Financement de l’islam de France: «L’argent est le nerf de la guerre»

© AFP 2024 LIONEL BONAVENTUREThis picture taken on March 11, 2010 in Paris, shows the Islamic crescent at the entrance of the Paris Great Mosque.
This picture taken on March 11, 2010 in Paris, shows the Islamic crescent at the entrance of the Paris Great Mosque. - Sputnik Afrique
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Le gouvernement pourrait s’attaquer à la sacro-sainte loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État afin de mieux encadrer le financement de l’islam de France. Certains dignitaires religieux s’inquiètent. Pour Karim Ifrak, islamologue et chercheur au CNRS, l’État prend la bonne décision et entend lutter contre les financements étrangers.

Elle était réputée intouchable. Elle pourrait ne plus l'être demain. Le 5 novembre, le journal L'Opinion révélait des éléments sur un avant-projet de réforme de la loi de 1905 sur la séparation entre l'Église et l'État, texte fondateur de la laïcité républicaine. «Mais aucun texte écrit de projet de loi n'existe à l'heure actuelle. Le Conseil d'État n'a pas encore été consulté, ni les religions», a cependant déclaré une source citée par Le Figaro. Reste que ce dossier, mis en route sous l'ex-ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, a été pris en main par son remplaçant Christophe Castaner qui entend «porter» la réforme.

​L'idée principale du gouvernement est de s'attaquer au financement de l'islam. Actuellement, les mosquées de France sont administrativement régies par des associations loi 1901 à but «culturel» à l'inverse des lieux de culte des autres religions comme le catholicisme, le protestantisme ou le judaïsme qui ont comme support administratif des associations loi 1905, à but «cultuel». Cela signifie de meilleurs avantages fiscaux mais aussi plus de contrôle de la part de l'État.

Pour l'islamologue et chercheur au CNRS Karim Ifrak, le gouvernement a raison de s'attaquer au problème. D'après lui, il est nécessaire de mieux contrôler afin d'éviter les dérives islamistes induites parfois par des financements étrangers. Il s'est confié à Sputnik France.

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Sputnik France: Que pouvez-vous nous dire du financement de l'islam de France par des puissances étrangères?

Karim Ifrak: Cette question a toujours existé, elle est toujours débattue. La France n'a jamais trouvé de solution satisfaisante. Ces possibilités de financement sont la raison même pour laquelle nous avons assisté à la progression et au développement du salafisme et de l'islamisme. C'est un gros nœud. Et plusieurs gouvernements successifs se sont cassés les dents. Cependant, tout semble indiquer qu'il y a une volonté du Président et du gouvernement d'y mettre fin et c'est une bonne chose.

Sputnik France: Quels sont les pays qui financent?

Karim Ifrak: C'est un secret de polichinelle. L'Arabie saoudite, la Qatar, la Turquie, l'Iran et bien évidemment les pays du Maghreb ont toujours été dans la course.

Sputnik France: Tareq Oubrou, imam de Bordeaux, s'est récemment attaqué chez nos confrères du Point au Conseil français du culte musulman (CFCM) dont il accuse certains membres de n'être là «que pour entretenir l'influence de leur pays d'origine». Vous êtes d'accord?

Karim Ifrak: On pourrait être tenté d'être d'accord avec lui. Maintenant, c'est délicat. Lorsque l'on montre du doigt quelqu'un il faut avoir des preuves. Tout semble indiquer que des membres du CFCM poursuivent cette volonté d'entretenir des liens avec leurs pays d'origine. Mais c'est une situation complexe et il faut éviter les raccourcis.

Sputnik France: L'État envisage la création d'un label de «qualité cultuelle» qui serait validé ou retiré tous les cinq ans par les autorités. Ahmet Ogras, le président du CFCM, a confié à titre personnel au Figaro qu'il craignait que le passage d'association 1901 au statut de 1905 soit «très mal interprété» par les musulmans et que les crispations engendrées pourraient conduire à la formation «de lieux de cultes clandestins d'un islam radical». Partagez-vous ses inquiétudes?

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Karim Ifrak: Non. Je ne suis pas du tout de cet avis. L'idée de développer un label est quelque chose de très intéressant et de louable. La question est de savoir à quelles conditions serait octroyé un tel label. Mais ce n'est pas cet outil qui contraindra les mosquées récalcitrantes à rentrer dans le rang. Il ne faut pas perdre de vue que, jusqu'à aujourd'hui, l'islam de France a toujours évolué sans ce label. De plus, il se situerait dans un cadre législatif et toute loi peut être contournée ou détournée.

Sputnik France: Pour vous, aucune chance de voir se former des lieux de cultes clandestins?

Karim Ifrak: C'est un risque. Mais il ne faut pas imaginer que la France est un grand désert. Il y a des services très compétents qui veillent au grain et un cadre législatif. Les récalcitrants n'ont qu'à bien se tenir.

Sputnik France: Mgr Olivier Ribadeau Dumas, secrétaire général de l'épiscopat, a fait part de son inquiétude à nos confrères du Figaro quant à la possible mise en place du label de qualité soulignant que l'Église catholique déployait «son culte en France depuis 1.600 ans». Ne craignez-vous pas que l'État ne ravive des querelles religieuses?

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Karim Ifrak: Lorsqu'une grande éminence religieuse se prononce sur une telle question cela signifie qu'elle a des raisons de s'inquiéter. Maintenant, il faut rester pragmatique. Ce projet de réforme doit avancer au regard de l'arsenal juridique actuel. Il faut revoir les lois qui touchent au culte, notamment la loi de 1905. Reste qu'il faut faire attention à ne pas habiller Paul en déshabillant Pierre. Il faut éviter de provoquer du malaise. Ce changement de la loi impactera l'ensemble des religions de France. Ceci implique d'évoluer avec beaucoup de tact. Il faut bien réfléchir aux tenants et aux aboutissants avant de décider quoi que ce soit.

Sputnik France: Selon vous, mieux contrôler les financements contre plus d'avantages fiscaux est donc une bonne solution?

Karim Ifrak: Je reste convaincu que l'argent est le nerf de la guerre. Le fait de mieux contrôler permet d'endiguer le financement étranger qui a beaucoup profité au salafisme et à l'islamise. Cela affaiblira le pouvoir de l'islam consulaire. C'est-à-dire celui qui est géré par les représentations diplomatiques étrangères sur le sol français. L'on pourra également plus facilement contraindre les associations à plus de transparence. Les administrateurs des lieux de culte seront mieux protégés des assauts externes et prémédités des salafistes et des islamistes. De plus, ce meilleur contrôle des flux financiers qui sont souvent entourés d'une certaine opacité permettra de lever les suspicions qui collent parfois à l'image de l'islam de France.

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