Aujourd'hui, le 27 septembre, Google souffle ses 20 bougies. Son moteur de recherche jouit depuis longtemps d'un monopole quasi total sur le marché, tandis que ses principales créations, notamment Chrome, Drive, Gmail, Maps et YouTube totalisent plus d'un milliard d'utilisateurs dans le monde. Le système d'exploitation Android, développé par Google, compte également plus de deux milliards d'utilisateurs actifs, ce qui en fait le plus répandu au monde.
Les grands médias mainstream ont passé une grande partie du mois de septembre à saluer ces acquis tandis que les nombreux scandales, controverses, et critiques qui ont bouleversé l'entreprise ont été largement, voire totalement, ignorés.
En quelque sorte, cette conspiration du silence ne devrait pas surprendre: Google n'a jamais fait l'objet d'une surveillance médiatique trop intense. Sans doute que ce manque d'attention critique est ce qui a permis à l'entreprise de muter du simple moteur de recherche à une situation de monopole international potentiellement dangereux, capable d'influencer le comportement et les opinions de ses utilisateurs, en supprimant des informations vitales et des points de vue alternatifs de la vue de tous, et pas seulement.
Sois maléfique?
Au cours de ses deux décennies d'existence, Google a souvent cherché à se différencier des autres titans de l'industrie, en adoptant «Ne soyez pas maléfiques» dans ses discours promotionnels. Rien ne dure éternellement, y compris les bonnes intentions de Google, et le géant a décidé de retirer ce slogan en avril 2018.
Les documents, dont beaucoup ont été écrits par des universitaires respectés venant d'institutions de renommée internationale, telles que Stanford, Harvard, le MIT, Oxford, Cambridge, et la Berlin School of Economics, couvraient un large éventail de questions réglementaires et législatives d'importance cruciale pour les bénéfices de Google, y compris les lois antitrust, la vie privée, la neutralité d'internet, la neutralité de la recherche, les brevets et le droit d'auteur, que l'entreprise voulait ouvertement influencer.
Au total, 54% de ces articles ont été écrits par des universitaires directement financés par Google, tandis que les autres travaillaient pour des groupes ou des institutions financés par Google, ou y étaient affiliés. Dans la majorité des cas identifiés, les lecteurs n'ont reçu aucune indication sur l'implication de Google. Dans 65% des cas, les auteurs n'ont pas divulgué le financement Google, même lorsque l'entreprise avait directement financé leurs travaux.
La CfA a noté que les recherches financées par Google brouillaient souvent la frontière entre la recherche académique et le plaidoyer payé diffusé par des consultants de la société: alors que certains utilisaient des méthodologies de recherche douteuses, plusieurs se libéraient même des normes de base en matière de rigueur académique, certains articles n'étant rien d'autre que des articles promotionnels à peine voilés, formant les croyances d'un individu à la solde de Google avec peu ou pas de preuves à l'appui.
Une telle omission de l'information est symptomatique au sein de l'organisation à son plus haut niveau: en 2013, Eric Schmidt, alors directeur général de Google, avait cité à Sputnik des documents payés par Google dans des réponses écrites au Congrès pour soutenir que la société n'était pas un monopole, sans mentionner leur source de financement.
Ce qui est plus inquiétant, c'est que ces études financées par Google sont fréquemment citées par d'autres études… et y compris par d'autres articles financés par Google. Les 330 articles identifiés par la CfA ont été cités près de 6.000 fois dans plus de 4.700 publications.
Ne croyez pas la vérité
Le monopole que Google a consacré tant de temps et d'argent à créer, à maintenir et à défendre a créé un monde dans lequel chaque jour, un nombre incalculable de personnes utilisent les logiciels et/ou les produits de l'entreprise pour communiquer, travailler, consommer ou encore apprendre.
Par définition, cela offre à Google une puissance considérable sur ce que les utilisateurs peuvent et ne peuvent pas faire, et sur ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas voir. C'est une capacité dont l'entreprise est parfaitement consciente et qu'elle cherche depuis longtemps à exploiter.
Le plus souvent, cela prend la forme de «filter bubbles»: essentiellement, les algorithmes en constante évolution de Google suivent en permanence ce que recherche et où navigue un utilisateur, et créent un profil de cette personne (ses goûts, ses intérêts, sa localisation, etc.) sur la base de ces données. À son tour, Google adapte les résultats des recherches et diffuse des annonces en ligne aux utilisateurs en fonction de ce qu'ils attendent d'après ses algorithmes, ce qui signifie que des informations différentes sont présentées à des personnes différentes alors qu'elles ont entré la même requête à l'origine.
Une telle divergence est théoriquement non maligne mais, dans la pratique, elle peut avoir un impact dévastateur sur les esprits, déclare Eli Parisier, figure clé du site Upworthy.
«La démocratie exige que les citoyens puissent voir les choses du point de vue de l'autre, mais au lieu de cela, nous sommes de plus en plus enfermés dans nos propres bulles. Les filtres de personnalisation servent d'autopropagande invisible, nous endoctrinant avec nos propres idées, amplifiant notre désir de choses familières. Les partisans sont plus susceptibles de consommer des sources d'information qui confirment leurs croyances idéologiques. Les personnes davantage scolarisées sont plus susceptibles de suivre les nouvelles politiques», avait-il notamment écrit en 2012.
En effet, grâce aux «filtre bubbles», Google a accumulé une capacité beaucoup plus grande pour façonner les opinions et les croyances, et influencer le comportement que toute autre entreprise, déclare dans le même sens Robert Epstein, chercheur à l'American Institute for Behavioral Research.
«Les classements de recherche peuvent modifier les préférences de vote des électeurs indécis de 20% voire plus. Le changement peut être beaucoup plus important dans certains groupes démographiques [jusqu'à 80%]. On peut appeler cela l'effet de manipulation des moteurs de recherche. Étant donné que de nombreuses élections sont remportées avec de petites marges, nos résultats suggèrent qu'une société possédant un moteur de recherche a le pouvoir d'influencer en toute impunité les résultats d'un nombre substantiel d'élections. L'impact de telles manipulations serait particulièrement important dans les pays dominés par un seul moteur de recherche», avait-il écrit dans un article de 2015.
«Les esclaves des algorithmes»
Un tel effet est particulièrement remarquable, et sinistre, étant donné que Google a adopté une politique déclarée de suppression des sources d'information alternatives, en masquant un nombre toujours croissant de sites à un nombre toujours croissant d'utilisateurs. En avril 2017, par exemple, Google avait annoncé des «améliorations concernant la qualité» de ses protocoles d'évaluation des moteurs de recherche, visant ainsi à réprimer les «informations trompeuses, les résultats offensants inattendus, les fausses alertes et les théories du complot».
Après cette annonce, d'autres grandes entreprises technologiques lui ont emboîté le pas, en annonçant leurs propres mesures de mise en place d'une censure sur internet. Par exemple, Facebook s'est engagé à embaucher des milliers de «modérateurs de contenu» pour promouvoir des sources «de confiance».
En novembre de la même année, Eric Schmidt, un «ami de longue date» d'Hillary Clinton et membre du personnel des campagnes présidentielles démocrates 2012 et 2016, avait annoncé que Google allait créer des algorithmes dédiés pour garantir que les informations publiées par RT et Sputnik perdent en visibilité sur le moteur de recherche.
Cela a été suivi en mars 2018 par une autre initiative Google, dans laquelle la société a annoncé un partenariat avec plus d'une douzaine de grands médias mainstream, dont The New York Times, The Washington Post et The Financial Times, pour ainsi accentuer la pression sur les sources d'information alternatives.
Alan MacLeod, académicien spécialisé dans la théorie et l'analyse des médias, a affirmé à Sputnik que «l'attaque contre la liberté d'expression et la libre circulation de l'information» menée par Google et d'autres géants de la technologie vise à «rejeter et à délégitimer les défis de l'ordre néolibéral» et à «rétablir le contrôle de l'establishment sur les moyens de communication traditionnels.»
«Cela pointe vers un avenir extrêmement sombre pour la liberté d'information. Une corporation privée sans surveillance et en relation étroite avec des personnalités politiques et des organisations puissantes peut décider de ce que nous pouvons et ne pouvons pas voir, de ce qui est actualité ou pas, de ce qui est réel et de ce qui est faux. Nous sommes devenus les esclaves des algorithmes sans même nous en rendre compte», a déclaré M.MacLeod à Sputnik.
Les développements en Europe et aux États-Unis indiquent que des restrictions sur le pouvoir de l'entreprise pourraient être imminentes. En juillet dernier, Google a été condamné à une amende de 5 milliards de dollars par les régulateurs européens pour avoir violé les lois antitrust. La Commission européenne a accusé la société d'abuser de sa domination en ce qui concernait Android, en installant son moteur de recherche et ses applications Chrome dans le système d'exploitation, empêchant ainsi les fabricants de téléphones de créer des versions «fork» d'Android (soit un nouveau logiciel créé à partir du code source d'un logiciel existant), et en payant à certains grands fabricants et opérateurs de réseaux mobiles des sommes importantes pour installer exclusivement ce moteur de recherche sur les appareils.
De plus, un projet de loi proposé par la sénatrice démocrate Amy Klobuchar pourrait interdire à toute entreprise dont la capitalisation boursière dépasse 100 milliards de dollars américains de faire de nouvelles acquisitions. Bien qu'elle ne cible pas directement Google, une telle législation entraverait de manière significative le modèle commercial actuel de l'entreprise: à l'instar d'autres géants technologiques, la société dépend de l'achat de startups plutôt que de ses propres divisions. Android, DeepMind et YouTube en sont tous des exemples, et Google a déjà acheté plus de 200 startups depuis sa création. Bien que cela puisse simplement retarder l'entrée de la société sur certains marchés, cela pourrait empêcher la société d'atteindre un statut «géant» dans certains domaines.