[Article initialement publié le 16/01/2018]
«C'est un témoignage intéressant […] sachant qu'on n'avait pas grand monde sur place. […] tout ce qu'il m'a promis il l'a fait, je n'ai jamais eu de promesse en l'air», témoigne Antoine Marriotti de France 24.
Entrepreneur, reporter de guerre, chroniqueur, «fixeur» (guide et intermédiaire local) pour des correspondants étrangers en Syrie, Jean-Pierre Duthion a longtemps été un personnage incontournable pour les médias français travaillant dans la région.
Qui mieux qu'un habitant de Damas pour raconter le quotidien des Syriens? Jean-Pierre Duthion n'est pas un expert de la chose militaire, ni un chercheur, ni un diplomate, ni surtout un militant. Jean-Pierre Duthion est seulement un témoin, un homme d'affaires français venu en Syrie par hasard en 2007, mais qui resta dans le pays, en plein cœur de la guerre, jusqu'en 2014. Jovial, beau-parleur, grande gueule, «JP» nous a donc reçus un matin dans sa ferme normande, pour un entretien qui s'est prolongé jusqu'à tard, à refaire le monde.
Arrivé dans le pays en 2007, profitant de l'ouverture récente du pays à l'économie de marché, Jean-Pierre Duthion avait aidé à l'implantation de plus d'une cinquantaine de franchises, essentiellement françaises et américaines, dont Virgin, et Carrefour. Mais patatras, la fièvre des printemps arabes gagna aussi Damas:
«Dès le début des évènements, dès les tout premiers jours, tout s'est arrêté d'un coup, plus un appel, plus un client, c'est comme si tout le monde sur place avait compris que ce ne serait pas un simple épisode.»
D'autres, plus raisonnables, auraient décidé de partir, mais son frère et lui décident plutôt d'ouvrir un bar lounge à Damas pendant la guerre: rien d'impossible pour JP. Inconscience? Goût du danger? Plutôt amour de l'adrénaline et du défi. En Syrie, il avoue s'être fait beaucoup d'ennemis, en y contant un récit différent de la doxa du Quai d'Orsay. Tout a commencé pour lui un jour en 2013, où il constate que des médias occidentaux font des «directs» concernant de terribles répressions, place des Abbassides, à Damas, à proximité de chez sa fiancée.
Jean-Pierre Duthion décide alors de s'y rendre, mais trouve la place vide de manifestants. Sans hésiter, il saisit son téléphone et poste plusieurs photos du lieu sur Twitter, en Français et en Anglais. La BBC, SkyNews, La Republicca, France 24, Paris Match et une trentaine d'autres médias le contactent immédiatement. Le début de sa carrière journalistique.
Le climat ambiant étant moins propice aux affaires, Duthion, un des seuls Français habitant dans la capitale syrienne, se reconvertit dans le journalisme, présenté tour à tour comme consultant, correspondant, chroniqueur et «fixeur». Un parcours singulier qui va de pair avec un discours hétérodoxe en France.
Les premières manifestations en 2011? «Des épiphénomènes relayés abondamment par les médias occidentaux». La diplomatie française en Syrie? «Quand ils ont réalisé qu'ils s'étaient trompés sur la Tunisie, ils n'ont pas voulu rater le coche en Syrie». L'attaque chimique de la Ghouta en 2013 qui a failli provoquer une intervention occidentale? «Un problème de logique.»
Duthion évoque ainsi l'arrivée la veille des inspecteurs de l'ONU à Damas, pour vérifier les dépôts d'armes chimiques, la Ghouta se situant dans la périphérie de la capitale, des armes chimiques qui auraient très bien pu alors atteindre le centre de la capitale, et ce alors même, toujours selon lui, que la plupart des soldats loyalistes n'ont même pas de gilet pare-balles.
Afin de contrer à l'avance les tweets des intellectuels visionnaires favorables à l'opposition et notamment à l'Armée Syrienne Libre, de Nicolas Hénin à Raphaël Glucksmann, signalons d'emblée que Jean-Pierre Duthion n'est pas un zélé défenseur du président syrien. Compliqué de l'étiqueter «pro-Assad» lorsqu'il ose déclarer en direct sur RMC dans l'émission d'Éric Brunet depuis Damas que «le régime syrien est un régime sanguinaire» et qu'il continue aujourd'hui de proclamer que «c'est un régime d'attardés». Si sa vie dans le pays s'est terminée par un séjour de quatre jours dans les geôles damascènes, il admet sans ciller qu'il n'a jamais cru à la «rébellion modérée».
Sur l'accusation d'être un propagandiste français de Bachar al-Assad, insinuée tout au long de cet article de l'Obs, j'ai souhaité en avoir le cœur net en contactant deux journalistes avec qui il a travaillé à Damas: Antoine Mariotti de France 24 et Marion Mertens de Paris Match. Le premier est venu à Damas, la veille de l'attaque chimique de la Ghouta en 2013 et témoigne sur son fixeur d'alors:
«Il ne jouait pas les experts militaires, il ne s'est pas présenté comme directeur de recherche. Je suis Français, j'habite à Damas voilà ce que je vois, voilà ce que je ressens, voilà ce qui se passe autour de moi.»
Et Mariotti de dire ce qu'il en était des relations de Duthion avec les autorités: «quand on est fixeur, on est forcément en lien avec les autorités», ne serait-ce que pour la délivrance de visas pour les journalistes. Mais ajoute-t-il, il serait «caricatural de dire que c'était un soldat du régime ou un sous-fifre». Et le journaliste de France 24 de conclure: «par contre, il avait "les boules", parce qu'il avait des amis qui évidemment étaient décédés parce qu'ils avaient pris des mortiers.»
Quant à Marion Mertens, elle souligne que l'intérêt de la chronique de Jean-Pierre Duthion sur le site de Paris Match, c'était d'avoir «son point de vue sur ce qu'il se passait, de la vie civile alors que le pays bascule dans la guerre». Et elle confirme la perception du personnage rencontré, «assez drôle, cultivé et foutraque» ainsi qu'un «type assez libre et qui n'est pas du tout conformiste».
Incontournable pour les journaux et télévisions européennes, il a déjà fait l'objet en 2013 de plusieurs portraits de la part de M6, avec Enquête Exclusive ou de L'Obs. Il a tenu également cette chronique régulière sur le site de Paris Match, Good Morning Damascus pour témoigner de son quotidien dans la capitale syrienne, partagé entre fêtes et attentats. En tant que fixeur, il a pu faire venir dans le pays sept médias français durant la crise des armes chimiques, il s'est rendu également sur quarante-cinq lieux d'attentats à la bombe et a accompagné des unités lors d'assauts plus d'une vingtaine de fois, que ce soit dans la vieille ville d'Homs, à Alep ou dans la banlieue de Damas.
Son départ de Damas est rocambolesque, digne du Bureau des Légendes. Arrêté par les forces de l'ordre syriennes, il séjourne en prison durant quatre jours au motif officiel de ne pas avoir ses papiers en règle. Mais selon Duthion, c'est une autre histoire, il n'aurait pas accepté de «bakchicher» une tierce personne. Après quelques jours passés au cachot, il est libéré et expulsé du territoire grâce à l'intervention de la consule de France au Liban, aidé sur place par l'ambassadeur de Roumanie en Syrie, d'abord dans un pick-up «où il entend les balles de snipers siffler», puis dans un convoi des forces de sécurité syriennes, accompagnées par la sécurité roumaine jusqu'au Liban.
La Syrie, c'est terminé pour lui jusqu'à nouvel ordre: il fait l'objet d'une interdiction de territoire. Il partage son temps entre Paris, où après un bref passage à Beyrouth, il est désormais consultant média pour divers clients, des politiques et des pays du Moyen-Orient et les décors verdoyants de Normandie, dans une ferme rénovée bien loin des tumultes de la guerre et du fracas des armes. Dépaysant tableau pour JP, qui même s'il se rend régulièrement au Moyen-Orient pour ses affaires, avoue que la Syrie lui manque depuis son départ en 2014 et qu'il serait «évidemment» prêt à y retourner.