Tahhan: «Netanyahou et Macron jouent un jeu dangereux en Syrie à des fins électorales»

© AFP 2024 Jalaa Mareyla frontière d'Israël avec la Syrie
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L’État hébreu a frappé plusieurs cibles du gouvernement syrien et de son allié iranien. Officiellement, Israël dit avoir répondu au tir d’un missile vers son territoire. Le politologue franco-syrien Bassam Tahhan a livré son analyse de la situation à Sputnik France. Il y voit des impératifs stratégiques et… électoraux.

La tension est-elle montée d'un cran entre l'Iran et Israël? L'État hébreu a frappé dans la nuit du 20 janvier plusieurs cibles du gouvernement syrien et de son allié iranien. D'après Tsahal, il s'agissait d'objectifs appartenant à la Force al-Qods des Gardiens de la Révolution, située à l'aéroport de Damas et d'entrepôts de munitions, d'un centre d'entraînement et d'un autre de collecte de renseignement. Des batteries syriennes ont également été visées, selon le lieutenant-colonel Jonathan Conricus, porte-parole de l'armée israélienne.

​Officiellement, ces attaques répondaient à un tir de missile iranien visant Israël. Eyal Zisser, vice-recteur de l'université de Tel-Aviv et cité par La Croix, pense que les prochaines élections qui auront lieu le 9 avril en Israël jouent un rôle dans cette décision. C'est également le cas du politologue franco-syrien Bassam Tahhan. D'après lui, Benjamin Netanyahou, se sachant empêtré dans un scandale de corruption, veut montrer ses muscles avant le scrutin, tout en testant les nouvelles capacités de défense aérienne de Damas. L'expert pense également que la décision de la France de rester en Syrie malgré le retrait américain a beaucoup à voir avec la situation politique précaire d'Emmanuel Macron. Entretien.

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Sputnik France: Comment analysez-vous ces frappes israéliennes?

Bassam Tahhan: «Elles obéissent à des impératifs électoraux pour Benjamin Netanyahou. Il fait l'objet de soupçons dans des affaires de corruption. Les élections approchent en Israël et il est en difficulté. Il se positionne donc en dirigeant d'un pays qui doit faire corps contre un ennemi extérieur. Il se pose en protecteur d'Israël. C'est de la surenchère. D'autant qu'il a obtenu des garanties de Poutine afin que les Iraniens qui sont en Syrie se tiennent à distance respectable de la frontière israélienne. Ce qui rend d'autant plus étranges les déclarations de l'État hébreu qui dit que ces frappes ont été menées en riposte à un tir de missile sol-sol vers Israël de la part des Iraniens présents en Syrie.»

Sputnik France: Il n'y avait donc pas d'objectifs militaires?

Bassam Tahhan: «La seconde raison est à chercher du côté de la défense contre l'aviation (DCA) syrienne. Suite à l'abattage de l'avion russe en septembre dernier et pour lequel la Russie avait accusé Israël, Moscou a doté la Syrie de nouvelles armes antiaériennes, dont les célèbres S-300. Mais il y a également les systèmes Bouk-2 avec des radars très performants ou les Pantsir, plus anciens, mais néanmoins efficaces. Tout cet attirail permet à Damas d'avoir une DCA solide.

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D'ailleurs, beaucoup des missiles tirés par Israël ont été interceptés. Sans compter qu'il existe également des missiles iraniens en dehors des armes de fabrication russe.» La Syrie est maintenant capable d'intercepter en vol des missiles lancés de la Méditerranée par des navires de guerre comme ceux tirés par les avions eux-mêmes. Israël teste donc cette défense dans la perspective d'une éventuelle guerre avec la Syrie. En cas de conflit armé, il est toujours mieux de savoir de quoi dispose l'ennemi. C'est ce manque d'information qui avait mis Israël dans une grande difficulté lors des premiers jours de la guerre de 1973

Sputnik France: Vladimir Poutine ne risque-t-il pas de voir d'un mauvais œil ces attaques sur ses alliés?

Bassam Tahhan: «Les relations sont tendues. Maintenant, il est tout de même difficile de savoir quelles cibles ont réellement été visées par Israël. Les médias occidentaux accordent malheureusement une très grande crédibilité à la parole de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme, un organisme basé en Angleterre et qui est très peu crédible. Je pense que ce n'est pas dans l'intérêt d'Israël de continuer à agir de la sorte. Si les Iraniens ont réellement tiré vers Israël, il s'agissait d'un test. Mais imaginez que le Hezbollah et la Syrie tirent quelques 2.000 missiles par jour vers Israël.

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L'État hébreu serait acculé et poussé à utiliser la force nucléaire. Mais vu la configuration géographique de ces pays et la proximité qu'il y a entre eux, la moindre frappe atomique aurait des répercussions catastrophiques dans toute la région. Et elles toucheraient également Israël. C'est un jeu dangereux auquel joue Netanyahou, en grande partie pour des raisons électorales. Ce qui est d'ailleurs aussi le cas de Macron.»

Sputnik France: Que voulez-vous dire?

Bassam Tahhan: La France a décidé de rester [en Syrie, ndlr] malgré le retrait américain. Pourquoi? Tout d'abord, à l'instar de Netanyahou, Macron est en difficulté au niveau intérieur. La crise des Gilets jaunes n'en finit pas et certains en viennent à demander sa démission ou sa destitution. On questionne même la possibilité qu'il finisse son mandat. Il fait donc un coup d'éclat au niveau de la politique extérieure. Un moyen de bomber le torse et d'endosser le costume du chef de guerre qui ne quitte pas la Syrie. Paris dit rester pour combattre Daesh.

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La France est surtout dans l'espoir d'avoir une place à la table des prochaines négociations concernant la Syrie et la région. Et en ce qui concerne les Kurdes, rester est leur faire un cadeau empoisonné. Tôt ou tard, les soldats français devront s'en aller. C'est avec Damas que les Kurdes doivent négocier. Ils ont appris une bonne leçon avec la ville d'Afrine qui est occupé depuis un an par les Turcs. S'ils n'autorisent pas l'armée syrienne à rentrer dans les zones qu'ils défendent, c'est sans doute la Turquie qui le fera.

Sputnik France: Il y a également des intérêts financiers en jeu…

Bassam Tahhan: «Les Français voient un marché de choix dans la région. Notamment pour leurs canons Caesar, qui coûtent plusieurs millions d'euros l'unité. Ces armes ont déjà été installées en Irak. Paris en a vendu plusieurs dizaines à l'Arabie saoudite. Et maintenant, elle veut les vendre à l'Irak. Mais c'est un jeu dangereux. Une fois les États-Unis partis, la France va rester isolée. Et l'espace aérien syrien pourrait devenir périlleux pour les avions de chasse français. Paris a déjà énormément de mal à vendre ses appareils. Commercialement, cela serait terrible si la DCA syrienne venait à descendre un Rafale.»

 

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