Des Gilets jaunes au Mexique, ça existe aussi? La réponse est oui.
Le 27 janvier dernier, au moins 100 personnes ont défilé dans la ville de Guadalajara en empruntant la tenue de leurs homologues français. Dans cette capitale de l'État du Jalisco, les «chalecos amarillos» ont manifesté contre les graves pénuries d'essence qui affectent le Mexique. Certaines ont aussi dénoncé la politique d'inspiration socialiste du président Andrés Manuel López Obrador (AMLO), entré en fonction en novembre dernier. D'autres manifestations seraient à prévoir.
Les Gilets jaunes de Guadalajara ont brandi des pancartes sur lesquelles étaient écrits des slogans tels que «Oui à la lutte contre le Huachicol sans que le peuple paie». Le Huachicol est le nom d'une boisson alcoolisée, mais fait ici référence au vol d'essence et de diesel, une pratique courante, de plus en plus dénoncée. Les personnes qui volent du carburant son appelés Huachicoleros. L'explosion d'un oléoduc qui a fait 125 morts, le 25 janvier dans l'Hidalgo, est directement liée à ce phénomène. L'oléoduc présentait une fuite, alors des habitants se sont présentés sur le site pour en récupérer. Le drame en a découlé.
Les Huachicoleros: un problème majeur au Mexique
La première manifestation de «chalecos amarillos» a cependant eu lieu dans la ville de Guanajuato, le 14 janvier dernier. Les quelques dizaines de manifestants avaient les mêmes revendications. Plusieurs d'entre eux ont fait savoir qu'ils désapprouvaient la stratégie mise en place par le président AMLO pour contrer le vol d'essence et de diesel. En effet, Andrés Manuel López Obrador a annoncé qu'il allait sérieusement s'attaquer au problème des Huachicoleros. Sa stratégie consiste essentiellement à soutenir les familles habitant dans les régions où plusieurs vols de carburant sont commis.
Les Gilets jaunes mexicains manifestent contre le Huachicol, mais aussi contre certaines taxes sur l'essence, comme l'ont fait au début leurs homologues français. C'est une similitude frappante entre les deux mouvements. Malgré des contextes très différents, la question énergétique semble être au cœur des revendications de plusieurs mouvements de Gilets jaunes à travers le monde. De même, les Gilets jaunes de l'Ouest canadien s'opposent à la taxe carbone affectant l'économie de l'Alberta. Cependant, les Gilets jaunes canadiens manifestent aussi contre l'augmentation des seuils d'immigration, ce qui n'est pas le cas de leurs confrères mexicains.
L'énergie, thème central des revendications des GJ?
Selon le diplômé de Science Pô Paris Davy Rodriguez, il y a toutefois peu de chances que les Gilets jaunes mexicains s'imposent dans le paysage politique au Mexique. M. Rodriguez s'intéresse particulièrement à l'Amérique latine et commente régulièrement l'évolution de ce type de mouvements sociaux sur la chaîne hispanophone de RT. Il développe son analyse:
«Pour ce qui est des Gilets jaunes à Guadalajara, le mouvement risque de ne pas prendre, ce qui s'explique par plusieurs raisons. D'abord, parce que le mouvement ne rassemble pas encore suffisamment de personnes et qu'une seule manifestation a eu lieu jusqu'à présent dans cette ville […] Il faut voir comment ça évolue, mais pour l'instant, c'est un micro- phénomène», a affirmé M. Rodriguez à Sputnik France.
Davy Rodriguez précise que les «chalecos amarillos» représentent une tendance marquée à droite sur l'échiquier politique. Les Gilets jaunes mexicains craignent qu'Andrés Manuel López Obrador n'appauvrisse davantage le pays avec sa politique socialiste. Ils mettent notamment en garde contre la «venezuealisation» du pays. «Le Mexique n'est pas le Venezuela», ont clamé des Gilets jaunes à Guadalajara.
Un mouvement condamné à disparaître?
Le fait que le mouvement soit marqué à droite aurait deux conséquences principales. Premièrement, les Gilets jaunes mexicains ne pourraient vraiment voir leurs rangs grossir sans la gauche, dont la capacité de mobilisation serait beaucoup plus grande. Deuxièmement, le fait qu'AMLO vienne tout juste d'arriver au pouvoir rendrait le mouvement moins légitime. Le nouveau Président n'aurait pas encore eu le temps de montrer ce qu'il pouvait faire. Pour obtenir des résultats, il faut du temps.
«Du fait que le pouvoir est clairement à gauche au Mexique, je ne vois aucune chance de mobilisation supérieure. Les gens de gauche ne s'y mêleront pas», estime Davy Rodriguez.
Le sociologue mexicain Saúl Sánchez, de l'Université de Guanajuato, partage en bonne partie l'analyse de Davy Rodriguez. Il croit également que les chances que le mouvement parvienne à s'imposer sont minces. Il confirme que les Gilets jaunes mexicains ne s'identifient pas aux «valeurs traditionnelles de la gauche latino-américaine», ce qui en ferait un mouvement plutôt isolé.
«Les Gilets jaunes ne font qu'imiter ce qui se passe en France. Ce sont aussi des personnes qui, en général, sont pour le fait d'accentuer le processus d'occidentalisation du Mexique», tranche Saúl Sánchez en entrevue.
Les Gilets jaunes mexicains demeurent donc bien différents de leurs homologues français, même si les deux mouvements ont centré quelques revendications sur le carburant. Il y a d'abord la différence de nombre: les Gilets jaunes français sont infiniment plus nombreux. Ensuite, les «chalecos amarillos» semblent beaucoup plus près de la droite libérale. Le programme d'AMLO que ces derniers contestent est à l'opposé de celui de Macron. Contrairement à de nombreuses gauches qui ont adopté le néolibéralisme en Europe, la gauche mexicaine reste assez sceptique face aux bienfaits supposés de la mondialisation.