La réalité virtuelle (VR) a le vent en poupe. En témoignent, les nombreuses ouvertures de parcs d'aventure basés sur cette technologie. À l'occasion du dixième anniversaire du studio Backlight, qui a notamment produit trois jeux (Far Reach, Éclipse et Projet T) pour le tout nouveau parc d'attractions VR Illucity, Sputnik a interrogé Frédéric Lecompte, cofondateur de Backlight, afin de mieux comprendre l'évolution de la réalité virtuelle en France.
Sputnik: Vous fêtez vos dix ans cette année. Quelle analyse Backlight porte-t-il sur son segment réalité virtuelle?
Frédéric Lecompte: «On clôt l'année de nos dix ans avec une belle traction sur la réalité virtuelle. Cela fait quatre ans que l'on est sur la réalité virtuelle moderne, c'est-à-dire celle qui se diffuse avec les masques d'immersion. On s'est positionné sur ce nouveau marché lorsque les masques sont apparus. En effet, la réalité virtuelle est un sujet qui est bien plus ancien que la réalité virtuelle à travers ces masques. Les premiers prototypes datent des années 60.
On se développe très fortement depuis quatre ans sur la réalité virtuelle. Auparavant, on faisait de l'animation 3D, puis on est passé en 2010 à la réalité augmentée (AR). Néanmoins, la réalité virtuelle a changé la donne au niveau de notre société. On a énormément de demandes sur notre cœur d'activité, qui est la création de contenu pour les marques. Désormais, on se diversifie sur le secteur du divertissement en réalité virtuelle.»
Sputnik: De plus en plus d'entreprises utilisent des solutions VR ou AR, mais une enquête Capgemini expliquait que celles-ci avaient une préférence pour la réalité augmentée. Est-ce que vous ressentez cette appétence pour l'AR sur les projets que vous développez avec elles?
Frédéric Lecompte: «Oui et non. On a vu qu'il y avait beaucoup de demandes sur la réalité augmentée. Je pense qu'il y a un petit côté "buzz" sur la technologie. Tout le monde s'est mis à parler de réalité augmentée grâce à Pokémon Go. Ensuite dans la foulée, il y a ARCore et ARKit qui sont apparus pour les téléphones mobiles qui permettent de faire de la réalité augmentée un peu plus poussée et un peu plus intéressante. En termes d'usage, on ne voit pas la différence entre ce que l'on fait maintenant et ce que l'on faisait en 2010. Il y a un petit côté engouement irrationnel, sûrement appuyé par des études. En effet, il y a beaucoup d'estimations qui ont été faites par les cabinets de prévision économique qui disaient que la réalité augmentée allait être encore plus importante que la réalité virtuelle […]
Niantic présente une démo #PokemonGO où la réalité augmentée prend en compte les objets réels #AR pic.twitter.com/CIW95TfqkO
— Mathieu Flaig (@MathieuFlex) 1 juillet 2018
Aujourd'hui, ce que l'on constate en termes d'applications professionnelles, c'est qu'elle fait sens dans l'industrie dans tout ce qui va être maintenance sur des machines par exemple. Tandis que la réalité virtuelle, on le voit dans toutes les sollicitations et les projets que l'on fait, on va la retrouver dans la communication, dans l'immobilier, dans l'information, dans la santé, dans le divertissement. Je ne rejoins donc pas l'engouement général sur la réalité augmentée.»
Sputnik: La VR est omniprésente, néanmoins un studio comme Starbreeze et sa filiale StarVR [qui devait sortir un casque VR, ndlr] rencontre des difficultés financières. Comment expliquer que malgré le potentiel de la technologie, elle ne s'est pas encore totalement démocratisée?
Frédéric Lecompte: «Le grand public n'a pas encore répondu présent pour plusieurs facteurs. C'est une techno qui coûte cher, ensuite elle n'est pas "plug and play" [les appareils VR nécessitent une installation fastidieuse, donc on ne peut pas simplement les brancher puis jouer directement, ndlr]. On se rend compte qu'il y a encore peu de personnes qui connaissent la réalité virtuelle et surtout peu de personnes l'ont essayé, que ce soit avec le casque PlayStation VR ou des expériences sur mobile. Tous ces facteurs combinés font que l'adoption est lente, mais elle est aussi normale lorsque l'on regarde la courbe d'adoption de n'importe quelle technologie. La courbe d'adoption de la réalité virtuelle est même plus rapide que les technos précédentes, donc c'est normal que cela prenne du temps pour atteindre le grand public et pénétrer les foyers.»
Sputnik: Vous proposez plusieurs expériences VR pour le parc Illucity comme Far Reach, Eclipse et Projet T. Le fait d'être un studio français a-t-il joué en votre faveur?
Frédéric Lecompte: «Au-delà du simple chauvinisme, en France, on a vraiment un niveau en termes de qualité de création qui est reconnu mondialement. C'est pourquoi le choix d'Ymagis [à l'origine du projet Illucity, ndlr] s'est porté principalement sur des sociétés françaises. […] Il y a un vrai gros niveau de qualité en France, pas seulement chez nous à Backlight, mais aussi pour tous les autres studios.
Il suffit de regarder la sélection du Festival de Venise dans la catégorie VR pour constater que la moitié des projets étaient, soit produits par des boîtes françaises, soit il y avait des Français à la production ou à la production exécutive. La France est historiquement très bien placée sur tout ce qui est lié à la création digitale que ce soit en animation ou dans le jeu vidéo. C'est donc tout à fait naturel que sur la réalité virtuelle, le savoir-faire français se développe et que les boîtes françaises se positionnent comme les prestataires des créateurs de qualité.»
Sputnik: On sent un intérêt croissant des Français pour les parcs d'aventure. Selon vous, est-ce l'avenir de la VR?
Frédéric Lecompte: «Il y a un vrai engouement pour la VR de qualité, le grand public voit tout de suite l'intérêt et le potentiel de la techno. Pourtant, peu de personnes connaissent la VR. Ce marché du divertissement que l'on appelle Location based VR est reconnu par beaucoup comme étant la passerelle qui va faire connaître la réalité virtuelle au grand public.»
Sputnik: Si on s'amuse à faire un peu de prospective, dans 10 ans comment voyez-vous évoluer les marchés de la VR et de l'AR?
Frédéric Lecompte: «Dix ans c'est loin! Mais je verrai bien des casques hybrides qui proposeraient donc de la VR, mais également de l'AR. Vu comment les choses évoluent, ça ne me paraîtrait pas insensé. D'ailleurs, cela serait aussi une évolution logique, puisque la réalité virtuelle reste un territoire d'hybridation. Quand on développe ou conçoit un projet VR, on va utiliser des mécaniques qui viennent du cinéma, du jeu vidéo, du parc d'attractions pour composer une expérience. Si jamais le grand public doit adhérer à la réalité virtuelle, on sera déjà à un tel niveau de maturité du marché qui fera que normalement le tout le monde aura un casque de réalité virtuelle chez lui.»