Écologie dans les médias, «un exercice périlleux et forcément subjectif»

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Un «collectif de journalistes pour le climat» a été lancé par Médiapart, Politis, Reporterre, la revue Projet et Basta! Il vise à renforcer la visibilité de l’écologie dans ces médias. Christophe Magdelaine et Paul Piccarreta, directeurs des revues traitant d’écologie Notre Planète et Limite nous donnent leur avis sur cette initiative.

«Parce que l'idée d'un travail en commun s'est imposée, nous avons constitué un groupe de journalistes sur le climat» déclarent d'une même voix Reporterre, Mediapart, Politis, la revue Projet, Basta!

Ces cinq médias se sont associés fin novembre pour lancer une campagne commune autour du réchauffement climatique. Cette initiative permettra d'étudier l'impact de la crise climatique sur l'agriculture, l'environnement, l'alimentation, l'énergie et la santé. À cette occasion, ils publient conjointement plusieurs articles sur des sujets variés: sur les effets du réchauffement climatique dans les Alpes françaises, sur les territoires pastoraux abandonnés par l'État, sur la précarité énergétique dans le 93, sur la propagation de la dengue, sur le rôle de sentinelle climatique de l'huître, ou encore sur la menace qui pèse sur les moules.

Ces médias justifient leur initiative par la volonté de donner plus de visibilité aux thématiques environnementales, alors que les articles traitant d'écologie dans les grands médias restent souvent isolés.

«Notre rôle, en tant que journalistes, est de donner la parole à ces observateurs, de raconter ce dérèglement global à hauteur de femmes et d'hommes, tout en recueillant un maximum d'informations et de données scientifiques sur les conséquences du dérèglement» déclarent-ils dans une tribune commune.

Christophe Magdelaine, directeur de publication de Notre planète, un média en ligne spécialisé sur les problématiques environnementales, soutient cette initiative, qu'il juge positive.

Il met cependant en garde contre les difficultés que rencontrent les journalistes lorsqu'ils traitent d'écologie:

«Interroger les hommes sur les manifestations du changement climatique est un exercice périlleux et forcément subjectif. En outre, les journalistes ne brillent pas toujours par leur recherche d'impartialité et peuvent contribuer à délivrer un message éloigné de la réalité.»

Lorsqu'on lui demande si le journalisme spécialisé dans l'écologie est de droite ou de gauche, il évoque le dépassement d'une lecture politique binaire et pointe le désintérêt des gouvernements successifs pour les questions environnementales:

«Difficile de répondre à cette question, tant le clivage droite/gauche est de plus en plus flou et de plus en plus rejeté par les Français, qui ont du mal à se positionner. À mon avis, l'écojournalisme transcende les positions politiques, tout comme l'écologie n'est ni de droite ni de gauche, mais devrait être une priorité pour toutes les familles politiques.
Malheureusement, des partis de droite comme de gauche ou du centre ont largement démontré le peu d'intérêt qu'ils avaient pour l'écologie, comme en témoignent les décisions irresponsables des gouvernements sous François Hollande comme chez Emmanuel Macron.»

Quant aux grands médias, Christophe Magdelaine ne croit pas en leur expertise et les accuse même de produire de fausses nouvelles, dues au manque de rigueur scientifique.

«Les grands médias se sont emparés bien tardivement de l'écologie, alors que la société civile, les scientifiques et les médias indépendants alertent depuis plus de quarante ans sur l'urgence environnementale. Maintenant, [les grands médias, ndlr] en parlent massivement, malheureusement avec beaucoup trop d'approximations et de contre-vérités.
Par exemple, la vindicte populaire actuelle contre les voitures électriques, les porte-conteneurs et les avions accusés de polluer davantage que les voitures au gazole trouve ses racines dans les fake-news des grands médias. Le bilan me semble donc contradictoire: les médias contribuent à la fois à la démocratisation de la question environnementale tout comme à sa régression.»

Le constat en termes de désastre écologique est alarmant et la sensibilisation à laquelle a participé la sphère médiatique n'a pas porté ses fruits. Christophe Magdelaine en appelle donc à un sursaut qualitatif au sein des grands médias, pour augmenter l'impact de la prise de conscience et accélérer ainsi la transition écologique.

«La diffusion massive d'information en écologie n'a pas eu les effets escomptés: quasiment tous les indicateurs environnementaux sont au rouge et continuent de se dégrader tandis que l'ignorance et la confusion progressent sur ces sujets, comme en témoignent les nombreuses discussions consternantes en écologie sur les réseaux sociaux. Je reste convaincu que les médias peuvent jouer un rôle important, mais encore faudrait-il qu'ils soient à la hauteur des enjeux et des connaissances scientifiques. Pour beaucoup, l'écologie n'est qu'un sujet comme les autres, traité par des journalistes sans compétences ou connaissances spécifiques.»

Paul Piccarreta, directeur de la rédaction de la revue d'«écologie intégrale» Limite, confirme le rôle important des médias dans la sensibilisation à l'écologie, tout en en limitant la portée:

«En ce qui concerne les médias, nous avons un rôle dans la prise de conscience, au sens où nous pouvons montrer très concrètement des voies possibles à emprunter pour changer quelque chose dans nos vies. C'est à peu près leur seul rôle, pour le reste, cela s'appelle la révolution, et nous en sommes encore loin.»

Il pointe également l'importance d'articuler la dimension individuelle et collective dans la perspective d'un changement de système:

«La transition écologique est tout à la fois une histoire de prise de conscience individuelle et de changement global. Dans ce dernier cas, c'est le rôle des États et des méga-entreprises, qui ne sont pas pressés de changer quoi que ce soit, ne subissant que très peu les effets de la crise écologique.»

Paul Piccarreta souligne le fait que si les problèmes environnementaux sont abordés sous un angle distinct selon les sensibilités politiques, les réponses à apporter devraient néanmoins être transpartisanes et communes.

«Il y a de toute évidence une sensibilité "de droite" et une sensibilité "de gauche" dans la manière d'aborder la question écologique. Mais la première évidence est que la catastrophe écologique nous réclame tous, au-delà de nos sensibilités.»

Christophe Magdelaine va dans le même sens et conclut en réclamant une union large contre le changement climatique et pour la transition écologique.

«L'urgence climatique est l'affaire de tous, avant de s'indigner contre le pouvoir, nous sommes les premiers leviers d'action pour construire un monde meilleur.»

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