[texte initialement publié le 16/05/2018]
La suppression de la taxe d'habitation (TH) pour tous ne donnera pas lieu à une nouvelle création d'impôt: sur le plateau de Franceinfo, le 10 mai, Gilles Le Gendre ne pouvait se montrer plus catégorique. Brandissant la promesse de campagne d'Emmanuel Macron de baisser d'ici la fin du quinquennat la dépense publique de 3 points du PIB, le député LREM de Paris affirme que
«Nous savons qu'in fine- et le gouvernement a été très clair là-dessus- la compensation, au bout du bout du bout, se fera par des économies et non par la création d'un nouvel impôt.»
«Je vous vois sceptique», lance juste après Gilles Le Gendre à Jean-Michel Apathie. Et il y a de quoi. En effet, Dominique Bur et Alain Richard, deux hauts fonctionnaires mandatés par Édouard Philippe, lui ont remis la veille un rapport sur la refonte de la fiscalité locale. Et le constat est sans appel: le produit de la taxe d'habitation- et donc le manque à gagner pour le bloc communal (communes et intercommunalités)- à 26,3 milliards d'euros.
Un montant bien loin des 18 milliards d'euros, estimés en janvier, au moment où l'exécutif annonçait la généralisation de la suppression de la TH, sans même parler des 10 milliards annoncés durant la campagne présidentielle.
La suppression de la taxe d’habitation sera compensée par des économies et non par la création d’un nouvel impôt. Nous débarrassons les communes d’un impôt mal fichu et impopulaire! @franceinfo
— Gilles Le Gendre (@GillesLeGendre) 10 mai 2018
Alors, où trouver les 8 milliards de différence, d'autant, comme le souligne M. Apathie, que le gouvernement n'a pas encore lancé de vaste plan d'économies? Pour pallier cet important manque à gagner pour les communes (pour certaines, près d'un tiers de leur budget de fonctionnement), que le gouvernement a promis de compenser à l'«euro près», Dominique Bur et Alain Richard avancent deux scénarios.
Le premier consisterait à redistribuer la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) —perçue par les départements- au bloc communal, le tout complété par l'attribution d'une fraction d'un impôt national (TVA, CSG, ou TICPE, la taxe sur les carburants). Un jeu de vases communicants, qui affaiblirait les départements met en garde Manon Laporte, avocate fiscaliste et conseillère régionale LR Ile-De-France.
Le second préconise une compensation financière totale via l'un de ces impôts nationaux aux communes et intercommunalités.
Quel que soit le cas de figure, le compte n'y est pas, selon Manon Laporte:
«De toute façon, dans les deux scénarios, le transfert des nouveaux produits s'élève à hauteur de 25 milliards: il manque 1,3 milliard. Donc, a priori, il faudrait compléter. Donc, soit une réduction des déficits, soit une augmentation de la TVA ou de la CSG»,
explique la fiscaliste, pour qui le risque de voir la TVA augmenter est «réel». Une augmentation qu'elle évalue entre un demi et un point, rappelant que par ailleurs, la CGS vient tout juste d'augmenter de 1,7 point.
«Ce sont des impôts à assiette large, la TVA et la CSG touchent tout le monde, donc cela a une rentabilité rapide, massive, cela a un très beau taux de rendement, cela permet de tout de suite combler le déficit.»
Joël Giraud, rapporteur général du Budget, explique qu'en plus, «avec la croissance et la reprise de la consommation des ménages, les revenus de la TVA augmentent mécaniquement», relate Le Parisien, qui se demande en passant ce qu'il adviendrait dans le cas où cette croissance ne serait pas au rendez-vous.
Malgré tout, augmenter la TVA serait une solution de facilité, d'autant que les impôts indirects sont un mode de financement souvent présenté comme «indolore». Indolore et justement réparti sur l'ensemble de la population, c'est pourquoi ce financement via la TVA a été préféré par le Comité des finances locales (CFL) à une part de l'impôt sur le revenu (IR). Un impôt, qui comme le rappelle Manon Laporte, n'est supporté en France que par 46% des foyers fiscaux.
Pourtant, nos confrères n'évoquent pas clairement l'hypothèse d'une augmentation de la TVA, se contentant de reprendre les termes du rapport sur la refonte de la fiscalité locale, qui évoque l'«affectation d'une part de TVA» ou encore la possibilité de «compenser le solde par une fraction de TVA».
Pourtant, ce même rapport de 153 pages rend compte d'une équation particulièrement difficile à résoudre. Il faut d'une part attribuer aux collectivités des ressources en cohérence avec leurs missions, les 26,3 milliards d'euros à trouver, tout en respectant leur autonomie financière et d'autre part respecter l'équité entre les contribuables, le tout sans créer de nouveaux impôts ni toucher au mille-feuille administratif, Emmanuel Macron excluant tout «nouveau big bang territorial».
Bref, la plus grande incertitude plane encore sur le financement de la suppression de la taxe d'habituation. Un flou qui pousse les collectivités locales à la méfiance, d'autant que leurs dotations de la part de l'État sont en baisse régulière. Aussi, lorgnent-elles déjà sur une augmentation de la taxe foncière pour compenser le prévisible manque à gagner. Une taxe foncière qui pourrait de toute façon flamber dans l'ancien si la réforme des valeurs locatives cadastrales prévue par l'État voit le jour. Des propriétaires qui, en parallèle, continueront à payer une surtaxe au moins équivalente à la taxe d'habitation sur les résidences secondaires.
Moins délocalisables que les détenteurs de capitaux mobiliers, les détenteurs de foncier sont des vaches à lait de choix:
«Vous savez très bien que ceux qui paient le plus d'impôts, ce sont les propriétaires, parce qu'ils ont une assise immobilière. Il faut qu'on trouve d'autres moyens de taxer ceux qui ont une assise immatérielle et mobilière.»
En fin de compte, ce sont les petits propriétaires de leur logement, par la possible hausse de la taxe foncière et les classes modestes et moyennes, si la hausse de la TVA se concrétise, qui seront les plus impactés par la disparition de la TH. Une constante pour l'ex-ministre de l'Économie de François Hollande, dont le quinquennat a été marqué par pas moins de 50 milliards de hausses d'impôts et de taxes.
«La taxation des classes moyennes n'est pas terminée, puisqu'on a vu qu'il y avait une kyrielle de petites mesures, de petites augmentations d'impôts —la hausse du tabac, des mutuelles, du gasoil, des métaux précieux- qui finalement touchent les classes moyennes également.»
Pourtant, si tous les Français pourraient avoir à payer la note, peut-on reprocher à Emmanuel Macron voulu en finir avec un impôt inéquitable?
«La taxe d'habitation est totalement injuste, puisque vous avez des contribuables qui peuvent payer un impôt totalement différent alors qu'ils habitent la même ville, en fonction d'un immeuble, d'un quartier différent. Il y a une inégalité devant l'impôt, liée aux valeurs cadastrales qui n'ont pas été révisées depuis 1970. Cela fait 20 ans qu'on le dit, la Cour des comptes l'a encore rappelé il y a quelques années, donc il serait temps effectivement de faire une réforme.»
Ceci, bien sûr, si le Président ne nourrit pas quelques arrière-pensées électoralistes. Hasard du calendrier, la pleine application de cette mesure surviendra au moment des élections municipales (2020), départementales et régionales (2021). Si les maires sortants sont contraints d'augmenter les impôts locaux pour compenser leurs baisses de ressources (TH et dotations de l'État), cela pourrait bien faire les affaires de nombreux candidats En Marche!
«Il veut déboulonner les maires, on sait très bien que derrière ce sont les maires qui sont visés», appuie Manon Laporte, qui endosse là son costume de responsable politique.
De plus, alors que l'on sera à moins d'un an des prochaines présidentielles, inscrire à son bilan le succès de sa mesure la plus populaire de sa campagne de 2017 serait indéniablement une bonne affaire pour Emmanuel Macron:
«S'il arrive à supprimer la taxe d'habitation, comme il l'entend, je pense qu'il regagnera les élections,» estime Manon Laporte.