Derrière l’attentat en Iran, la main de Riyad, Washington… ou de Téhéran?

© REUTERS / Tasnim News AgencyTerroranschlag in Ahvaz, Iran
Terroranschlag in Ahvaz, Iran - Sputnik Afrique
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L’Iran a été frappé par un attentat terroriste! Si Téhéran a accusé un groupe nationaliste arabe et «leurs soutiens» saoudiens et émiratis, les auteurs de cette attaque en plein défilé militaire sont encore inconnus. Groupe séparatiste ou révolutionnaire, États-Unis, pays européens, Téhéran elle-même… les pistes sont multiples. Analyse.

Qui sont les responsables de l'attaque terroriste perpétrée lors du défilé militaire à Ahvaz en Iran ce samedi 22 septembre? L'État Islamique (EI), ennemi des factions soutenues par Téhéran en Irak et en Syrie, a revendiqué cet attentat par l'intermédiaire de l'agence Amaq. Mais, dans un premier communiqué, le principal canal de diffusion des revendications d'EI a mentionné la présence du Président Rohani, alors que ce dernier n'assistait pas aux commémorations du début de la guerre Iran-Irak. Si depuis, Amaq a rectifié, cette erreur fait planer le doute quant à son implication dans la mort de 24 personnes, dont des civils et des soldats iraniens. Et ce malgré la diffusion d'une vidéo montrant trois hommes revêtant des uniformes et qui serait, selon l'agence de propagande, le commando de l'attentat d'Ahvaz.

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Les autorités iraniennes, qui remettent en doute cette revendication, ont rapidement imputé cet attentat à la mouvance séparatiste du Khouzistan, dont la capitale est Ahvaz. Cependant les groupes indépendantistes arabes en Iran sont nombreux. Mentionné par les médias français, le Front populaire et démocratique des Arabes d'Ahvaz a nié toute implication. Si le groupe Résistance nationale d'Ahvaz a revendiqué cet acte terroriste, les Gardiens de la révolution désigneraient davantage al-Ahwaziya, dont certains membres sont réfugiés en Europe.

Le Khouzistan, aussi appelé Arabistan ou Ahwaz par les irrédentistes, est une région riche en ressources pétrolières, mais qui souffre d'un taux de chômage plus élevé que la moyenne nationale, est en pénurie d'électricité et connaît une sécheresse importante… tout comme la province irakienne voisine, dont Bassora est la capitale. Et ces deux régions ont un autre point commun: les revendications sociales s'accumulent et dérapent et/ou sont utilisées pour déstabiliser le pouvoir en place. Rappelons que le 7 septembre dernier, le consulat iranien de Bassora a été incendié par les manifestants ou des militants anti-Téhéran.

Ainsi, comme l'affirment les Gardiens de la révolution, force militaire la plus opérationnelle de Téhéran, les responsables de cet assaut meurtrier pourraient émaner de groupuscules séparatistes arabes, comme ce fut probablement le cas lors des attentats à la bombe de 2005 et de 2006 à Ahvaz.

​Ces groupes militent pour l'indépendance de cette région, située à l'ouest de l'Iran et jouxtant le sud-est de l'Irak, et composée en grande partie par une population arabe et non persane. Cette population a souvent été méprisée et malmenée par Téhéran, même sous l'Ayatollah Khomeini, alors qu'elle avait participé à la défaite de l'envahisseur irakien dans les années quatre-vingt.

Si l'implication d'une ou de plusieurs factions arabes séparatistes reste encore à prouver, cette accusation permet de dénoncer le rôle des soutiens de ces groupes indépendantistes: l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

​Hormis les troubles importants dans la région de Bassora et d'Ahvaz, ces pays du Golfe et l'Iran s'affrontent pour étendre leur pouvoir et dominer le Moyen et le Proche-Orient. Pas encore de guerre ouverte, mais des implications dans des conflits indirects en Syrie et en Irak, mais aussi au Liban et au Yémen.

Ce 22 septembre, cet affrontement entre puissances régionales pourrait connaître une nouvelle escalade: l'Iran a été touché sur son territoire. Et si les terroristes ont tué et blessé de nombreux civils, ils ont aussi abattu douze Gardiens de la révolution, visant donc directement le régime des mollahs.

Cette attaque fait écho aux propos régulièrement tenus par les ennemis de l'Iran, qui appellent à un changement de régime. Ainsi, le prince héritier d'Arabie saoudite, MBS, avait déclaré à la chaîne saoudienne dès mai 2017:

«Nous n'attendrons pas que la bataille ait lieu en Arabie saoudite. Au lieu de cela, nous allons faire en sorte que la bataille soit chez eux, en Iran.»

Si Téhéran se plaint souvent des agissements de Riyad, les autorités iraniennes s'en sont prises aux représentants émiratis après l'attentat. Outre leur possible implication, le ministère iranien des Affaires étrangères a convoqué le chargé d'affaires émirati de Téhéran afin qu'il explique les déclarations tonitruantes d'Abdulkhaleq Abdulla, «conseiller politique d'Abou Dhabi»:

10 militaires tués dans une attaque contre un défilé militaire dans la ville d'Ahwaz, dans le sud-ouest de l'Iran. Une attaque contre une cible militaire n'est pas un acte terroriste. Déplacer la bataille en Iran est un choix assumé, qui se renforcera prochainement.

Cependant, ce Monsieur Abdulla ne serait qu'un professeur d'université. Et même si sa voix peut porter de l'Amérique jusqu'en Asie, il n'aurait aucune fonction officielle auprès du gouvernement de MBZ, Mohammed ben Zayed.

De leur côté, si par l'intermédiaire de John Bolton, les États-Unis ont rappelé qu'ils ne souhaitaient pas un «regime change» en Iran, le conseiller à la sécurité nationale avait préconisé au Président de «fournir une assistance» aux peuples minoritaires d'Iran, dont les Arabes du Khouzestan. De plus, les États-Unis ont affirmé dans leur rapport annuel sur le terrorisme que:

«L'Iran est resté le premier État à parrainer le terrorisme et a continué de soutenir les attaques contre Israël»

Au-delà de cibler l'Iran, et sans même prendre en compte les activités de leurs alliés saoudiens et émiratis dans le terrorisme mondial, le secrétaire d'État Mike Pompeo a lui, directement menacé Téhéran, le vendredi 21 septembre en affirmant à CNN qu'il s'en prendrait militairement à l'Iran si ce dernier, par des attaques, même indirectes, nuisait aux intérêts américains:

«Nous avons dit à la République islamique d'Iran que l'utilisation d'une force par procuration pour attaquer les intérêts américains ne nous empêchera pas de répondre contre le donneur d'ordre.»

Si cette déclaration peut être une réponse aux tirs de roquettes qui ont atterri dans la zone où se trouve l'ambassade américaine à Bagdad au début du mois, il n'en demeure pas loin qu'elle intervient la veille de l'attentat d'Ahvaz.
Outre le «Grand Satan», Téhéran a aussi mis en garde des pays européens. En effet, ce samedi 22 septembre, le ministère des Affaires étrangères iranien a convoqué les diplomates du Danemark, des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne. Ces pays hébergeraient certains groupes terroristes, peut-être liés à l'attentat, selon Téhéran.

Autre drôle de coïncidence, la diaspora iranienne de New York se réunissait ce samedi 22 septembre. En tête d'affiche de ce sommet, l'organisation considérée comme terroriste par les autorités iraniennes, les moudjahidines du Peuple. Cette grande manifestation avait un message clair: le renversement du régime iranien et son remplacement par Maryam Radjavi, leader de l'organisation et présidente du Conseil national de la résistance iranienne.

Les déclarations des personnalités qui se sont exprimées lors de ce sommet parlent d'elles-mêmes. Pour le Général James Jones, ancien conseiller à la sécurité nationale des États-Unis sous Obama:

«Les jours du régime iranien sont comptés, car son peuple ne le veut plus. Les Iraniens fêteront bientôt à Téhéran le retour de leur grande nation dans les rangs de la communauté internationale.»

Pour Bernard Kouchner, l'ancien ministre français des Affaires étrangères, qui appelle les Européens à durcir leur position vis-à-vis de Téhéran:

«Le comportement du régime dans la région est inacceptable. […] L'Iran a une alternative démocratique qui lutte pour un Iran laïque. Vous [Maryam Radjavi, ndlr] êtes un agent fantastique d'équilibre dans l'égalité des sexes. Les femmes sont l'avenir de l'Iran. C'est à eux [le peuple iranien, ndlr] de changer le régime. Mais nous [l'Europe, ndlr] devons les aider.»

Enfin l'ancien maire de New York, et depuis peu avocat de Donald Trump, a joué aux augures, en soutenant le changement de régime en Iran:

«L'Iran mérite la liberté. L'Iran devrait être dirigé par Mme Maryam Radjavi. Le peuple iranien n'est pas ce groupe de hors-la-loi. […] Je serai avec vous dans l'Iran libre beaucoup plus tôt que vous pourrez y penser.»

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Si le message ne laisse pas place au doute quant aux intentions de ces «défenseurs» de la liberté et des droits de l'homme, Téhéran, si prompt d'habitude à accuser les moudjahidines du Peuple, semble cette fois-ci ne les pas considérer comme responsable.

Finalement, les responsables seraient toujours les mêmes… à moins que les coupables ne fassent partie des arcanes du pouvoir iranien! Celui-ci est en effet divisé entre plusieurs factions au sein même de l'appareil d'État, qui s'opposent de façon parfois virulente sur la politique à conduire, notamment face aux ennemis de la République islamique.

Ne serait-ce pas pratique de condamner le terrorisme, les groupes séparatistes et leurs soutiens saoudiens, émiratis, israéliens, européens et américains, à la tribune des Nations unies? En effet, le timing est bon: deux jours après la tuerie d'Ahvaz, le Président Rohani va pouvoir fustiger les ennemis du peuple iranien à l'ONU, confirmer la nécessité de son programme balistique pour la défense du territoire national et entériner les répressions du régime vis-à-vis d'un peuple qui se rebelle indubitablement pour sa liberté.

Cette thèse a été élaborée d'après des rumeurs provenant d'Iran et relayé aux États-Unis, comme s'en est ému le Président Rohani:

​Alors, complot interne ou guerre par procuration entre puissances? Réponse probable par la «vengeance inoubliable» promise par les Gardiens de la révolution.

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