«Je ne suis pas là pour les Gilets jaunes, mais pour casser»: qui a détruit les Champs?

© SputnikLes «gilets jaunes» entament l’acte 2 de la mobilisation à Paris, 24 novembre 2018
Les «gilets jaunes» entament l’acte 2 de la mobilisation à Paris, 24 novembre 2018 - Sputnik Afrique
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Plusieurs membres du gouvernement accusent l’ultradroite d’avoir été à l’origine de la majeure partie des violences qui ont émaillé la manifestation des Gilets jaunes à Paris le 24 novembre. La situation semble bien plus complexe. Gilets jaunes, ultragauche, ultradroite et jeunes de banlieues sont impliqués. Sputnik a tenté d’y voir plus clair.

Dès la mi-journée du 24 novembre, alors que des violences avaient déjà débutées sur les Champs-Élysées dans le sillage du rassemblement des Gilets jaunes, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner pointait déjà les coupables: «Les séditieux» de l'ultradroite «qui ont répondu à l'appel de Marine Le Pen». Il faisait référence à un tweet de la présidente du Rassemblement national (RN) publié le 23 novembre et qui interrogeait le gouvernement sur la possibilité laissée aux Gilets jaunes de se mobiliser sur les Champs-Élysées. Le 25 novembre, c'était au tour de Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, de s'exprimer pour le «Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI». Il avait alors dénoncé les «casseurs professionnels de la République» et a parlé de «peste brune» qui aurait manifesté sur la plus belle avenue du monde. Les mots sont forts. Mais sont-ils en accord avec la réalité?

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Des «leaders» de l'ultragauche

Dès le 23 novembre, nos confrères du Parisien révélaient le contenu d'une note confidentielle de la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP). Elle redoutait la participation de «80 à 120 militants de l'ultradroite et de 100 à 200 de l'ultragauche». D'après Europe 1, 200 militants appartenant à des groupuscules classés à l'extrême droite, tels que Génération identitaire, le GUD ou les royalistes de l'Action française auraient pris part aux débordements. L'essayiste sulfureux Hervé Ryssen, qui a fait l'objet de plusieurs condamnations, notamment pour antisémitisme ou encore le conseiller régional RN et ancien membre du GUD Axel Loutsau ont été aperçus sur les Champs-Élysées. «Les commandos étaient largement infiltrés, inspirés, manipulés par des membres de l'ultradroite qu'on a vus à l'œuvre», a déclaré le préfet de police de Paris Michel Delpuech au micro de CNews le 26 novembre.

​Pourtant, comme la rapporte Valeurs actuelles, les déclarations tenues par Christophe Castaner qui pointait la responsabilité de l'ultradroite ont fait vivement réagir jusqu'au sein du Service central du renseignement territorial (SCRT) et de la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP). «Ce n'est absolument pas le ton de ce qu'on a transmis au ministre», indiquent plusieurs sources à l'hebdomadaire. Bref, une exagération? c'est ce qu'estiment plusieurs commentateurs, peu suspects de connivence avec la «peste brune»:

«Les Français retiendront les images de la manifestation parisienne, commentées tant et plus par des chaînes d'information continue, dont les innombrables experts distinguaient doctement parmi les manifestants des militants d'ultradroite et des identitaires, au motif que surnageaient quelques drapeaux bretons ou vendéens», a souligné la journaliste Natacha Polony.

«Comme les médias et les politiciens ont abondamment usé de l'élément de langage "extrême droite" et qu'on ne sait plus comment nommer la véritable extrême droite, on se met désormais à parler d'"ultradroite"! La journée avait donc été une journée parisienne de violence à cause de l'ultradroite elle-même pilotée par l'extrême droite. C'était donc encore un coup du maréchal Pétain —BHL nous avait prévenus…», écrit pour sa part le philosophe Michel Onfray sur son site en faisant référence à une série de déclaration de Bernard-Henri Lévy.

Même Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise, a mis en doute la version du gouvernement. Il a saisi son clavier pour s'en prendre au ministre de l'Intérieur sur Twitter: «Castaner voudrait que la manifestation des Gilets Jaunes soit d'extrême droite et peu nombreuse. La vérité est que c'est la manifestation massive du peuple. Et ça, c'est la fin pour Castaner.»

​Europe 1 souligne d'ailleurs que «ces activistes d'extrême-droite ne feraient pas partie des personnes interpellées» par les autorités. Avant de donner plus de précisions sur le profil dominant des gardés à vue du 24 novembre: «homme européen, inconnu des services de police, âgé de 25 à 40 en moyenne, venu de province». En effet, si la plupart des Gilets jaunes ont montré une attitude pacifique, certains d'entre eux n'ont pas hésité à monter des barricades ou à lancer des projectiles sur les forces de l'ordre. Des images qu'a pu capter notre envoyée spéciale sur place.

D'autres, habitués des manifestations qui dégénèrent, ont profité de l'occasion pour semer le chaos: les militants de l'ultragauche. En effet, de nombreux casseurs issus de cette mouvance ont attaqué forces de l'ordre et enseignes. Des graffitis hostiles aux «flics», aux «fachos» et autres symboles anarchistes ont recouvert les murs des Champs-Élysées. Certains manifestants arboraient par ailleurs des drapeaux à l'effigie de Che Guevara, figure révolutionnaire très prisée de l'extrême gauche.

​Un préfet a livré son analyse des événements à Valeurs actuelles: «On voit monter cette ultragauche constituée de 3.000 à 10.000 personnes depuis deux, trois ans, elle est aujourd'hui totalement rompue à la violence. Des néonazis et des fachos, il y en avait à la manif, mais ce n'est pas trop leur mode opératoire.» Un témoignage qui corrobore celui d'un CRS présent le 24 novembre sur les Champs-Élysées et recueilli par l'hebdomadaire: «Les casseurs qu'on avait en face de nous, sont les mêmes qu'à Sivens ou à Notre-Dame-Des-Landes, dans les ZAD. Incontestablement, ce sont des anarchistes qui ne se font presque jamais attraper, comme les manifestants du 1er mai.»

Sans démentir la présence de casseurs issus de groupuscules d'extrême droite, le syndicat France Police —Policiers en colère va dans le même sens.

«France Police —Policiers en colère ne peut pas dire qu'il n'y avait pas de casseurs d'ultradroite, mais notre syndicat peut affirmer que les saccages les plus significatifs ont été perpétrés par des casseurs d'ultragauche, ces derniers ayant pris le soin de signer leurs actions», écrit le syndicat dans un communiqué publié le 26 novembre.

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D'après les informations de RTL, la grande majorité des 103 personnes interpellées après les violences du 24 novembre sont des «suiveurs» sans antécédents judiciaires qui se seraient laissés entraîner par des «leaders» qui «appartiendraient à l'ultragauche».
Mais les éléments les plus en colère des Gilets jaunes et les membres de groupuscules extrémistes n'étaient pas les seuls à vouloir en découdre. Alors que les services de renseignement ne semblaient pas s'inquiéter de la venue d'éléments violents en provenance des banlieues parisiennes, la fin de la manifestation leur a donné tort.

​Un sujet diffusé par BFMTV montre un homme s'exprimant au micro de la chaîne et expliquer les motivations de sa présence:

«Moi je suis pas là pour les Gilets jaunes. Moi je suis pour là casser, pour tout défoncer. Tout simplement. Je viens des banlieues, on vit la misère. On a toujours des problèmes avec la justice. Et aujourd'hui on vient se venger.»

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Un témoignage qui va dans le sens de celui d'Anthony*, professeur de mathématiques qui était présent place Charles-de-Gaulle en début de soirée et qui s'est confié à Sputnik France:

«Il y avait de très nombreux gamins de cité qui débarquaient de partout pour se payer des policiers et se mêler aux violences. L'ambiance était franchement déplorable et hostile vers 20 h 00. Des types allaient chercher des trottinettes électriques pour les jeter sur les flics.»

Selon le préfet de Paris, le bilan humain des affrontements du 24 novembre s'élève à «31 personnes blessées, 24 parmi les manifestants dont une plus sérieusement à la main- sans doute en voulant ramasser une grenade- et sept parmi les forces de l'ordre dont une personne assez sérieusement blessée». Michel Delpuech assure que les forces de l'ordre ont lancé 5.000 grenades lacrymogènes «plus de une par minute». Selon lui, «c'est du jamais vu.»

*le prénom a été changé

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