Une croissance trompeuse
La déclaration d'Ulf Lindahl est assez inattendue sur fond de remontée des actifs américains après la chute de la semaine dernière. Grâce au bilan positif des banques d'investissement, les indices boursiers américains sont pratiquement revenus à leur niveau du début du mois.
En même temps, les experts pointent certaines particularités de ce rétablissement qui suscitent davantage d'inquiétude que d'optimisme. Le fait est que le recul des quotas se déroule dans un contexte de faible activité des investisseurs sur les marchés des actions, des contrats à terme, des devises et des obligations américaines.
D'après l'agence de presse Bloomberg, les opérations sur les contrats à terme sont actuellement deux fois inférieures à la moyenne de la première dizaine d'octobre. Les ventes d'options atteignent à peine 70% du niveau habituel.
Sur les marchés des actions, l'activité est à peine plus importante mais n'est, de toute façon, pas comparable aux indices de septembre. Cela indique qu'une grande partie des opérateurs ne croit pas au renforcement du marché et ne participe pas aux échanges.
«La crainte de perdre a pris le dessus sur l'appât du gain. Ils sont trop nombreux à s'attendre à une chute. Et évidemment, personne ne croit à la stabilité de la croissance», constate Bloomberg.
Les USA, source de risques?
La position des investisseurs est reflétée par les résultats du sondage mené par la Bank of America du 5 au 11 octobre auprès de 174 gérants de fonds d'investissement détenant un total de 518 millions de dollars d'actifs. Ils ont annoncé qu'en deux mois, ils avaient réduit la part des actions américaines dans leur portefeuille de 17% en moyenne à cause de la volatilité accrue des marchés américains.
Les taxes décrétées par Donald Trump sur les importations d'acier et d'aluminium ont déjà entraîné une hausse des frais pour de nombreuses compagnies américaines.
Les sanctions contre la compagnie russe Rusal ont coûté encore plus aux entreprises américaines, provoquant une augmentation du prix de l'alumine. Le coût de cette matière première qui sert à fabriquer l'aluminium a augmenté mi-septembre de 60% en glissement annuel.
Au final, le bénéfice net d'Alcoa a diminué d'un quart au premier semestre. Un autre grand producteur américain d'aluminium primaire, Century Aluminium, a prévenu qu'il s'attendait à une réduction de bénéfice d'environ 40 millions de dollars au troisième trimestre.
Le prix du blé a fléchi de 5% aux USA, et celui du porc de 29%. Le Président américain menace la Chine de nouvelles sanctions, et Pékin a déjà fait part de son intention de riposter. Les compagnies américaines s'apprêtent donc à subir des pertes supplémentaires.
Le deuxième plus grand facteur de risque, selon les fonds d'investissement (31% des personnes interrogées) est la politique de la Réserve fédérale américaine (Fed).
«En augmentant le coût des prêts en dollars, la Fed augmente aussi la vitesse de retrait de la circulation des 3.500 milliards de dollars injectés sur les marchés mondiaux après la crise de 2008, indique James Knightley, économiste de la banque ING. Depuis octobre, le montant des opérations pour réduire la balance est passé à 50 milliards de dollars par mois: la Fed remboursera les obligations du Trésor à hauteur de 30 milliards de dollars, et les hypothèques pour 20 milliards de dollars.»
Par conséquent, premièrement, la quantité d'argent disponible pour les investissements se réduira considérablement et, deuxièmement, le rendement des obligations augmentera, c'est pourquoi l'argent commencera à passer du marché aux obligations publiques.
Et comme le coût des emprunts pour les compagnies augmentera, de plus en plus d'argent servira à desservir la dette, et de moins en moins pour le développement. Au final, l'activité des vendeurs des bourses américaines s'intensifiera, et celle des acheteurs s'affaiblira — ce qui conduirait à une rapide baisse des cours.
«Le durcissement des conditions monétaires, qui se traduira par un dollar fort et un coût croissant des prêts, sera un frein pour l'économie et les marchés boursiers», affirme James Knightley.
Le facteur chinois
Dans le top-3 des risques principaux, les investisseurs américains incluent également la possibilité d'un déclin économique en Chine, qui pourrait être causé par deux facteurs simultanés: la guerre commerciale et l'immense dette intérieure de Pékin, estimée à 7.000 milliards de dollars.
Fin juillet, la Chine possédait près de 1.200 milliards de dollars d'obligations américaines. En mettant ces actifs sur le marché, Pékin condamnerait l'économie américaine à une crise financière sans précédent.
La probabilité d'un tel scénario est encore faible: seulement 16% personnes interrogées par la Bank of America évoquent ce risque.
Dans des conditions de marché compliquées, les investisseurs préfèreraient deux stratégies principales: acquérir des actions FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix et Google) pour 32% des répondants, et parier sur la baisse des obligations américaines (19%).
Quand la saison du bilan trimestriel s'achèvera et que les marchés commenceront à se réorienter sur les facteurs fondamentaux, la stratégie d'investissement la plus efficace sera de parier sur la baisse des actions américaines et d'acheter des actifs sur les marchés émergents.
Le dollar ne sauvera-t-il pas?
Cela signifie que les investisseurs ne considèrent plus le dollar comme un actif de protection. C'est parfaitement logique quand on sait que les principaux risques pour les marchés émanent aujourd'hui des USA avec les guerres commerciales, la politique de la Fed et l'éventuel effondrement du marché de la dette publique américaine.
C'est pourquoi, en cas de nouvelle crise, les investisseurs chercheront probablement à se réfugier dans les actifs anticrise traditionnels (le franc suisse et l'or), ainsi que les actifs des pays avec une dette publique minimale libellée en dollars et une quantité réduite de titres américains sur les comptes de leur banque centrale.