À qui profite le déploiement d'une base militaire américaine en Pologne?

© AFP 2024 Wojtek Radwanski une base militaire américaine en Pologne
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Plusieurs milliers de fantassins, des centaines de chars, de véhicules de combat d'infanterie et de transport de troupes, des canons d'artillerie et des hélicoptères: la Pologne a décidé de changer le paysage géopolitique de l'Europe en accueillant une base militaire américaine sur son territoire.

Une brigade blindée américaine complète sera ainsi déployée sur le sol polonais en permanence. Tandis que le Pentagone planche encore sur les détails, les Polonais ont déjà fait savoir qu'ils étaient prêts à dépenser 2 milliards de dollars pour l'aménagement de la base. Pour quelle raison Varsovie a-t-il pris une telle initiative et quel bénéfice Washington pourra-t-il en tirer?

La «menace» de l'Est

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Les États-Unis et la Pologne ont mené des négociations bilatérales, c'est-à-dire hors du cadre de l'Otan. Les Polonais justifient la nécessité de la présence militaire américaine par une prétendue «menace émanant de la Russie». En particulier, ils sont préoccupés par les liens solides entre Moscou et Minsk non seulement sur le plan économique, mais aussi militaire. Le vice-ministre polonais de la Défense Tomasz Szatkowski est persuadé qu'avec le déploiement d'un contingent américain, la Pologne ne sera plus considérée comme un État-tampon et que cela «se reflétera sur le sentiment réel de sécurité».

Environ 4.000 soldats américains se trouvent déjà dans ce pays — des unités du Pentagone et des forces multinationales de l'Otan. Toutefois, ils sont présents en régime de rotation et sont en grande partie «de passage» quand ils participent aux exercices conjoints en Europe. Même s'ils ne s'empressent pas de retirer leurs blindés après les manœuvres. Et, pour contourner les accords internationaux, ils recourent à une ruse: en 2017, par exemple, dans le cadre de l'opération Atlantic Resolve, les USA ont déployé en Pologne la 3e brigade blindée avec une centaine de chars M1A1 Abrams, des canons automoteurs lourds M109 Paladin et des véhicules de combat d'infanterie Bradley. Ensuite, cette unité a été remplacée par la 2e brigade blindée ayant approximativement la même composition. Sur le papier tout semble normal: des soldats sont venus et d'autres sont partis. Sauf qu'ils n'ont pas emporté le matériel avec eux.

A première vue, rien de criminel: après tout, pourquoi faire des allers-retours avec des chars vides? Sauf que l'équipage de ces chars pourrait se rendre sur place, si besoin, en l'espace de deux heures depuis la base de Ramstein en Allemagne. Les Américains utilisaient activement cette tactique de double-stationnement à l'époque de la Guerre froide. Chaque année, pendant les exercices REFORGER, elle était pratiquée pour déployer en quelques jours les troupes dans l'ouest de l'Allemagne où était stocké le matériel déjà prêt. Le personnel était projeté par l'aviation.

Un levier pratique

La rotation est une chose, mais la présence d'un contingent américain permanent au cœur de l'Europe de l'Est non loin des frontières russes en est une autre. L'expert militaire Alexandre Perenjiev pense que ces nouvelles circonstances permettront à l'élite polonaise de renforcer considérablement ses positions aussi bien à l'intérieur du pays qu'en Europe.

«Ce sont des forces mobiles qui, si besoin, pourront être projetées n'importe où en Europe. La Pologne deviendra un avant-poste pour la projection des troupes, y compris en Ukraine. Il pourrait aussi être question de pays comme la Tchéquie, la Slovaquie et la Hongrie qui affichent ces derniers temps une certaine indépendance envers l'Otan et l'UE. Aux Américains, cette base permettra de faire allusion à l'usage de la force lors des négociations. Tout cela est, au fond, un acte d'occupation de l'Europe de l'Est où l'élite politique polonaise sert d'instrument et d'assistant dévoué des USA», explique Alexandre Perenjiev.

De son côté, le général Leonid Ivachov, ancien chef de la Direction générale de la coopération militaire internationale du ministère de la Défense, est convaincu que l'accroissement de la présence permanente de forces américaines en Pologne vise à promouvoir les intérêts économiques des États-Unis en Europe. «Les Américains ont besoin de vendre aux Européens leur gaz de schiste coûteux et de mauvaise qualité. C'est la raison pour laquelle Washington tient l'Europe en position de soumission grâce à la force militaire, notamment à l'Otan. Par exemple, les forces alliées de l'Otan en Europe sont toujours commandées par un général ou un amiral américain ayant de larges pouvoirs. Aujourd'hui, les relations entre Washington et l'Europe occidentale se détériorent, notamment avec l'Allemagne, la France et d'autres pays du continent. C'est pourquoi les USA utilisent à leurs fins les pays de l'Est, qui sont plus dociles. Par exemple, soumise à une certaine pression, la Bulgarie avait renoncé au gazoduc russe — dégageant ainsi le chemin pour le gaz de schiste coûteux des USA», note l'expert.

Les experts pensent que d'un point de vue militaire, le nouveau site américain ne menace pas la sécurité de la Russie. «C'est une petite base de brigade. Il ne faut pas en avoir peur, nous avons tous les moyens nécessaires pour riposter en cas de menace. Il y aura jusqu'à 6.000 hommes. Les forces qui se trouvent actuellement sur le territoire polonais rejoindront la base, et encore deux bataillons s'y ajouteront — la ressource américaine des militaires sous contrat n'est pas infinie», précise Leonid Ivachov.

La confrontation européenne

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Le gouvernement russe estime que l'installation d'une base militaire américaine en Pologne est une décision souveraine de Varsovie qui ne contribue pas à la stabilité sur le continent et entraînera des contremesures russes.

A l'heure actuelle, le contingent militaire américain en Europe avoisine les 60.000 hommes toutes armes confondues. La plus grande base, Ramstein, est située au nord de l'Allemagne. Elle fait partie des deux bases situées en territoire allemand où se trouvent supposément des ogives nucléaires. C'est à la fois un QG de l'armée de l'air américaine en Europe et l'une des bases de l'Otan, où sont présents près de 15.000 militaires et presque 30.000 spécialistes civils.

Plusieurs autres bases militaires se trouvent aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg et en Italie. De plus, en 2016, à la demande de la Lettonie, de la Lituanie et de l'Estonie, l'Alliance a déployé dans ces pays des bataillons multinationaux. Par la suite, le ministère lituanien de la Défense a annoncé la création, à 60 km de la frontière russe, du premier polygone aérien dans les pays baltes selon les normes de l'Otan.

Cependant, à en juger par les informations des sources ouvertes, sur l'axe Ouest tout est en ordre avec la défense russe et les ressources suffisent pour une résistance militaire efficace. Ainsi, dans la région de Saint-Pétersbourg et dans la ville-même se trouvent des unités opérationnelles de la 6e armée interarmées avec des chars T-72, des obusiers de longue portée, des missiles Iskander-M et des lance-roquettes multiples TOS-1A Solntsepek.

Plus au sud, dans les régions de Belgorod, de Voronej et de Smolensk, sont déployées les unités de la 20e armée de garde interarmées du District militaire Ouest qui est actuellement réarmée activement, notamment en chars T-72B3 de dernière génération. Dans la région de Pskov se trouvent la 76e division d'assaut et un détachement des forces spéciales. Dans la région de Kaliningrad a été déployé le 11e corps d'armée de la flotte Baltique avec des chars T-72, l'artillerie de gros calibre et les missiles Iskander-M. L'axe Ouest est protégé, dans les airs, par la 6e armée de l'air et la défense antiaérienne avec des aérodromes dans les régions de Voronej, de Smolensk, de Saint-Pétersbourg et de Pskov.

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La plupart des experts interrogés s'accordent à dire que l'installation d'une base américaine en Pologne ne renforce pas la probabilité d'une grande guerre en Europe car ni les USA ni les Européens ni la Russie ne le souhaitent. Seule conclusion: une fois de plus, les Américains ont réussi à renforcer, même de peu, leur contrôle sur l'UE. Et il ne reste plus au gouvernement polonais qu'à se justifier devant sa population pour les milliards dépensés pour la protection militaire d'un pays situé de l'autre côté de l'océan.

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