«Cette vingtaine de Légions d'honneur ne remplace pas le fait de dire ce qui s'est passé, et de dire la responsabilité des uns et des autres. La seule chose que j'attends du chef de l'État c'est qu'il dise ce qui s'est passé —pas ce que j'ai envie d'entendre. Je constate que pas plus lui que ses prédécesseurs —jusqu'à aujourd'hui- ne l'ont fait.»
Ce vendredi 21 septembre, nous apprenons que vingt-six anciens combattants harkis et représentants d'associations de harkis seront élevés au sein des ordres de la Légion d'honneur et du Mérite. Une décision dont se «félicite» Robert Ménard, maire de Béziers.
«Quand les choses vont dans le bon sens, il faut le dire», insiste-t-il. Lui-même rapatrié d'Algérie avec sa famille, il n'entend pas polémiquer sur un tel sujet, une «plaie» dans l'Histoire de France, une «cicatrice mal fermée pour le peuple français» estime-t-il. Pour preuve que la plaie est encore purulente, la polémique soulevée par Emmanuel Macron huit jours avant son geste envers les Harkis.
Le 13 septembre, le Président de la République allait en effet «demander pardon» à la veuve de Maurice Audin, ce jeune militant communiste arrêté par les parachutistes du général Massu le 11 juin 1957 —en pleine bataille d'Alger- car soupçonné d'héberger des combattants indépendantistes, et très vraisemblablement tué par l'armée.
En reconnaissant la responsabilité de l’État français dans la disparition de Maurice Audin @EmmanuelMacron a ravivé une douleur et des souffrances collectives chez tous les Pied-noirs, Harkis et anciens combattants abandonnés à leur triste sort au lendemain des accords d’Evian pic.twitter.com/Wj1cxqsZTd
— Michèle Tabarot (@MTabarot) 18 septembre 2018
Emmanuel Macron qui, par ailleurs, reconnaissait officiellement le recours à la torture par les forces françaises durant la guerre d'Algérie. Un «moment historique» avait annoncé sur Franceinter, au matin de cette visite présidentielle, le député de la majorité Cédric Villani, qui se présente comme un ami personnel des membres de la famille Audin, tenait à défendre «l'idée d'aller de l'avant, l'idée de regarder la vérité en face.»
«Si le Président veut s'intéresser à l'Histoire, il doit la regarder des deux côtés et arrêter de sélectionner entre les mémoires. Mais, une nouvelle fois, il a choisi ceux qui se sont battus contre la France.»
s'indignait Michèle Tabarot, députée Les Républicains (LR), le 18 septembre à l'Assemblée en concluant:
«Le Président va-t-il enfin s'intéresser à toutes les souffrances et reconnaître la responsabilité de l'État pour les Français d'Algérie, les harkis et les soldats disparus ou assassinés après les accords d'Évian?»,
Un point de vue que rejoint Robert Ménard, qui attend lui aussi que les langues se délient enfin sur ce terrible conflit, qui ne fut reconnu comme tel qu'en 1999 et que toutes les responsabilités soient clairement reconnues.
«Aujourd'hui, ce dont on a besoin c'est d'entendre la vérité! […] On en a assez de lire ce qu'on lit sur la guerre d'Algérie dans les manuels d'Histoire de nos enfants, c'est inadmissible! Soit parce que ce sont des mensonges, soit parce qu'on passe sous silence le massacre des harkis et ce qui s'est passé après les accords d'Évian du fait du FLN et de la passivité- pour ne pas dire de la lâcheté- des hommes politiques français.»
Principales victimes exactions du Front de libération nationale (FLN), les harkis. Ces Algériens musulmans, ayant pris fait et cause pour la France, étaient considérés en Algérie comme des traîtres et furent massacrés, malgré les engagements pris par le FLN lors des accords d'Évian signés le 18 mars 1962 et mettant fin au conflit. «Le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu varie selon les estimations des historiens entre 50.000 et 100.000. Environ 90.000 sur les quelque 150.000 recrutés par l'armée française trouvèrent refuge en France,» soulignent nos confrères du Figaro. Une tragédie sur laquelle revient Robert Ménard.
«Tués est un mauvais mot. Ils ont été massacrés, égorgés, éventrés, brûlés vifs […] Ils ont été abandonnés par la France. Alors que dans les accords d'Évian, entre la France et le FLN, il était prévu qu'ils seraient protégés. On se doit, à l'heure où tout le monde demande pardon à tout le monde de demander pardon aux harkis pour ce qui a été une infamie, une trahison, un abandon, qui s'est traduit par des dizaines de milliers de morts!»
«Je n'ai jamais entendu un responsable politique français- de droite comme de gauche —et pas plus monsieur Macron aujourd'hui, dire que l'Armée française a abandonné ses propres ressortissants!»
«Le seul officier qui, ce jour-là, a désobéi à sa hiérarchie et est venu au secours des Français d'Algérie embarqués dans les camions du FLN est un officier arabe.»
Allusion au lieutenant Rabah Kheliff, un Kabyle, qui avec sa compagnie libéra des centaines d'Européens qui étaient dans l'attente de leur exécution, à la Préfecture d'Oran. L'Algérie, une histoire douloureuse, qu'Emmanuel Macron a pourtant choisi de remuer durant la campagne.
Durant une interview accordée à la chaîne algérienne Echorouk News, en février 2017, le candidat d'En Marche n'avait pas hésité à qualifier la présence française de «crime contre l'humanité».
Un discours qui avait particulièrement choqué harkis, pieds-noirs et anciens combattants en France. Un discours qui paraît aujourd'hui en totale contradiction avec la remise de ces décorations et élévations en grade à des harkis. Un «En même temps», sur lequel revient Robert Ménard,
«C'est deux discours tellement opposés… c'est ça de vouloir faire plaisir à tout le monde, à un moment donné ça ne marche plus, et sur une question aussi importante que la guerre d'Algérie, le moins que l'on puisse dire, c'est que le chef de l'État dit une chose et son contraire à quelques mois d'intervalle. J'attends de lui un peu plus de rigueur et plus de compassion pour toutes les victimes et —d'abord- pour ceux qui à ce moment-là ont choisi le camp de la France, le camp de notre pays.»
En même temps, les Français d'origine algérienne seraient à compter entre les 1,2 million de descendants d'Algériens ayant immigrés en France (chiffre qui ne prend pas en compte les enfants de rapatriés), issus des extrapolations de la démographe Michèle Tribalat, chercheur de l'Institut national d'études démographiques (Ined) et les «quelque 4 millions d'individus, statistique communément admise par les autorités françaises» de binationaux franco-algériens, avancés par la politologue Séverine Labat, chercheur au CNRS, précisant toutefois que ce chiffre est à «manier avec prudence».