Sur l'avenue Habib Bourguiba, en plein cœur de Tunis, le 14 janvier est devenu un rituel processionnel. Les éditions se suivent et se ressemblent. Au gré des années, quelques petits ajustements viennent côtoyer d'autres constantes comme les parades des forces politiques, les vendeurs de friandises et de petits drapeaux à 50 centimes. Les speakers corners, du nom de l'espace prisé par les orateurs dans le Hyde Park londonien, sont peu à peu tombés en désuétude. De plus en plus de Tunisiens s'y hasardent en famille, témoignant ainsi d'une certaine «dépolitisation» de la journée célébrant le départ du Président Ben Ali, chassé du pouvoir il y a huit ans après un soulèvement populaire. Et c'est depuis les terrasses des cafés que les regards curieux comme nonchalants se posent sur le déferlement des forces politiques et sur les bisbilles des militants qui se transportent, le temps d'une journée, sur la place publique, après avoir fait des plateaux télévisés leur lieu de prédilection.
Plusieurs centaines de militants serpentent dans les ruelles adjacentes à l'avenue Bourguiba. Là, dans l'enceinte délimitée par la statue du père de la sociologie, Ibn Khaldoun, d'un côté, et par la Cathédrale de Saint-Vincent de Paul, de l'autre, plusieurs dizaines de militants du Front populaire sont déjà rassemblés. Le nouveau cortège s'ébranle après une «jonction» physique tant célébrée dans la littérature de la gauche tunisienne depuis les années 60.
Quelques pas encore et les slogans protestataires changent de ton et gagnent en virulence. De l'autre côté de l'avenue, ce sont les militants du mouvement islamiste Ennahda qui attendent le cortège de pied ferme. Séparés par un cordon de policiers, les deux groupes s'affrontent par joutes verbales. Le président du mouvement islamiste, Rached Ghannouchi, est traité d'«assassin», faisant ainsi allusion aux meurtres terroristes qui ont frappé deux figures de la Gauche tunisienne en février et juillet 2013.
Les ricanements des Nahdaouis leur répondent, dont les gestes décrivent un cercle en forme de zéro en allusion au «faible» poids électoral de la gauche tunisienne qui a réalisé un score de 3,6% (contre 27,7% pour Ennahda) aux dernières élections de 2014. Dans son impétuosité, le face-à-face a phagocyté la visibilité d'autres formations politiques, s'adonnant au tractage sous les tentes blanches installées entre les deux rives de l'avenue. Affaibli, le parti présidentiel de Nidaa Tounes préfèrera ainsi regarder ses deux principaux adversaires se neutraliser.
«Cette année, il n'y a pas eu de sortie officielle en raison de quelques problèmes internes, du coup, c'était différents groupes qui ont défilé séparément», avoue à Sputnik un député du parti présidentiel.
La divulgation de l'existence d'un présumé organe secret lié au mouvement Ennahda et qui serait impliqué dans des assassinats politiques a fini par exacerber les tensions, les antagonismes, les tentatives de récupérations politiques… et le brouillage des cartes.