«Le pouvoir d'achat par habitant devrait croître de plus de 1,5 % cette année, soit le chiffre le plus élevé depuis douze ans. Sur cinq ans, de 2015 à 2020, le pouvoir d'achat moyen pourrait croître d'environ 6 %.»
En pleine crise des Gilets jaunes, l'optimisme est de mise du côté de la Banque de France. Comme le rapportent nos confrères des Echos, François Villeroy de Galhau, le gouverneur de l'institution s'est voulu rassurant lors de son audition du 16 janvier par les sénateurs en annonçant ces données positives.
🔷#Villeroy «Le pouvoir d’achat par français devrait croître de plus de 1,5 % cette année, soit le chiffre le plus élevé depuis 2007. Sur cinq ans, de 2015 à 2020, le #pouvoirdachat moyen pourrait croître d’environ 6 %.» https://t.co/PVpFAz5AN3
— Banque de France (@banquedefrance) 16 января 2019 г.
Mais vont-elles bénéficier à tous les Français? Et dans quelles mesures sont-elles exactes? Très compliqué d'y répondre. Sputnik France tente d'y répondre à l'aide de certains éléments qui, malheureusement, risquent de freiner l'enthousiasme général.
Un calcul de l'indice des prix à la consommation décrié
Tout d'abord, ce chiffre est une moyenne. Il prend donc en compte les effets de la réforme de l'impôt sur la fortune (ISF). Ce dernier ne concernait que 358.000 ménages en 2017. Si l'on enlève les 120.000 ménages qui devraient s'acquitter de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) pour l'année 2018 selon des données provisoires publiées en août l'année dernière, «seuls» 238.000 ménages profiteront pleinement de la suppression de l'ISF.
Les Echos notent cependant que la hausse du pouvoir d'achat ne devrait pas bénéficier qu'aux nantis. Les annonces faites en décembre par le Président Macron afin de calmer la colère des Gilets jaunes devraient avoir un impact sur le portefeuille d'une partie des Français. Le locataire de l'Élysée a mis 10 milliards d'euros sur la table afin de financer, entre autres, une hausse de la prime d'activité, une annulation de la hausse de la CSG concernant les retraités percevant moins de 2.000 euros par mois ainsi qu'une exonération d'impôts et de cotisations sociales sur les heures supplémentaires.
François Villeroy de Galhau souligne que ce train de mesures devrait «avoir un impact positif sur l'activité économique en 2019, à hauteur de 0,1 à 0,2 point de PIB» quand les têtes pensantes du Crédit Agricole prévoient un impact de 0,7 point sur le pouvoir d'achat global.
Reste une donnée essentielle dans le calcul de la Banque de France. Si le pouvoir d'achat pourrait ainsi augmenter, c'est grâce à une inflation plus faible. En effet, l'Insee prévoit un ralentissement de l'augmentation de l'indice des prix qui devrait atteindre les 1% à la mi-2019. La baisse des prix du pétrole devrait notamment jouer un grand rôle.
Sauf que plusieurs économistes remettent sérieusement en cause les calculs de l'organisme statistique français de référence. C'est notamment le cas de Philippe Herlin. En octobre dernier, nous recevions le Docteur en économie du conservatoire National des Arts pour son dernier ouvrage «Pouvoir d'achat, le grand mensonge» (édition Eyrolles). Environ 150 pages explosives qui remettent en cause des décennies de statistiques fournies par l'Insee sur le pouvoir d'achat et bien sûr… sur l'inflation.
«Le pouvoir d'achat est aussi devenu un thème sur lequel s'exprime un fort scepticisme à l'égard des chiffres publiés, car les ménages ne se contentent pas de revendiquer l'amélioration de leur pouvoir d'achat; ils mettent en doutent les statistiques qui soutiennent que celui-ci augmente», indique un rapport du Conseil d'analyse économique cité par Philippe Herlin.
Et pour cause, l'Insee annonce régulièrement l'augmentation du pouvoir d'achat des Français d'une année sur l'autre et ce depuis des décennies. Mais ses méthodes de calcul méritent d'être questionnées.
Sans parler du fait que la liste des produits composant l'indice des prix à la consommation (IDC) est tenue secrète, le Docteur en économie a relevé plusieurs éléments troublants. Tout d'abord, le fait «de ne pas prendre en compte le coût du crédit à la consommation». Les Français sont pourtant massivement endettés. Fin mars 2018, l'endettement des particuliers représentait 93 % de leur revenu disponible d'une année. Les crédits immobiliers composent la majeure partie de cet endettement avec environ 80%.
Le logement, parlons-en. C'est un autre biais méthodologique épinglé par Philippe Herlin:
«Le grand absent de l'indice des prix est l'acquisition d'immobilier, même pour sa résidence principale car il ne s'agit pas, nous dit l'Insee, d'une dépense de consommation mais d'un placement.»
Malgré des taux de crédit exceptionnellement bas qui oscillent autour des 1,45% en moyenne, l'Observatoire des prix immobiliers (LPI) a noté une hausse des prix de l'immobilier en 2018 et ce pour la quatrième année consécutive: 3,5% de hausse moyenne dans l'ancien et 2,3% dans le neuf. Acquérir un logement reste un poste de dépense très élevé pour un ménage.
En 2018, le nouveau prix moyen d'acquisition d'un bien #immobilier est de 213 705 euros soit 2.4 % d'augmentation par rapport 2017 #ConfC21 #CENTURY21
— CENTURY 21 Pierrimo (@C21_DRANCY) 7 janvier 2019
Quid de ceux qui n'ont pas les moyens de devenir propriétaires? Au premier janvier 2017, seuls 58% des ménages français étaient propriétaires de leur résidence principale. Mais les loyers sont également quasiment exclus du calcul de l'IDC tant leur part est sous-estimée. C'est ce que rappelle Philippe Herlin dans son livre: «Mais alors au moins les loyers sont-ils pris en compte? Même pas, enfin si mais pour une part ridicule de 6%!» Avant de citer un extrait de «Pour comprendre le pouvoir d'achat et l'indice des prix», l'Insee en bref:
«La part des loyers dans l'indice de prix est de 6%. Cela représente actuellement la part de ces dépenses dans l'ensemble de la consommation des ménages. Il s'agit d'un taux moyen, calculé pour l'ensemble des ménages, qu'ils soient locataires ou propriétaires. De fait, les loyers pèsent beaucoup lourdement dans le budget des ménages locataires.»
«D'abord, d'après l'Insee, le poids des dépenses contraintes, passé de 12,4% du revenu disponible en 1951 à près de 30% en moyenne 2017, ne cesse de s'accroître dans un mouvement qui s'explique pour "plus des trois quarts" par la hausse des coûts liés au logement», nous informe Le Figaro. Sachant que dans certaines villes où la situation du logement est «tendue» comme à Paris, Lyon ou Bordeaux, cette part peut monter bien plus haut. Le taux de 6% calculé par l'Insee semble bien faible au regard de la réalité de millions de ménages français.
#inflation Mensonge d'état.#INSEE complice des gourvernements.
— Mike 1er (@Mike_1er) 28 novembre 2018
Dissimule 20% de perte de #PouvoirdAchat depuis 20 ans. #manipulation de l'#IPC.
— Minimise la hausse de l'immobilier
— Magouille les prix avec "l'effet qualité"#GiletsJaunes #1decembrehttps://t.co/pYZASrYzSr
Autre outil bien commode pour limiter l'inflation selon Philippe Herlin: l'effet qualité. Sous ce terme abscons se cache une pirouette statistique de choix que l'économiste décrit ainsi:
«Prenons un exemple: le nouvel i-Pad d'Apple coûte le même prix que l'ancien mais — attention — comme il est plus puissant que le modèle précédent, l'Insee considère que "vous en avez plus pour votre argent" et inscrit dans sa base un prix en baisse inférieur au prix affiché.»
Ne se limitant pas aux produits technologiques, l'effet qualité concerne chaque année jusqu'à «un quart des produits de l'indice» selon l'économiste. 2019 devrait donc voir 1,5% de hausse du pouvoir d'achat… Mais en moyenne et qui plus est basé sur un chiffre de l'inflation dont le calcul s'avère discutable… Il semble prématuré de crier cocorico au pays du coq.