L'A-40, plus grand bateau volant du monde, avait pour mission de rechercher et de détruire des sous-marins. Et même si cet hydravion a commencé à être élaboré au début des années 1970, aucune autre puissance aéronautique n'a réussi à créer quelque chose de semblable jusqu'à aujourd'hui.
Un visiteur du futur
L'idée de donner une seconde vie aux Albatros est loin d'être nouvelle — et est tout à fait logique. Au moins parce que l'industrie aéronautique russe n'a aucun autre appareil de cette classe à proposer à la marine russe, même sur le papier. Or ils sont très sollicités: parmi les amphibies anti-sous-marins, l'aviation navale ne dispose que de quelques vieux Be-12 Tchaïka qu'il était prévu de retirer du service pour les remplacer par des appareils plus modernes encore dans les années 1970. Ils sont équitablement répartis dans les cinq flottes, du Kamtchatka à la Crimée.
En fait, c'est pour remplacer les Tchaïka que les ingénieurs du Bureau de recherche aéronautique Beriev de Taganrog ont projeté l'A-40. Pour l'hydraviation, pratiquement tout était révolutionnaire — de la propulsion combinée avec deux moteurs de navigation et de décollage au système global de structure et de répartition des compartiments. Les principaux moteurs ont été placés par les ingénieurs dans la zone la plus protégée des éclaboussures: à l'arrière, au-dessus des ailes.
Les dimensions et les capacités de l'appareil sont impressionnantes: sa longueur et son envergure d'ailes de plus de 40 mètres, son plafond pratique de 13 km, son autonomie jusqu'à 4.000 km et sa possibilité de patrouiller de manière ininterrompue jusqu'à 12 heures. Grâce à une aérodynamique réussie, à la mécanisation développée de l'aile et aux deux moteurs D-30, l'avion de 90 tonnes était extrêmement maniable et léger au décollage — léger à tel point qu'ironiquement, cela a coûté son poste au pilote d'essai Evgueni Lakhmostov, qui avait sous-estimé l'accélération de l'A-40.
En décembre 1986, pendant un essai de vol, l'Albatros a soudainement décollé de la piste à 170 km/h. L'équipage a décéléré, mais cela n'a pas suffi: l'appareil s'est dressé pour prendre de l'altitude. Conscient du fait que la longueur de la piste ne suffisait plus pour descendre et freiner, le commandant Lakhmostov a décidé de décoller sans autorisation, a fait deux tours et a habilement posé l'avion sur la piste. Malgré une issue favorable, après une série d'enquêtes, le pilote expérimenté a été interdit de vol et envoyé à la retraite.
Initialement, l'Albatros a été conçu pour la recherche, la poursuite et la destruction de sous-marins. Il peut soulever jusqu'à 6,5 tonnes de charge utile et embarquer pratiquement tout l'arsenal de l'armement utilisé sur ses analogues anti-sous-marins Il-38 et Tu-142 — des torpilles autoguidées intraçables Orlan capables de détruire aussi bien des sous-marins que des navires, des missiles anti-sous-marins, des bombes à profondeur, des mines, des bouées acoustiques de recherche et des équipements spéciaux pour la guerre électronique. A titre de comparaison, le Tchaïka soulève seulement 1,5 tonne.
De plus, l'A-40 (version civile de l'A-42) convient pour les travaux de recherche et de sauvetage à distance de la côte. Les capacités nautiques de l'avion permettent de décoller et d'atterrir en cas de vagues jusqu'à 2 mètres. Dès le stade de développement, les ingénieurs ont prévu la possibilité d'installer un système de ravitaillement en vol, élargissant considérablement le rayon d'action de l'appareil. Et bien que formellement, l'Albatros ne soit pas un avion à longue portée, il possède tout pour les vols de longue durée: des WC, un vestiaire et même un compartiment pour le repos de l'équipage.
Un vol interrompu
Il faut reconnaître qu'au début des années 1970, le thème des avions amphibies est devenu assez douloureux en URSS. La flotte, qui avait eu le temps d'apprécier les avantages des navires volants, exigeait de nouveaux appareils, alors que le ministère de l'Industrie aéronautique suggérait de reporter les missions anti-sous-marines sur les avions classiques et les hélicoptères. Le bureau Beriev a réussi à imposer le projet A-40 uniquement grâce à un immense enthousiasme et à des approches inhabituelles de la conception, ce qui a permis de construire un avion maritime qui n'avait rien à envier aux avions classiques en ce qui concernait leurs principales caractéristiques.
Après Le Bourget, c'est un immense succès qui attendait l'Albatros à Singapour, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni, un record de distance de vol et d'altitude… suivi tout à coup par un refus soudain du ministère de la Défense de financer le projet.
Le bureau Beriev a alors proposé plusieurs versions civiles de l'avion. A différentes époques, on a voulu créer sur sa base un avion pour éteindre des incendies de forêt, un avion de sauvetage et même un avion de ligne moyen-courrier pour 120 passagers.
Le droit à la vie
Malgré d'excellentes caractéristiques techniques de vol, le Be-200 s'impose tout de même fortement par rapport à l'A-40 en matière de charge utile, de vitesse et de rayon d'action. Il convient davantage au rôle d'avion d'appui polyvalent plutôt que de chasseur de sous-marins.
Compte tenu de la longueur des frontières maritimes de la Russie, il est probable que la flotte grandissante puisse avoir besoin prochainement d'un avion amphibie fonctionnel et de longue portée capable de remplir à la fois des missions de chasse aux sous-marins, de patrouille, de reconnaissance, de transport de troupes et de fret. L'Albatros, qui a devancé son époque de plusieurs décennies, conviendrait parfaitement à ces missions.
Selon les experts, l'industrie aéronautique russe est tout à fait capable aujourd'hui de lancer sa production en série — ce n'est qu'une question d'argent.
«Techniquement, l'industrie est capable de tout. La question est seulement de savoir combien cela coûtera au pays et si le ministère de la Défense est prêt à réaliser de tels dépenses. Cela concerne aussi bien l'achat initial que l'entretien. Le fait est que notre industrie aéronautique produit des avions en faible quantité, ce qui revient extrêmement cher. La production efficace nécessite des clients, y compris étrangers. Il n'y en a pas pour l'instant, malheureusement. Mais l'Albatros est un avion très bon aux caractéristiques uniques», explique l'expert aéronautique Vladimir Karnozov.