l'identité de la «princesse».
Pour ce faire, elle a envoyé son valet Volkov, qui avait servi auprès de la famille du tsar et connaissait bien tous ses membres. «Anastasia» n'a pas reconnu son «vieil ami» et n'a pas convaincu ce dernier en faisant référence à certains faits spécifiques pendant leur conversation. Comme il s'est avéré plus tard, «Anastasia» était alors déjà très affectée par la tuberculose — elle pesait à peine 33 kg — et avait du mal à rassembler ses idées.
La véracité des paroles de la jeune fille n'a été reconnue que par deux représentants de la famille: Ksenia, arrière petite-fille de Nicolas II, et le grand prince Andreï. Comme Anna n'a pas réussi à prouver à l'amiable son appartenance à la famille, elle a saisi la justice afin de faire confirmer son droit d'hériter des biens de la cour impériale. Le procès, qui a débuté en 1938, a duré près de 30 ans. L'intruse a appelé comme témoins non seulement deux «parents» impériaux, mais aussi Gleb Botkine, médecin personnel de la famille. Ce dernier était resté près des princesses pendant toute leur enfance et a admis une ressemblance entre Anna et Anastasia.
Les arguments de la défense semblaient plus sérieux: ils se basaient sur des faits confirmés par des analyses d'experts. Outre la similitude de taille, de couleur de cheveux et d'yeux et la pointure, les spécialistes soulignaient des nuances plus fines. Premièrement, selon les documents retrouvés, Anna souffrait d'une maladie congénitale des pieds très rare (un cas sur 17,75 millions de personnes), tout comme Anastasia. L'un des orthopédistes ayant participé à l'examen avait même souligné: «Il est plus facile de trouver deux jeunes filles du même âge et ayant les mêmes empreintes digitales que des signes de hallux valgus congénital».
Qui plus est, la princesse avait un autre trait caractéristique: un grain de beauté de forme spécifique sur son dos. Sur celui d'Anna on ne voyait qu'une cicatrice profonde, laissée, selon elle, par la baïonnette de l'un des tueurs de sa famille.
Les autres cicatrices de «Fräulein Unbekannt», enregistrées lors de son examen médical à la clinique, correspondaient aux blessures subies par Anastasia pendant l'exécution dans le sous-sol de la maison Ipatiev, reportée par l'enquêteur Tomachevski. La cicatrice sur son front était une autre coïncidence: Anastasia en avait eu une dès son enfance et était la seule princesse obligée de porter la frange spécialement pour la couvrir.
Une erreur fatale
Ces arguments sérieux de la défense auraient pu persuader les détracteurs si Anna-Anastasia ne s'était pas immédiatement faite un ennemi — de manière absolument involontaire — en la personne d'un duc allemand. La raison d'une grande partie de la malchance de la jeune fille résidait dans son histoire naïve concernant l'arrivée de son oncle Ernest-Louis, grand-duc de Hesse-Darmstadt, en Russie en 1916. Cette visite, liée à la volonté de pousser Nicolas II vers une paix séparée avec l'Allemagne, restait un secret d'État — ce qu'Anna ne savait pas. Le prince et tous les autres ont activement tenté de démentir les propos d'Anna, mais elle tenait bon (et il a plus tard été confirmé qu'elle avait raison). Le grand-duc de Hesse-Darmstadt a donc été obligé d'accuser Anna de diffamation et de la proclamer comme une intruse.
C'est sur la demande du grand-duc qu'Anna Anderson a subi un examen d'experts judiciaires. Il s'est d'abord agi d'une analyse graphologique menée en 1927 par le docteur Lucy Weizsäcker de l'Institut de graphologie. Après avoir étudié des échantillons de l'écriture d'Anna et les avoir comparés aux textes écrits par Anastasia alors que Nicolas II était encore vivant, la spécialiste a conclu qu'il s'agissait de la même personne.
Des décennies après, le tribunat de Hambourg a chargé un autre graphologue, le docteur Minna Becker, de confirmer cette analyse. Elle a étudié les échantillons pendant quatre ans. En présentant son rapport, elle a conclu: «Je n'ai jamais vu tellement de signes de similitude entre deux textes écrits par deux personnes différentes».
Les conclusions de Becker ont détruit les arguments de ceux qui mettaient l'accent sur la méconnaissance de la langue russe par Anna. Le fait est qu'on a présenté à l'experte deux textes — en russe et en allemand — écrits par Anna Anderson. En évoquant les textes russes d'Anna, le docteur Becker a noté: «On a l'impression qu'elle s'était retrouvée dans un environnement familier».
Après avoir comparé les photos d'Anastasia avec un cliché de l'oreille droite d'Anna Anderson, Moritz Furtmayr a établi la similitude dans 17 positions anatomiques. Les tribunaux d'Allemagne de l'Ouest n'en demandaient que 5 pour établir l'identité.
Je suis Anastasia
Mais il était déjà trop tard: le tribunal n'a pas modifié son jugement. En 1961, le tribunal de Hambourg a déclaré qu'Anna Anderson n'avait rien à voir avec Anastasia Romanov. La Cour d'appel supérieure du Sénat a confirmé cette position: les juges n'ont pas non plus été convaincus par les arguments de la plaignante. Ils ont adopté un jugement négatif et n'ont donc pas reconnu son droit à gérer tous les biens de la famille du dernier empereur russe. Ils n'avaient pourtant trouvé aucune preuve sérieuse pour affirmer avec certitude que cette femme n'était pas Anastasia.
Le tribunal ne pouvait pas compter sur les témoins principaux de l'exécution de la famille du tsar car ils se trouvaient en URSS, derrière le Rideau de fer. Quant à l'Union soviétique, elle n'évoquait pratiquement pas le meurtre des Romanov par les bolcheviks: tous les documents relatifs à cette affaire étaient classifiés. La presse soviétique n'a rien rapporté non plus sur l'affaire Anna Anderson à l'étranger.
Suite à la fin de ce procès laborieux de 30 ans, Anna a publié le livre Je suis Anastasia ressemblant davantage à un roman qu'à une source historique.
Ensuite, Anna Anderson est partie aux États-Unis où elle a épousé en 1968 le professeur John Manahan, avec qui elle a fini sa vie dans l'État de Virginie.
Les historiens ont soulevé des questions sérieuses au milieu des années 1990, après la découverte dans les environs d'Ekaterinbourg d'un tombeau avec les restes de l'ancien empereur russe Nicolas II, de sa femme, de ses enfants et de leurs serviteurs proches. Leurs dépouilles ont été réinhumées dans la forteresse Pierre-et-Paul le 18 juillet 1998. La commission d'enquête publique a établi à l'époque qu'aucun représentant de la famille du tsar n'avait survécu.
Ces données n'ont pourtant pas modifié la position des experts russes, qui ont officiellement validé le 30 janvier 1998 un rapport présentant ce squelette comme celui de la princesse Anastasia. Ce texte historique, approuvé par beaucoup de signatures personnelles, était erroné: ainsi, on a transmis pour l'inhumation les restes de «Romanov Anastasia, née en 1899». Autrement dit, on a mis la date de naissance de la princesse Maria en face du nom d'Anastasia.
Qui plus est, une nouvelle exhumation des dépouilles de Nicolas II et des membres de sa famille a établi que les restes de la princesse Maria (Anastasia) et du prince Alexeï ne se trouvaient pas dans la tombe. Ce fait a agité l'opinion publique et suscité une nouvelle vague d'intruses qui se présentaient comme la princesse survivante.
Dans tous les cas, les dépouilles restantes des enfants du tsar ont été trouvées en 2007 à proximité de la fosse principale, alors qu'Anna Anderson avait indiqué dans son testament la volonté d'être incinérée. Ainsi, son appartenance présumée à la famille Romanov reste toujours un mystère.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.