«C'est une catastrophe. Nous avons tous été très choqués. Je tenais tout d'abord à lui rendre hommage au nom de notre syndicat. Dire à toute sa famille toute l'admiration que nous avions pour elle. Quel gâchis… Tout ce talent que la police nationale a perdu, que nous avons perdu…»
Policière à la brigade anti-criminalité dans les Yvelines et âgée de 36 ans, Maggy Biskupski avait fait sienne la croisade de la défense des conditions de travail de ses collègues. Le 8 octobre 2016, deux véhicules de police étaient attaqués au cocktail Molotov à Viry-Châtillon, dans l'Essonne, blessant grièvement deux gardiens de la paix. La goutte d'eau qui a fait déborder un vase déjà bien rempli. A la suite du terrible événement, Maggy Biskupski décidait de fonder l'association Mobilisation des policiers en colère (MPC). Elle avait été à l'origine d'un élan inédit. Durant plusieurs mois, des milliers de gardiens de la paix en colère, équipés de leurs brassards «police» et pour certains le visage dissimulé, ont défilé la nuit à Paris ou en province. Malgré leur devoir de réserve, ils avaient décidé de montrer leur colère au grand public. Sputnik France avait pu couvrir plusieurs de ces rassemblements. Dans la vidéo qui suit, l'on peut voir Maggy Biskupski expliquer la démarche de ces «policiers en colère».
Mais son activisme lui a attiré bien des problèmes. Elle courrait les plateaux de télévision pour porter la voix de ses collègues et a parfois dû faire face à une opposition virulente. Une scène a particulièrement marqué les mémoires. Le 22 septembre dernier, Maggy Biskupski était invitée du plateau des «Terriens du samedi», émission diffusée sur C8 et animée par Thierry Ardisson. Le thème? Les méthodes policières. Un sujet explosif qui avait inspiré une tirade à l'écho désormais glaçant au chroniqueur Yann Moix:
«Si vous venez dire ici que les policiers ont peur, vous savez bien que la faiblesse attise la haine. Dire que vous chiez dans votre froc, alors que vous faites un métier qui devrait prendre cette peur en compte… […] Je trouve franchement que venir vous victimiser à longueur d'émissions de télévision non seulement vous ridiculise auprès de la population, mais vous ridiculise au carré auprès des populations que vous asseyez à longueur de journée par des humiliations. Car vos cibles préférées, ce sont les pauvres et les milieux défavorisés.»
La policière avait justifié cette peur le lendemain de la diffusion de l'émission sur RMC: «Je suis célibataire en région parisienne, je fais un métier qui m'expose et l'actualité des dernières années montre que l'on hésite plus à frapper du flic, même en dehors de notre profession. On est devenus une cible, aussi, pour les terroristes.»
En dehors de ces attaques, les prises de positions de Maggy Biskupski lui avaient valu d'être visée avec trois collègues par une procédure de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour «manquements» au devoir de réserve. Pour Axel Ronde, qui a rencontré à plusieurs reprises la policière, on touche là à un problème de taille:
«Le fait qu'elle ait été convoquée par l'IGPN pour des prises de parole alors qu'elle était représentante d'une association est inadmissible. Nous-mêmes, en tant que syndicalistes, nous avons fait les frais de ces techniques d'intimidation. Nous avons été auditionnés pendant de nombreuses heures pour nous expliquer sur nos prises de positions dans le cadre de nos activités syndicales. Personnellement, cela m'a valu des sanctions de la part de l'administration. Tout cela est usant. Je pense que Maggy Biskupski a été usée par ce rouleau compresseur qui s'est abattue sur elle et elle a craqué. Maintenant, il faut attendre les conclusions de l'enquête.»
Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, a réagi à la mort de la policière: «Je ne vais pas interpréter son geste, il y a une enquête […]. Quel que soit la cause de son geste, il est dramatique. Mais il faut entendre cette colère des policiers, je l'ai entendue.»
Entendue la colère? Axel Ronde en doute:
«Les autorités n'ont pas pris la mesure du problème. Elles refusent de voir certains syndicats et associations sur le sujet. Quelques-uns dits "majoritaires" sont reçus mais ce n'est pas le cas pour d'autres, comme nous, qui avons des propositions à faire. Sûrement par peur des répercussions que la mise en lumières des carences existantes dans la police pourraient provoquer.»
Il rappelle que les policiers, dont les effectifs ne représentent qu'une petite partie du nombre total de fonctionnaires, concentrent la grande majorité des sanctions administratives:
«Il n'est pas normal que nous nous fassions sanctionner à tour de bras. Nous ne sommes pas des desperados.»
En attendant, selon les chiffres de la police nationale, 30 policiers se sont donnés la mort depuis le 1er janvier 2018. Ils étaient 51 en 2017.