Les tours anciennes du port de La Rochelle se marient parfaitement avec les mâts et le gréement de ce navire russe qui a été construit à la fin des années 1990 à Saint-Pétersbourg comme une réplique exacte du premier bateau de guerre voulu par le Pierre le Grand pour la flotte de la Baltique au début du XVIIIe siècle. Depuis 18 ans déjà, la frégate Shtandart navigue au large des côtes européennes, faisant des escales dans les ports du Vieux continent.
Ici, à La Rochelle, le navire doit embarquer une dizaine de personnes qui veulent oublier pour une semaine leur quotidien et se plonger dans l'ambiance de la vie maritime, c'est-à-dire supporter le ballottement et toutes les particularités de l'existence sur ce navire d'époque.
Navire école, le Shtandart exclut la possibilité d'embarquer des touristes. En effet, chaque personne à bord est un membre d'équipage et est donc obligée de remplir les tâches qui lui seront assignées par le capitaine et par les officiers supérieurs.
Ainsi, à 8 heures du matin, avant de quitter La Rochelle, l'équipage hisse solennellement le drapeau russe, après quoi le capitaine Vladimir Martus répartit toutes les personnes qui sont à bord en trois quarts qui se succéderont à la barre toutes les quatre heures jour et nuit pendant la semaine que le navire passera dans le golfe de Gascogne, en longeant la côte bretonne.
Malgré les innombrables choses à faire sur le navire, il existe bien sûr des heures libres pendant lesquelles les membres d'équipage peuvent se reposer dans leurs hamacs ou passer du temps au mess. Pour nous, c'est l'occasion de parler avec le capitaine que nous retrouvons à la barre.
Au début, raconte Vladimir Martus, en 1988, il existait le rêve d'offrir à la capitale maritime russe, Saint-Pétersbourg, un véritable voilier de l'époque. Pour nombre de raisons, le Shtandart convenait le plus comme modèle pour le futur navire:
«C'était un navire très étroitement lié à l'histoire de Saint-Pétersbourg. La construction du navire s'est faite sur l'ordre de Pierre Ier pendant les premiers jours de la celle de la nouvelle capitale. Le navire assurait la défense de Saint-Pétersbourg contre la flotte suédoise. Le tsar Pierre était son capitaine. En outre, c'était un beau navire. Etant plutôt un yacht impérial, c'est la raison pour laquelle il a été décoré davantage que d'autres bateaux de la flotte russe. De plus, ce fut le premier-né de la flotte de la Baltique».
Après avoir participé à plusieurs batailles lors de la Grande Guerre du Nord, le navire a terminé son service en 1719 et a été désarmé et amarré dans le canal Kronverskaya, à Saint-Pétersbourg, jusqu'en 1727, année où il a été détruit à cause de sa vétusté. L'ordre de l'impératrice Catherine Ière de construire un nouveau navire «à la mémoire de son nom, que Sa Majesté Pierre le Grand lui a donné» n'a été exécuté qu'en avril 1994, lorsqu'une équipe d'enthousiastes a installé la quille de la réplique contemporaine. Après cinq années de travail acharné, le navire a été mis à l'eau le 4 septembre 1999, sous les yeux de 40.000 spectateurs.
Depuis l'an 2000, ce navire école accueille à son bord des «aventuriers de toutes les catégories», de tous les âges et de tous les pays.
«Un équipage international, c'est toujours bien. Lors d'une étape, nous avons eu à bord des représentants de dix pays, de dix nationalités, ce qui est très bien», poursuit le capitaine.
Parlant de la France, Vladimir Martus souligne la chaleur avec laquelle le navire russe est accueilli dans les ports du pays:
«Les Français ont un amour génétique pour la marine, c'est pourquoi ils nous accueillent avec un grand enthousiasme et très chaleureusement. Ils ont leur propre navire similaire, l'Hermione, qu'ils ont construit pendant 17 ans et dont ils sont très fiers. Nous sommes frères et amis avec le capitaine et l'équipage de l'Hermione. Un de mes élèves y travaille maintenant comme bosco et un autre comme matelot»
Il est à noter que c'est au port de La Rochelle que le navire restera pour l'hivernage pendant lequel l'équipage et des bénévoles, qui sont toujours les bienvenus à bord, prépareront le navire pour les cinq prochains mois de navigation. Selon l'itinéraire déjà établi, le navire partira le 8 mars de La Rochelle pour le port espagnol de Santander, puis vers Cadix, Gibraltar et Malaga. Ensuite, le navire retournera en Atlantique pour participer à la Semaine du Golfe du Morbihan et a l'Armada de Rouen, d'où il partira vers la mer du Nord pour terminer son périple de 2019 au port danois d'Aarhus.
Traduite littéralement du russe, la devise du navire stipule «les rêves sont beaux quand ils se réalisent». Ces mots reflètent parfaitement les sentiments de ceux qui arrivent à bord de ce bâtiment pour se plonger dans l'ambiance de l'époque, où les grands aventuriers traversaient les mers et les océans en quête de terres inconnues et où les pirates cherchaient leurs proies sous une tête de mort.
«Ce qui différencie le Shtandart de la plupart des navires, c'est qu'il est beaucoup plus proche des XVIIe et XVIIIe siècles. C'est un navire en bois avec de vrais cordes et voiles. Ici, vous ne trouverez pas de winch. Tous les mécanismes contemporains sont cachés de façon à ce que vous ne les voyiez pas. Ici, l'équipage dort dans des hamacs, fait un vrai travail et s'occupe de toutes les choses que demande le quotidien sur le navire».
Néanmoins, malgré toutes ces obligations, il reste toujours une place pour la romance maritime, dont un exemple nous a été raconté par le capitaine à la fin de l'interview.
«Nous sommes partis dans l'Atlantique depuis Bordeaux. Il y avait un océan complètement refléchissant, pas de vent. Un brouillard si épais que même le mât avant était invisible. Le plancton rayonnait de mille feux et lorsqu'une meute de dauphins s'est approchée de nous, c'était une sensation indescriptible car ces dauphins brillaient de mille feux avec toutes leurs nageoires. Lorsqu'ils passaient près du navire, ils laissaient derrière eux de belles traces lumineuses. Et dans ce brouillard, des colonnes de lumière brillaient au-dessus des animaux, les rendant semblables à des fantômes. Aucun mot ne peut décrire ce spectacle», a conclu le capitaine.