Voilà des chiffres dont le gouvernement se serait bien passé. Alors que le mouvement des Gilets jaunes trouve un soutien de plus en plus fort au sein de la population, deux études sont venues coup sur coup attester que la hausse des impôts et des taxes, ainsi que la baisse généralisée du pouvoir d'achat des Français, n'étaient pas qu'un «sentiment».
Figurant en 4e position il y a 10 ans, légèrement devancée par le Danemark, la Belgique et la Suède, la France se place aujourd'hui largement devant ses voisins européens. En effet, si la part des prélèvements dans la richesse nationale belge a progressé, elle s'est globalement maintenue au Danemark et en Suède. Dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni et la Norvège, la part de ces prélèvements obligatoires dans le PIB a même baissé. En matière d'évolution, de tous les pays de la zone euro, seule la Grèce fait pire que l'hexagone.
«Aujourd'hui, il y a deux préoccupations- très liées- qui obsèdent les Français: c'est leur pouvoir d'achat et c'est le niveau des prélèvements obligatoires et des taxes, qui est jugé très élevé, voire insupportable pour certains Français»,
Huit jours avant la parution des données de l'Office européen des statistiques, l'OFCE publiait sur le site de l'INSEE un dossier faisant état d'une diminution du pouvoir d'achat de presque tous (90%) les Français entre 2008 et 2016. «Le revenu disponible moyen par ménage en euros constants serait, en 2016, inférieur de 1,2% à son niveau de 2008», explique l'organisme, soit en moyenne 440 euros de revenus disponibles en moins par ménage.
Une étude de l'OFCE qui prend le contrepied de celles de l'INSEE. Du moins de celles reprises par les médias, comme celle de janvier 2018, faisant au pire état d'une «décélération» du pouvoir d'achat des Français en 2017. Selon cette dernière étude annuelle de l'office public français, le pouvoir d'achat des Français aurait augmenté (+1,3%) en 2017 «moins fortement» qu'en 2016 (1,8%).
Des statistiques en contradiction avec le ressentit des Français qui, dans un sondage BVA, étaient près de 68% a estimer que leur pouvoir d'achat a «plutôt diminué au cours des 12 derniers mois.»
Point intéressant du rapport, on remarque que ceux qui (jusqu'en 2016) ont le plus perdu en matière de revenu disponible sont les 5% des ménages les plus aisés, accusant un recul moyen de leur revenu disponible annuel de 5.600 euros, dû à l'augmentation des cotisations, contributions sociales et des impôts.
À l'inverse, ceux qui ont le plus gagné sont les deux premiers vingtiles (1/20e soit 5%), soient les 10% de ménages les plus modestes: les 5% des Français les plus pauvres ont ainsi vu leur pouvoir d'achat s'accroître de 450 euros et de 890 euros pour le vingtile supérieur.
Il s'agit bien sûr de moyenne, comme le souligne l'institut. Si 2/3 des ménages les plus pauvres- appartenant au premier vingtile- voient leur revenu disponible augmenter de 1.000 euros, le tiers restant le voit en revanche reculer de 600 euros, notamment à cause de la baisse de l'aide au logement et des prestations familiales.
«Si les pertes moyennes de revenu disponible restent modérées pour les ménages dont le niveau de vie est inférieur au 14e vingtile, elles sont significatives pour les ménages appartenant aux 35% les plus aisés. En moyenne, ceux-ci ont vu leur revenu disponible amputé de 1.900 euros du fait des mesures nouvelles. Cette perte est de 600 euros en moyenne pour les ménages du 14e vingtile et atteint 2.370 euros pour le 19e vingtile et 5.640 euros pour les 5% de ménages les plus aisés», notent les auteurs du rapport.
Du côté du gouvernement, on justifie l'importance des prélèvements fiscaux en France par la qualité des services publics, fustigeant ceux qui remettent en cause le sacro-saint consentement à l'impôt, comme ces commerçants qui appellent à ne plus prélever la TVA durant le mois de décembre.
«On doit expliquer aux gens ce qu'il y a en face de leur argent. Si personne n'en fait la pédagogie, nous finissons tous par croire que l'école, c'est normal que ce soit gratuit, que l'hôpital ce soit pour —beaucoup- gratuit […] que c'est normal que ce soit la collectivité qui paye.»
Pas forcément la plus pertinente des lignes de défense, car de même que la répartition des richesses entre les ménages n'est pas homogène, celles des services publics ou services sociaux dans les territoires ne l'est pas non plus, en témoigne par exemple la fermeture de nombreux services publics (gare, postes, hôpitaux, maternités, etc.) dans des villes petites ou moyennes ou la formation de déserts médicaux.
Ce chiffre reste cependant moindre que dans le département voisin de l'Yonne, où la densité médicale s'est effondrée de 16,7%, suivi de l'Indre et du Cher, avec respectivement 15,7% et 14,8% de médecins en moins.
Une inégalité qui renforce le sentiment qu'au final, certains Français n'en ont pas pour leur argent, tout particulièrement ceux vivant en dehors des grandes métropoles et qui sont confronté à la diminution des services publics.
«Les Américains, dont la colère était renforcée par l'absence de représentation, ont déclenché une sécession contre l'Empire britannique quand ils n'étaient fiscalisés qu'à hauteur d'un ou deux pour cent de leurs revenus environ. Selon l'historien François Hincker, les Français se voyaient quant à eux confisquer annuellement un peu plus de dix-huit jours de travail par la monarchie à la veille de la Révolution française.»
Avançant une étude de l'Institut économique Molinari publiée en juillet 2018, Ferghane Azihari souligne que le salarié moyen en France est aujourd'hui «exproprié» à hauteur de 56,7% de ses revenus, malgré une légère amélioration «liée à la mise en œuvre d'une partie des baisses de charges promises lors de la campagne présidentielle» soulignent les auteurs de l'étude. Ainsi, l'analyste estime qu'on ne parle plus d'une France championne d'Europe de la fiscalité, mais championne du monde.