«Nous sommes sur le fil du rasoir avec une population très en colère. Alors oui, nous craignons des débordements. Les services de renseignements alertent depuis plusieurs années sur la situation explosive dans laquelle se trouve la France et qui peut déraper à tout moment.»
«Nous constatons que les manifestants radicaux ne sont plus du tout les mêmes que ceux présents le 17. Il y a désormais des activistes d'ultra-gauche comme des citoyens non-militants sensibles aux thèses complotistes et de l'extrême droite, avec une caisse de résonance sur la fachosphère. Cela reste toutefois des groupes non organisés et structurés, qui se fédèrent via les réseaux sociaux.»
Plusieurs appels à se rendre à Paris ont d'ores et déjà été lancés sur Facebook, le réseau social par lequel le mouvement des Gilets jaunes est né. L'un d'eux, nommé «Acte 2: Toute la France à Paris!» et lancé par Éric Drouet, l'un des initiateurs de cette fronde populaire, rassemble déjà plus de 200.000 personnes intéressées. «Plusieurs demandes ont été déposées pour organiser cette manifestation au Champ-de-Mars. Ce lieu offrant les conditions de sécurité nécessaires, il pourra accueillir les manifestants», annonçait pour sa part le ministère de l'Intérieur dans un communiqué publié le 22 novembre.
🇫🇷 Gilets jaunes: La manifestation de samedi à Paris se tiendra finalement au Champs-de-Mars. https://t.co/vV5R6g7MLS
— Actu17 (@Actu17) 22 novembre 2018
«On est inquiet que tout cela fasse tache d'huile. On sait très bien que plus un mouvement dure et plus le gouvernement se montre inflexible, plus le risque de radicalisation est fort. D'autant que c'est compliqué, sachant qu'il n'y a pas vraiment d'interlocuteurs ou de revendications claires», explique Axel Ronde.
La note des renseignements rapporte qu'à Langueux, dans les Côtes-d'Armor, le rassemblement des Gilets jaunes a été infiltré par des «membres militants de l'ultra gauche armés de barres de fer et de cocktails Molotov», comme le souligne Le Parisien.
Des casseurs se mêlent aux Gilets jaunes à Langueux https://t.co/Upl2sNfyK4
— Laure Pierre (@LAUREPIERRE) 20 novembre 2018
Alors les fameux Black blocks, du nom de ces membres de l'ultra-gauche devenus célèbres pour leurs exactions durant les manifestations, se joindront-ils à la mobilisation du 24 novembre? Pour Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France police-Policiers en colère, la possibilité est forte:
«En interne, ces mouvements se sont posés la question de savoir s'il était opportun de rejoindre une contestation qui est parfois décrite comme étant menée par des gens qui votent à droite. Selon nos informations, ils se sont dit que l'occasion était trop belle. S'ils veulent se joindre à la mobilisation de samedi, c'est pour deux raisons. La première est de casser et de créer des troubles à l'ordre public. Le deuxième est de discréditer les Gilets jaunes.»
«La crainte est plus que justifiée. C'est le risque avec les mouvements qui ne sont pas structurés. Certains groupuscules pourraient être tentés d'infiltrer le rassemblement et de commettre des violences, que ce soit des Black blocks ou des identitaires. Tout dépendra bien évidemment de l'ampleur de la mobilisation.»
Michel Thooris assure que les forces de l'ordre disposent d'atouts dans leur jeu, notamment via les services de renseignement, qui d'après lui sont en mesure d'identifier en amont les individus dangereux. Le défilé du 1er mai 2018 à Paris avait été émaillé de nombreuses scènes de violences. Environ 1.200 Black blocks, dont certains armés de cocktails Molotov, étaient parvenus à incendier un restaurant et un commerce avant d'affronter les forces de l'ordre. Le Parisien révélait alors qu'une note de la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris datée du 30 avril avait anticipé la présence de «400 à 800» membres de l'ultra gauche prêt à en découdre.
«À cette occasion, les manifestants les plus déterminés devraient se positionner en amont du carré de tête et pourraient s'en prendre violemment aux forces de l'ordre, dégrader du mobilier urbain et des symboles du capitalisme (agences bancaires et immobilières, concessionnaires automobiles, véhicules de prestige) […]», écrivait le renseignement dans le document révélé par le quotidien de la capitale. Un scénario qui s'est trouvé, au final, très proche de la réalité.
«Les autorités ont toute la latitude nécessaire pour agir. La majorité de ces gens sont identifiés. Il suffit de prendre des arrêtés contre telle et telle personne afin de l'interdire de se trouver à tel ou tel endroit le jour J. Et même si pour la plupart elles braveront cette interdiction, nous disposerions d'un cadre juridique pour les interpeller en amont», explique Michel Thooris.
«Déjà, le samedi 17, nous avons fini par avoir de la casse. Nous ne pouvons rien y faire et ce malgré nos demandes répétées pour que tout se passe bien. Nous ne sommes personne pour interdire à quiconque de venir. Il y aura toujours des casseurs.»
Selon Christophe Castaner, le locataire de la place Beauvau et son secrétaire d'État Laurent Nunez, un «dispositif de sécurité» sera mis en place pour protéger les «lieux sensibles» de la capitale. Le 17 novembre, plusieurs Gilets jaunes s'étaient retrouvés à 200 mètres des fenêtres de l'Élysée. Risque-t-on de les voir retenter le coup? Ou le dispositif sera plus sévère? Axel Ronde donne un début de réponse:
«Le dispositif policier évolue toujours en temps réel selon les remontées du terrain. Concernant le 17 novembre, les manifestants qui se sont approchés de l'Élysée ne représentaient aucune menace. L'ambiance était bon enfant. Les policiers ont donc été souples. Pour le 24, des quartiers risquent effectivement d'être bloqués, car les forces de l'ordre pourraient faire face à individus plus radicaux.»
«On est tout à fait capable de maîtriser des dizaines voire des centaines de milliers de manifestants et de rendre des périmètres totalement étanches. Après, tout dépend des consignes de la hiérarchie», déclare pour sa part Michel Thooris.
«Lors des manifestations étudiantes en 2006, beaucoup de jeunes issus des banlieues étaient venus sur Paris pour voler les étudiants. Ils se défendent peu, ont le dernier smartphone et sont des cibles faciles. Racketter un Gilet jaune paraît plus périlleux.»
Il affirme que les policiers peuvent agir en amont: «à l'époque, des collègues filtraient les RER qui arrivaient en provenance de banlieues, identifient les casseurs et les renvoyaient au point de départ.»
«La question principale est celle du maintien de l'ordre. Les appels sont lancés sur les réseaux sociaux. Les gens monteront sur Paris. Maintenant comment fait-on pour assurer la sécurité de ces manifestants qui, je le rappelle, sont dans leur très grande majorité pacifiques? Comment assurer la sécurité des forces de l'ordre qui seront prises pour cible? Comment arriver à maîtriser les différents groupes de casseurs? C'est le cœur du problème», conclut Michel Thooris.
*Le prénom a été changé