Les faux-semblants et les non-dits du sommet d’Istanbul sur la Syrie

© AP Photo / Kayhan Ozer/Anadolu Agency, PoolVierer-Gipfel in Istanbul
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La paix bientôt imposée en Syrie? La question mérite d’être posée depuis qu’Erdogan, Poutine, Macron et Merkel ont affiché de larges sourires à Istanbul. Ces leaders se sont réunis pour progresser sur le dossier syrien, alors qu’un règlement politique tarde à voir le jour. Mais ce sommet pourrait bien n’être qu’une illusion. Analyse.

Le sommet d'Istanbul, qui a eu lieu ce 27 octobre, est incontestablement un succès. Après avoir œuvré à travers le processus d'Astana, la Turquie et la Russie ont donné une dimension plus large à la résolution de la crise syrienne en invitant la France et l'Allemagne à participer à une nouvelle rencontre.

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La simple présence de ces pays occidentaux aux discussions turco-russes est en soi une avancée majeure. En effet, le processus de résolution de la crise syrienne de la «communauté internationale», qui se tient à Genève ou à Vienne sous l'égide de l'ONU, est au point mort depuis des années. Les Occidentaux (États-Unis, France, Allemagne et Royaume-Uni) avec leurs alliés arabes (Jordanie et Arabie saoudite) avaient donc créé le «Small Group» pour exister face au succès des pourparlers d'Astana (Russie, Turquie, Iran), mais dans une optique nettement plus favorable à l'opposition syrienne la plus radicale.

Que des pays de ces deux ensembles échangent entre eux est une évolution réelle. Et un succès aussi bien pour les instigateurs de cette rencontre que pour leurs hôtes français et allemands, qui remettent un pied dans le dossier syrien. Mais au-delà des satisfactions personnelles des uns et des autres, les chefs d'État ou de gouvernement ont affiché quelques consensus.
Emmanuel Macron a notamment rappelé quel était l'objectif principal des acteurs du conflit syrien:

«La priorité pour nous tous en Syrie demeure la lutte contre le terrorisme. Cette lutte se poursuit aujourd'hui encore sur le terrain et nous ne devons en aucun cas perdre de vue que c'est notre objectif militaire et politique premier.»

Si cette déclaration peut faire sourire (jaune) à l'heure où l'État islamique* enregistre sa première victoire depuis plus d'un an, elle est à souligner tant la politique, notamment des pays occidentaux, laisse parfois à penser que la priorité était le renversement de Bachar el-Assad.

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Concernant Idlib, Erdogan, Poutine, Macron et Merkel se sont félicités de la situation générale dans cette région qui, rappelons-le, est le dernier grand territoire rebelle et terroriste en Syrie. Si l'accord russo-turc se met peu à peu en place avec quelques résultats concrets (retrait d'armements lourds, création d'une zone tampon, retrait de terroristes…), la situation reste instable. Mais pour le moment et de manière globale, le pacte scellé entre Poutine et Erdogan le 18 septembre dernier à Sotchi tient bon.
Pourtant, dans les discussions d'Istanbul, chaque protagoniste met en avant ce qui l'arrange: ainsi, Macron et Merkel ont-ils de nouveau menacé de représailles le camp qui utiliserait des armes chimiques; Poutine a rappelé que le règlement du terrorisme dans la zone d'Idlib incombait aux forces armées turques; quant à Erdogan, il appelle son homologue russe à éviter qu'el-Assad déclenche une offensive.

Un consensus existe pourtant concernant la question de l'aide humanitaire. Poutine et Macron ont notamment illustré leur bonne entente en rappelant l'aide conjointe qui fut apportée aux civils de la Ghouta par la Russie et par la France en juillet dernier. De plus, les responsables politiques ont discuté du sort des réfugiés et ont tous prôné la nécessité absolue de leur retour au pays. Une vision commune que résume notamment Recep Tayyip Erdogan:

«Nous nous sommes mis d'accord pour poursuivre l'aide humanitaire au peuple syrien. Nous avons également discuté de la question du retour des réfugiés syriens dans leur pays. Ce processus du retour doit se faire sur la base du volontariat, conformément au droit international, en toute sécurité et en coordination avec les Nations unies et là aussi, nous nous sommes mis tout à fait d'accord.»

Une bonne nouvelle puisque la résolution de ces questions passe clairement davantage par un règlement politique que par des opérations militaires. Mais si les quatre acteurs de ce sommet partagent une volonté commune d'agir par voie diplomatique, leurs objectifs de fond divergent.

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L'antagonisme principal porte sur la composition du Comité constitutionnel, qui a pour mission d'élaborer une nouvelle Constitution nationale. Ce Comité devra être composé de 150 personnes réparties en trois listes. Si, principalement grâce au concours de Vladimir Poutine, les deux premiers groupes (50 personnes désignées par Damas, 50 personnes par l'opposition) se sont constitués et ont été acceptés par les deux camps, la dernière liste, regroupant des membres de la société civile syrienne, peine à voir le jour. Choisis par l'ONU, les noms de cette liste ont été retoqués par le gouvernement d'el-Assad vendredi 26 octobre. L'émissaire de l'ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, a apporté les justifications données par le chef de la diplomatie syrienne, Walid Mouallem, pour la formation de cette dernière liste:

«M. Mouallem a indiqué que le gouvernement syrien et la Russie s'étaient mis d'accord récemment pour que les trois pays garants du processus d'Astana (Russie, Turquie, Iran) et la Syrie fassent une proposition sur cette troisième liste.»

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Et force est de constater que ce sommet d'Istanbul n'a pas permis le moindre progrès sur cette question qui reste fondamentale pour la résolution politique du conflit syrien. Pire encore, Erdogan s'est joint à ses homologues européens pour continuer à disqualifier la légitimité de Bachar el-Assad en ne cessant de désigner le gouvernement de la République arabe syrienne de «régime». Vladimir Poutine, grand défenseur de Damas, leur a donc rétorqué indirectement en répondant à une question sur «les marches de manœuvre que les acteurs ont pour convaincre Bachar que le Comité constitutionnel doit se réunir avant la fin de l'année»:

«Pour que ce travail puisse progresser, il faut rester calme. Il faut que cela se fasse dans le respect mutuel. Il faut respecter le gouvernement légitime de la Syrie alors que tout le monde parle de "régime syrien". D'après la résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies, on parle du gouvernement de la République arabe de Syrie. Je crois qu'il faut respecter le gouvernement légitime de la Syrie. Et c'est en partant de ce respect que l'on pourrait aussi avoir un dialogue fructueux.»

Cet aspect de rhétorique n'est pas qu'un point un détail. Si la Russie n'a jamais laissé entendre que son allié alaouite devait rester à la tête de son pays coûte que coûte, elle entend rappeler à tous que Bachar el-Assad est le Président légitime d'un pays souverain. Vladimir Poutine ferme donc la porte à tout règlement politique de la crise syrienne qui ferait du départ de Bachar un préalable. Il rappelle ainsi que le Président syrien doit donner son accord concernant la composition de la troisième liste de personnalités du Comité constitutionnel.

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Nonobstant cette question cruciale de la formation du Comité constitutionnel, le succès de ce sommet est relatif à bien d'autres égards. En effet, si les acteurs du sommet d'Istanbul ont affiché leur désir de renouveler ces pourparlers multilatéraux, ils ont aussi choisi de se réunir sans leurs alliés les plus encombrants, à savoir l'Arabie saoudite, les États-Unis et le Royaume-Uni d'un côté et l'Iran de l'autre. De fait, il est difficilement concevable d'imaginer Riyad et Washington discuter de la Syrie avec Téhéran, leur ennemi honni. Notons par ailleurs que les premiers nommés n'ont pas été cités durant la déclaration commune du sommet, contrairement à l'Iran, qui selon Erdogan et Poutine, est indispensable au règlement de la crise syrienne, comme l'explique le maître du Kremlin:

«Nous devons absolument tenir des consultations avec le gouvernement syrien et nos partenaires iraniens, car sans l'Iran, qui est un pays garant du processus de paix, du cessez-le-feu et de la création de zones démilitarisées [en Syrie, ndlr], ce problème ne pourra pas être résolu.»

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Mais comment ne pas mentionner publiquement le rôle des États-Unis? Ces derniers sont présents et contrôlent plus d'un quart du territoire syrien. En effet, toute la partie à l'est de l'Euphrate est sous domination américaine. Du moins, sous domination kurde dont les factions sont soutenues par la première puissance militaire du monde. Il est amusant de noter que ce sommet se déroulant à Istanbul, sur le territoire d'Erdogan, Kurdes et Américains n'ont pu être cités, même par leurs alliés européens. Et le Président turc en a même profité pour rappeler sa politique face à ceux qu'il considère comme terroristes:

«À l'Est de l'Euphrate, nous allons continuer à liquider sur place toute menace contre notre sécurité nationale.»

Si bien qu'au lendemain du sommet, ce dimanche 28 octobre, les armées turques ont pilonné des positions des Unités de Protection du Peuple (YPG) dans le village de Zur Maghar, situé à proximité des villes de Jarablous et de Kobané. La guerre est d'autant plus loin d'être finie que cette zone concentre une grande part des richesses pétrolières du pays.

* Organisation terroriste interdite en Russie

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