Le ministre russe des Finances, Anton Silouanov, a annoncé jeudi que le projet de dédollarisation de l'économie russe prévoyant des avantages fiscaux pour les entreprises utilisant les paiements en monnaie nationale avait été soumis à l'examen du gouvernement. Selon le ministre russe, le passage aux transactions en euros avec les sociétés européennes est «une conséquence naturelle de la politique américaine».
La fin de l'hégémonie du dollar
Selon Konstantine Koritschenko, ex-vice-président de la Banque centrale de Russie, l'abandon du dollar aura certainement lieu:
«Chaque monnaie qui était dominante dans le commerce international au cours de l'histoire de l'humanité a finalement cessé de l'être. Nous savons que c'était le cas de l'argent espagnol, portugais, britannique. Maintenant, la période au cours de laquelle le dollar américain a rempli un tel rôle touche à sa fin», a déclaré M.Koritschenko.
Mais combien de temps ce processus va-t-il prendre, c'est totalement imprévisible, assure-t-il.
«Même pour la Russie: nous avons une quantité énorme d'hydrocarbures. Le prix est fixé en quelle devise? En dollar. Alors, comment réagissent les États-Unis? Ils disent: si tous les prix sont en dollars, le prix devrait être réduit demain. C'est une administration subordonnée aux intérêts nationaux. Les États-Unis se considèrent comme une puissance mondiale capable d'écrire les règles», a-t-elle estimé.
Selon elle, ce battage publicitaire sur la dédollarisation n'est pas une bonne approche car c'est «un processus systématique de changement, y compris de système monétaire»: «Et ce n'est pas une guerre. Cela doit se faire par des actions tranquilles pour assurer la transition du monopole du dollar vers d'autres monnaies.»
L'euro au lieu du dollar
La fin de l'hégémonie du dollar est imminente, mais il reste totalement inconnu de savoir si le rouble russe, le yuan chinois ou l'euro prendra sa place. Pour le moment, la principale alternative pour la Russie est… l'euro, assure l'ex-vice-président de la Banque centrale de Russie, avant d'expliquer pourquoi la candidature du yuan n'est pas tellement probable:
«Il est peu probable que le yuan remplisse ce rôle pour deux raisons. Premièrement, l'économie chinoise est centralisée et soumise à des restrictions monétaires, et il n'y a aucune raison de penser qu'elle sera plus flexible à l'avenir. Deuxièmement, l'histoire de la Chine suggère que la Chine est plutôt un pays plus concerné par ses questions intérieures qu'ouvert sur l'activité internationale. D'une part, les projets que la Chine met en œuvre aujourd'hui visent à rendre le yuan plus actif, mais ils restent très centrés sur la Chine», explique-t-il.
Les partenaires de la Russie dans la dédollarisation des transactions
Il est très rationnel de résoudre les problèmes de commerce mutuel et de transactions financières avec nos partenaires traditionnels, selon l'ex-vice-président de la Banque centrale de Russie.
Mme Perskaïa évoque, de son côté, les pays des Brics. La déclaration de Johannesbourg (juin 2018) indique que les pays du groupe des Brics faciliteront le transfert des transactions vers les monnaies nationales: «Cela signifie que, dans ces conditions, la monnaie nationale sera fixée entre les pays des Brics. Lequel? Entre la Russie et la Chine, ce seront des roubles et des yuans. (…) Il est très probable qu'entre l'Inde et la Russie ce sera des roubles, mais en même temps, peut-être, en roupies.»
Elle a en outre noté un «moment positif» concernant les pays de l'Union économique eurasiatique où 80% du commerce extérieur est déjà effectué en roubles.
La réaction des États-Unis à la dédollarisation
L'expert tient à souligner «l'état contradictoire» des États-Unis d'aujourd'hui. D'une part, le Président Trump prévoit d'accroître l'activité interne de l'économie américaine, cela concerne le transfert de la production aux États-Unis et l'augmentation des emplois, mais ils sont objectivement associés à la faiblesse du dollar, tandis que le niveau élevé de la dette publique et le modèle traditionnel de l'économie américaine exigent un dollar fort.
«En ce sens, les États-Unis eux-mêmes sont maintenant à la croisée des chemins. Nous voyons que les actions du Président américain, de la Banque centrale américaine, du Congrès américain ne vont pas toujours dans le même sens. Il est donc très difficile de parler de leur réaction aux plans de dédollarisation. Politiquement, ils ne les accueilleront pas favorablement. Mais d'un point de vue économique, l'intérêt du Président américain pour le développement de l'économie nationale peut rendre sa réaction plus modérée», explique M.Koritschenko.
De l'avis du professeur de l'Académie présidentielle, la dédollarisation a le vent en poupe en raison de la politique de l'administration Trump, qui a prévenu que «contre ceux qui mèneront des transactions de commerce extérieur en dollars, ne répondant pas aux intérêts des États-Unis, ils imposeront des sanctions.»