«L'impôt sur le revenu sera prélevé à la source au 1er janvier 2019», affirmait sur le plateau de TF1 le Premier ministre Édouard Philippe, mardi 4 septembre. Après plus d'une semaine de valse-hésitation, le Président de la République a finalement tranché en faveur du maintien de la date d'entrée en vigueur du prélèvement à la source pour l'impôt sur le revenu (IR).
«C'est avant tout une réforme pour l'administration fiscale, cela a été habillé en marketing pour les contribuables, mais c'est une réforme d'abord pour le Trésor public»,
Réagit à notre micro l'avocate fiscaliste Manon Laporte. Comme nombre de ses homologues, la juriste souligne une augmentation de la complexité du système de recouvrement pour de nombreux ménages.
La fiscaliste s'attarde également sur le panel de tiers-payeurs (entreprises, caisse de retraite ou pôle emploi, suivant que vous soyez salarié, retraité ou chômeur), tous les types de revenus entrant dans le calcul de l'IR étant concernés par la réforme:
«Bercy va donc désormais devoir gérer quatre formes de prélèvements: à la source pour les salaires, forfaitaire pour les revenus des placements, par acompte pour les revenus fonciers et indépendants, et décalé pour les revenus exceptionnels.»
En effet, au moment de sa mise en place, l'impôt à la source sera prélevé en fonction des revenus déclarés l'année précédente. Or, un trop gros prélèvement mensuel ou un redressement fiscal peut se retrouver à la clef de tous errements.
Il faut en effet avoir à l'esprit que contrairement à la situation actuelle, les contribuables seront prélevés avant de se voir déduire —et donc rembourser- d'éventuels crédits d'impôt ou même un éventuel surplus prélevé par erreur. Un changement d'approche sur lequel insiste l'avocate fiscaliste Virginie Pradel, fondatrice de l'Institut fiscal Vauban, dans une récente interview aux Échos.
«Payez d'abord, on discutera ensuite,» résumait l'avocat fiscaliste Marc Wolf, ancien directeur adjoint à la Direction générale des Impôts, au micro de Jacques Sapir et Clément Ollivier.
Selon lui, la technique permettait de mettre en place un système bien plus calibré, mais il regrette la précipitation du gouvernement dans la mise en œuvre de cette réforme. Pour répondre au calendrier politique, la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP) a dû rogner sur le dialogue avec la société civile, relate-t-il.
«Les politiciens ont voulu un coup de com' pour dire du jour au lendemain on a fait la grande réforme et du coup, cela entraîne plein de désordres et d'immenses risques informatiques.»
Il estime qu'«il faut faire la réforme», tant en matière de lisibilité pour le citoyen-contribuable que pour rendre plus performante l'administration fiscale, «mais pas comme ça. Parce que tel qu'ils l'ont choisi, ils vont se planter,» met-il en garde.
«Le problème de mes amis, c'est qu'ils ont conçu un système mal foutu.»
Un phénomène sur lequel revenait, Marc Daniel, économiste, professeur associé à l'ESCP Europe. Sur le plateau des Chroniques de Jacques Sapir, il fustigeait tant la complexité de la fiscalité en France, que la délégation par l'État de ce qui tient du régalien à des entreprises, premières victimes de l'accumulation d'impôts dans le pays. Pour illustrer son propos, l'économiste évoque notamment le nombre de prélèvements auxquels les entreprises sont soumises en France, d'après l'OCDE.
«Les entreprises doivent, au total, payer 233 impôts par an. C'est-à-dire que […] pratiquement chaque jour ouvré, une entreprise doit quelque chose au fisc!»
Une complexité peu compatible avec la réforme du prélèvement à la source, estime auprès de nos confrères Virginie Pradel. Selon elle, «avec un impôt aussi complexe que le nôtre, un tel prélèvement relève de la gageure.»
D'ailleurs, nombreux sont «nos voisins européens» du Nord, régulièrement avancés dans le discours politique entourant cette réforme, à justement pratiquer une fiscalité plus simple, individualisée. Pour autant, Manon Laporte ne voit dans le prélèvement à la source qu'une «petite réforme» fiscale, qui en annonce une plus importante. L'avocate exclut pourtant toute suppression prochaine du quotient familial, que beaucoup redoutaient.
«Les Français ne sont pas mûrs pour perdre ce système,» tempère Manon Laporte, qui exclut également le spectre d'une augmentation —discrète- des prélèvements à la faveur de cette mensualisation de l'IR sur les salaires. Pour elle, l'enjeu est l'impôt proportionnel (flat-tax), une réforme qui pourrait selon elle survenir dans la deuxième phase du quinquennat, ou durant un éventuel second mandat d'Emmanuel Macron.
Quoi qu'il en soit, en plus de potentiellement complexifier la relation entre le salarié et le département des ressources humaines de son entreprise, vers lequel il se tournera en premier lieu en cas de diminution anormale de ses revenus, pas dit que ce changement de paradigme dans le recouvrement de l'impôt arrange la relation entre le citoyen contribuable et l'administration fiscale.
«L'impôt est un élément sensible pour les citoyens, c'est-à-dire que les Français sont en conflit permanent avec l'impôt.»