Les propos auraient sonné comme un ultimatum, annonçant un coup d'Etat militaire, pour peu qu'ils aient été prononcés par un ministre de la Défense de quelque autre pays. A l'occasion d'un hommage rendu à deux soldats tunisiens tués dans l'explosion d'une mine dans l'Ouest du pays, Abdelkrim Zbidi fustigea les « querelles » de la classe politique, principale cause de la dégradation de la situation sécuritaire en Tunisie. Il tiendra la « déliquescence politique » pour responsable, de celle sécuritaire, et même de la mort de ces deux soldats.
Les propos ont été incompréhensibles pour une partie de l'opinion publique tunisienne, qui s'étonnait de voir ce fidèle de Béji Caïd Essebsi, pointer du doigt, pêle-mêle, la classe politique aux commandes, dont il fait partie. Alors que certains y ont vu une forme de «populisme», d'autres n'ont pas manqué de saluer ces remontrances, en ce qu'elles reflétaient « courageusement » le sentiment d'une grande partie de la rue tunisienne.
« Ce jour-là, Zbidi a exprimé son ras-le-bol. Il a troqué sa casquette de ministre contre celle de chef militaire», explique pour Sputnik Ali Zeramdini, ancien colonel-major à la gendarmerie nationale, aujourd'hui consultant en sécurité.
« Le ministre de la Défense a tenu ces propos parce qu'il est connu pour être particulièrement proche de ses hommes. Au fond, qu'est ce qu'un militaire, un policier, si ce n'est un citoyen qui vit dans ce pays en étant sensible à ses joies et ses peines, au même titre que d'autres Tunisiens? Comme toute guerre, celle contre le terrorisme, suppose un certain état d'esprit pour pouvoir affronter l'ennemi. Or, si l'ambiance générale dans le pays est dégradée, par la faute des politiciens justement, il est normal que cela se répercute, aussi, sur la psychologie de nos troupes au front!», analyse Zeramdini.
Un fonctionnaire international tunisien, spécialiste des questions sécuritaires, abonde dans le même sens. Bien qu'elles soient dirigées contre la classe politique, les déclarations de Zbidi sont en réalité destinées aux militaires tunisiens, pour contenir leur « exaspération », eux qui paient le plus lourd tribut de la guerre contre le terrorisme. Depuis 2011, des dizaines de militaires ont trouvé la mort dans des attaques terroristes. Par ailleurs,
« La rentrée politique ratée, avec des déclarations mettant en cause le ministère de l'intérieur et celui de la Défense, nourrit une crainte d'instrumentalisation politique qui mettra à mal le rendement de l'armée», a poursuivi la source de Sputnik.
Mardi 2 octobre, le « comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi », proche du Front populaire (gauche-opposition), présentait des « preuves » de l'implication du parti islamiste Ennahdha, dans l'assassinat, en 2013, de ces deux figures de la gauche tunisienne.
L'infiltration du ministère de l'Intérieur ferait obstacle, selon le comité de Défense, à la publication de documents confidentiels, cachés dans une « chambre noire », et confirmant l'implication d'Ennahda. Le ministère de la Défense n'est pas en reste, avec des casernes faisant le lit de recrutements d'extrémistes, a accusé le porte-parole du Front populaire.
Des propos rejetés en bloc, aussi bien par le parti Ennahda, sur son éventuelle « implication », que par les ministères concernés, au sujet des autres volets. Sans préjudice de la véracité de ces allégations, ou de leur caractère farfelu, Ali Zeramdini, estime que les institutions sécuritaires en Tunisie sont convoitées par toutes sortes de forces politiques.
«Depuis la révolution, il y a eu un véritable acharnement contre le ministère de l'Intérieur par toutes sortes de forces politiques désireuses de mettre la main dessus, de placer leurs hommes, d'orienter ses décisions, parce que c'est là, que résident, à leur avis, le véritable centre du pouvoir mais aussi les secrets de l'Etat qui pourraient être instrumentalisés à des fins politiciennes. Cela dit, et comparativement au ministère de l'Intérieur, l'institution militaire demeure relativement neutre politiquement, et à l'abri de ces manoeuvres», a expliqué Zeramdini.
Si le Ministère de la Défense reste plutôt épargné par les tiraillements politiques, la raison tient, en grande partie, au poids d'une tradition instituée par le président Habib Bourguiba, qui aimait à assener: «Les militaires dans les casernes!». Ce qui ne l'empêchera pas, au crépuscule de sa vie, de nommer un général, Zine El Abidine Ben Ali, au poste de Premier ministre. Un choix qui sonna le glas de son long règne, un certain 7 novembre 1987.