Une quarantaine de femmes et d'hommes partis faire le djihad en Syrie. Entre 70 et 80 enfants, dont la majorité a moins de sept ans. Voici les composantes du groupe qui s'apprête à faire son retour en France, d'après les informations publiées le 4 février par Le Journal du Dimanche. Le gouvernement français était jusqu'ici opposé au retour sur le territoire national des djihadistes de nationalité française. Mais le retrait des troupes américaines et la situation délicate des Kurdes ont poussé Paris à revoir sa position.
M. Castaner, j'ai confiance dans le travail de la police, pas en votre politique. En octobre 2017, votre gouvernement reconnaissait que seuls 130 des 240 djihadistes de retour étaient incarcérés.
— Laurent Wauquiez (@laurentwauquiez) 4 février 2019
Je maintiens: les djihadistes ne doivent pas rentrer en France. pic.twitter.com/TMoVUF5VqO
Le 5 février, les États-Unis ont appelé les pays dont des ressortissants étrangers étaient détenus par les Forces démocratiques syriennes, à majorité kurdes, à les rapatrier afin de les juger chez eux. La France envisage de faire rentrer par avion ses djihadistes et leurs enfants plutôt que de les laisser disparaître dans la nature. Une décision qui a provoqué un flot de critiques de la part de l'opposition, des Républicains jusqu'au Rassemblement national, en passant par Debout la France. Bassam Tahhan, politologue franco-syrien, livre son analyse à Sputnik France sur les causes et les conséquences d'un tel rapatriement. Entretien.
Sputnik France: Plusieurs attentats, qui ont été perpétrés ces dernières années sur le sol européen, ont été organisés depuis la Syrie. Le retour de cette quarantaine de djihadistes, femmes et hommes, ne représente-t-il pas un danger pour la sécurité nationale?
Bassam Tahhan: «Il vaut mieux les avoir en France et les contrôler plutôt que de les laisser vadrouiller dans la nature. Il y va aussi de la dignité de l'État français. Ce sont des ressortissants français. Beaucoup parmi eux sont nés en France et ont été élevés en France. C'est là que l'on constate la responsabilité des gouvernements successifs. On a laissé se répandre le problème de l'islamisme durant des décennies. Nous n'avons pas vu venir le problème de la radicalisation. Et nous sommes en train de récolter ce que nous avons semé.»
Sputnik France: Vous dites d'ailleurs que ce problème ne fait que commencer…
Bassam Tahhan: «Les djihadistes restant en Syrie ne sont pas qu'à l'est de l'Euphrate et détenus par les Kurdes. Le gros des troupes est à Idlib. Avons-nous des informations précises sur le nombre de djihadistes français présents à Idlib? On ne peut pas à la fois les abandonner à leur sort tout en empêchant l'armée syrienne de rentrer dans la ville. Si tel était le cas, il y aurait moins de djihadistes car morts au combat. Soyons pragmatiques. Notre guerre n'est pas contre Assad. Elle est contre les djihadistes.»
Sputnik France: Parmi les 130 Français concernés «une quinzaine» ont été transférés des camps kurdes aux autorités irakiennes que la France juge souveraines pour les juger. Pourquoi ne pas en faire de même avec Damas?
Bassam Tahhan: «Pour cela il faudrait que la France considère le gouvernement de Damas comme légitime et en droit de juger les Syriens comme les étrangers qui ont commis des crimes sur son sol. Il faut que la France réhabilite Assad et qu'elle ait des relations normales avec Damas. Car non seulement ils peuvent nous aider à régler le problème des djihadistes français mais aussi des problèmes sécuritaires pour l'avenir de la France. En ce moment, nous voyons d'ailleurs un rapprochement franco-égyptien qui va dans ce sens. L'Égypte essaiera probablement d'obtenir des renseignements de Syrie pour les fournir à Paris. Pourquoi ne pas y aller franco et directement parler avec Damas? Mais ce n'est pas la vision promue par les "experts " qui conseillent Macron et qui ont conseillé avant lui les gouvernements successifs depuis la catastrophe libyenne.»
Sputnik France: Entre 70 et 80 enfants seront du voyage. La majorité a moins de sept ans. On ne peut pas les laisser en Syrie. Mais ils ont été endoctrinés…
Bassam Tahhan: «D'abord, je ne pense pas que ces enfants représentent le seul danger d'attentats en France. Des gens qui n'ont jamais mis les pieds en Syrie et en Irak sont radicalisés. Ces enfants sont Français, ils relèvent de notre responsabilité morale et de notre État. Il faut régler de manière plus globale le problème de la radicalisation en France. Sinon on se dirige tout droit vers Djihad sur Seine. Ce problème demeure entier. Tant que l'Occident n'aura pas donné son feu vert et contribué à régler le problème d'Idlib, vous êtes sûrs que des attentats seront perpétrés dans le monde, en Europe et plus particulièrement en France. Il y a un terrain propice. Toute l'exclusion, la mauvaise politique des banlieues, la non intégration d'une partie des populations musulmanes sont un terrain fertile pour les Frères musulmans, Wahhabites et autres radicaux.»
Sputnik France: L'avenir de ces enfants après leur retour, c'est la famille proche, la famille d'accueil ou le foyer. Le département de Seine-Saint-Denis prend actuellement en charge 36 jeunes «revenants» de Syrie. C'est un territoire qui est particulièrement touché par la radicalisation islamiste. Ne joue-t-on pas à un jeu dangereux?
Bassam Tahhan: «Le plus gros problème de ces enfants n'est pas leur endoctrinement mais les traumatismes psychologiques auxquels ils ont dû faire face, toutes les horreurs qu'ils ont vécu. Je pense que les placer dans un autre milieu leur permettrait de voir autre chose que du sang et des décapitations. J'ai foi en l'homme. Mais je suis d'accord que cela représente un danger s'ils sont placés au mauvais endroit. La solution est dans la formation d'éducateurs pour la déradicalisation. Et c'est l'échec qui caractérise la politique française dans ce domaine. Tant que l'exécutif continuera d'écarter des spécialistes qui ne pensent pas comme l'Élysée ou la place Beauvau, nous aurons des problèmes.»
Sputnik France: Concernant les adultes, certains ont déjà été condamnés et purgeront leur peine. D'autres seront présentés à un juge d'instruction et mis en examen. Une partie ira en garde en vue. Les peines encourues pour association de malfaiteurs à but terroriste sont sévères. Mais on ne sait pas combien de temps ces djihadistes resteront en prison. De plus, certains établissements carcéraux sont touchés par des problèmes de radicalisation. Ne craignez-vous pas un cheval de Troie?
Bassam Tahhan: «Il y a un risque mais ce n'est pas une raison de baisser les bras. Il faut au contraire combattre ce phénomène et plus nous en serons conscients, plus nous pourrons le dominer. Il faut, au plus haut niveau, une commission de spécialistes compétents dans les domaines qui relèvent de ce terrorisme, qui travaille et qui remette un rapport sur les solutions à mettre en place pour s'en sortir. Ce n'est pas la solution sécuritaire qui va régler le problème mais l'éducation. Il faut agir dans les prisons, créer des postes d'islamologues dans les universités etc. Sans tout cela, je crains le pire.