«C'est une injustice qui a été fomentée depuis plus d'un an aujourd'hui, et donc nous ne pouvons pas accepter cela. Je leur demanderais tout simplement, comme ils se prennent pour les tout-puissants, les officiels de la CAF, pareil comme à la FIFA, qu'ils continuent à faire ce qu'ils font.
Comme pour cette légende du football africain, la nouvelle a pris les Camerounais par —mauvaise- surprise.
Dans cet espace commercial de la capitale Yaoundé, des citoyens massés devant un poste téléviseur suivent attentivement le match pour la 3e place de la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) de football féminin, opposant les lionnes indomptables du Cameroun au Mali. C'est devant ce match qu'ils accueillent, la décision de la Confédération Africaine de Football (CAF). C'est notamment le cas de Jude, la quarantaine, un brin désabusé.
«Je n'arrive pas à croire. Donc avec tous les efforts là, on nous a retiré la CAN? Si c'est confirmé, alors là je suis vraiment déçu. Nous étions sur la bonne voie et tout le pays attendait déjà cet événement pour vivre encore un grand moment de joie.»
Non loin de là, de jeunes vendeurs de drapeaux, gadgets et effigies des lions indomptables du Cameroun sont aussi désemparés. Ils comptaient sur la grand-messe du football continentale pour faire de bonnes affaires.
«Comment ils ont pu nous faire ça? On comptait sur la CAN pour vendre. J'avais déjà renouvelé mon stock de marchandises. Le Président a dit qu'on sera prêts. Le président de la CAF est passé devant nous ici à Yaoundé. Qu'est-ce qui n'a pas marché?» lance Ahmed, l'air furieux.
Déception, indignation et interrogations, partagées globalement dans l'opinion. Léandre Nzié, journaliste sportif camerounais, a également reçu cette nouvelle comme «un coup de massue»:
«C'est une grosse déception pour le jeune journaliste que je suis, après avoir vécu l'engouement que l'organisation d'une telle fête a créé dans des pays comme le Gabon et la Guinée. J'aurais personnellement voulu aussi vivre cela chez moi au Cameroun, mais hélas, ce ne sera pas pour cette fois-ci et c'est bien dommage.
La douleur est énorme: en 1972, nous n'étions pas nés, en 2016 lors de la CAN féminine, on avait vu les prémices de la ferveur qu'une pareille organisation peut créer, donc on s'est dit que pour la CAN masculine, se serait la totale. Malheureusement, ça ne sera pas le cas.»
Le chroniqueur sportif cache mal son amertume vis-à-vis de cette décision jugée «sévère» de la confédération africaine de football.
«Je pense que cette décision est très sévère quand on sait que lorsque le Cameroun obtient l'organisation de cette CAN, il n'est aucunement question d'accueillir autant d'équipes [24 équipes, ndlr].
Mais le Cameroun a accepté sans condition de conserver cette organisation avec un cahier de charge différent que celui du départ [16 équipes, ndlr], donc je pense que la CAF aurait du faire preuve d'un peu plus d'indulgence vis-à-vis du Cameroun vu qu'elle avait le temps.»
«C'est malhonnête. Il [Ahmad Ahmad, ndlr] a fait un aller et retour au Cameroun, qui lui a permis de rencontrer le chef de l'État, avec l'objectif d'humilier notre Président? Il pense pouvoir faire du mal à notre chef de l'État ou à notre peuple, il se trompe largement. Il s'attaque à M. Issa Hayatou, il peut faire ce qu'il a fait?»
Beaucoup d'observateurs semblent convaincus d'une soif de vengeance de l'actuel patron de la CAF à l'égard d'Issa Hayatou, ancien président de l'instance, qui a retiré à Madagascar l'organisation de la CAN 2017 des moins de 17 ans pendant son règne ou encore le désir du président de la CAF de renvoyer l'ascenseur à ses bienfaiteurs marocains, principaux soutiens de son élection, et dont le pays est pressenti pour être le plan de secours de la confédération. Une thèse largement répandue dans l'opinion au Cameroun et partagée par Mathias Eric Owona Nguini, politologue.
«L'équipe dirigeante de la CAF était dans une démarche de tout faire pour attribuer la CAN 2019 à un pays autre que le Cameroun et cette démarche est apparue à partir du moment où le cahier de charges a été alourdi, en faisant passer d'une CAN de 16 à une CAN de 24. Du début jusqu'à la fin du processus, le président de la CAF a toujours fait état de ses doutes vis-à-vis de la capacité camerounaise à organiser la Can 2019 dans les délais.»
«D'une part, elles peuvent sembler justifiées, mais on sait aussi que la CAF avait un compte à régler avec le Cameroun. Mais de toute façon, nous payons principalement le prix de notre forfaiture interne. Nous sommes les principaux responsables de notre situation.
Même si la CAF avait un plan contre nous, c'est nous qui avons donné le fouet pour nous faire battre. C'est un problème d'abord interne, c'est un problème de gouvernance, c'est un problème d'incompétence, c'est problème de management» souligne Richard Makon, analyste politique camerounais.
Le gouvernement camerounais a réagi samedi 1er décembre, par la voix de son porte-parole. Issa Tchiroma Bakary crie à l'injustice.
«Face à cette injustice flagrante, le Gouvernement de la République demande au Peuple camerounais de garder toute sa sérénité et de ne pas céder à la tentation des polémiques stériles.»
Cinq fois champion d'Afrique et détenteur actuel du titre, le Cameroun n'a organisé la CAN qu'une fois, en 1972. En septembre 2014, le Comité exécutif de la confédération africaine de football désignait le pays des Lions indomptables comme pays-hôte de cette édition 2019. Une édition devenue particulière par la suite, car étant la première à se dérouler durant l'été et à réunir non pas 16, mais 24 équipes.
La situation sécuritaire au Cameroun est actuellement très tendue alors que le pays subit des attaques persistantes des djihadistes de Boko Haram dans le nord du pays et un conflit en cours entre l'armée et des séparatistes dans les deux régions anglophones du pays. La Coupe d'Afrique des nations 2019 devrait avoir lieu en juin prochain.