Les sanctions vont-elles mettre l’Iran à genoux? «2019 sera crucial!»

© AP Photo / Vahid SalemiГраффити, изображающее Статую свободы в черепом вместо лица, в центре Тегерана, Иран
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L’Iran va mal! Les sanctions américaines se rétablissent peu à peu, asphyxiant l’économie iranienne, perturbant les politiques, déstabilisant le pays. De là à imaginer la mort définitive de l’accord de 2015 et des actions de représailles de la part de Téhéran, de La Haye à Ormuz? François Nicoullaud, ancien ambassadeur de la France en Iran, répond.

Si l'Iran ne cesse de menacer ou d'être menacé par Israël ou par l'Arabie saoudite, son principal adversaire reste les États-Unis. Le rétablissement des sanctions américaines étrangle l'économie iranienne et déstabilisent le pouvoir en place, alors que leur deuxième phase, qui touche notamment à la vente d'hydrocarbures, n'est pas encore entrée en vigueur.

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Le Président Hassan Rohani, qui a été élu et réélu pour «moderniser» l'Iran est fragilisé aussi bien par les réformateurs que par les conservateurs, même si, précisons-le, il conserve officiellement le soutien du guide suprême Khamenei. Mais l'accord qu'il avait conclu avec les grandes puissances n'est pas loin d'être enterré, entraînant de facto un risque d'escalade. Si les procédures judiciaires sont ouvertes depuis ce lundi 27 août, un conflit apparaît de plus en plus possible, notamment à cause du détroit d'Ormuz.

François Nicoullaud, ancien ambassadeur de la France à Téhéran, revient sur cette actualité en évoquant aussi l'action judiciaire de La Haye et le Détroit d'Ormuz.

Sputnik France: les ministres du Travail et de l'Économie iranienne ont récemment été démis de leurs fonctions par le parlement. La stratégie économique d'Hassan Rohani vous semble-t-elle de plus en plus fragilisée?

François Nicoullaud: «En effet! C'est le gouvernement, dans son ensemble, qui est fragilisé par ce double désaveu de deux ministres qui sont désormais écartés, qu'il va falloir remplacer. Hassan Rohani a dû lui-même venir s'expliquer au parlement. Si pour le moment, cela tient, cela ne s'est pas véritablement bien passé. Manifestement, il n'a pas su trouver le bon langage.

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Donc les députés ont été déçus de son intervention: il n'a rien avancé d'extraordinaire, il n'a rien annoncé de nouveau, on n'a pas eu le sentiment d'un sursaut qui probablement était attendu par le parlement dans un moment difficile pour l'économie et pour la société iranienne.

Cependant, s'il est fragilisé, cela ne veut pas dire que le gouvernement va tomber, mais plutôt que Rohani se trouve dans une position de plus en plus délicate pour agir et il se transforme en ce que les Américains appellent "un canard boiteux", en bon français. C'est-à-dire qu'il se dirige vers la sortie, puisque s'il est élu en principe jusqu'en 2021, on a le sentiment qu'il va se retrouver de plus en plus impuissant à agir.

Il peut encore y avoir des retournements de situation, mais ce qui est sûr, c'est qu'il y a un sentiment de malaise en ce moment. Il faudrait vraiment un sursaut pour démontrer que le gouvernement agit de façon résolue pour trouver des solutions aux sérieuses difficultés que l'économie et la société rencontrent.»

Sputnik France: Ne l'est-il pas autant à cause des sanctions que de la corruption, paraît-il incroyable, qui règne dans ce pays et notamment au sein de l'élite dirigeante?

François Nicoullaud: «Oui, les deux phénomènes le fragilisent. Les sanctions effectivement! C'est bien de là que partent toutes les difficultés. Et la difficulté pour Rohani, c'est de trouver des contre-mesures, et ce n'est pas très facile. On voit bien qu'avec les Européens, on a du mal à trouver des formules qui arriveraient à convaincre les entreprises européennes à rester ou à venir faire des affaires en Iran.

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Quant à la corruption, elle n'est pas généralisée en Iran. Elle est certainement moins forte que dans beaucoup de pays de la région. Mais c'est vrai que c'est quelque chose qui est important, certainement, qui gêne les Iraniens, d'autant plus que la République islamique a été fondée sur le principe de la vertu, c'était en réaction à la corruption des élites, du Shah et de son entourage, que la révolution s'est faite. Et si c'était le principal argument, on s'aperçoit maintenant que République islamique retombe dans les mêmes ornières et donc cela crée, en effet, une déception, un éloignement de la population par rapport à ce régime.»

Sputnik France: Revenons un instant sur ces mesures évoquées. La mise à jour du règlement européen du 22 novembre 1996 (dit «de blocage») en vue de soutenir l'accord sur le nucléaire iranien aurait-elle un quelconque impact?

François Nicoullaud: «Il aura un impact petit à petit. Mais il ne va avoir un impact que sur les petites ou moyennes entreprises. Les grandes sociétés qui sont internationales, comme Total qui, si son siège est en France, est une société internationale, et par ses intérêts aux États-Unis, elle est dépendante des lois américaines. [Ajoutons que les banques américaines sont impliquées dans 90% des opérations de Total, ndlr]. Celles-là, effectivement, sont bien forcées de se plier au droit américain. En somme, ce sont donc que les sociétés qui n'ont pas d'intérêts aux États-Unis, qui en effet, peuvent être protégées par ce règlement.»

Sputnik France: Mais ce changement ne vient-il pas trop tard?

François Nicoullaud: «Cela ne suffit pas, en tout cas, à soi seul. Cela ne suffira pas à maintenir un flux important de relations économiques avec l'Iran. Ce qu'il faut surtout régler, c'est la question du pétrole. L'interdiction d'acheter du pétrole iranien entrera en rigueur en novembre et là, il faudra vraiment avoir trouvé des contre-feux à cette mesure, sinon cela sera vraiment très très compliqué.»

Sputnik France: Est-ce que la France et de manière plus large, les Européens pourront faire comme la Chine, l'Inde ou encore la Turquie, qui eux ont annoncé qu'ils continueraient à acheter le pétrole iranien, malgré les sanctions?

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François Nicoullaud: «Oui, ils vont continuer. Mais ce sont des déclarations. Je pense qu'ils continueront à acheter du pétrole iranien, mais ils feront très attention, cela devient quand même très compliqué. Les Chinois, par exemple, de ce que l'on croit comprendre, on dit que certes ils achèteraient du pétrole iranien, mais qu'ils n'en achèteraient pas plus qu'ils n'en achètent aujourd'hui. Et une fois que l'on a dit cela, encore faut-il le transporter, le pétrole. Donc, pour le pétrole qui ira en direction de la Chine, l'Iran mettra à disposition sa propre flotte. Parce que les autres flottes de tankers ne sont pas prêtes à prendre des risques précisément à l'égard des sanctions américaines pour transporter le pétrole iranien. Donc même s'il y a des déclarations politiques de principe très fortes, dans la réalité, les choses seront quand même compliquées.»

Sputnik France: Avec la sortie des États-Unis et les réactions du Président Macron et de son ministre le Maire, pensez-vous que cet accord de 2015 est encore viable? Pensez-vous qu'il y a une quelconque chance pour que cet accord fonctionne?

François Nicoullaud: «Oui, je crois qu'il est viable. La nature a horreur du vide, donc on va trouver des solutions petit à petit aux problèmes de transfert d'argent, aux problèmes de transport, à tous les obstacles que mettent en place les sanctions américaines, mais cela prend du temps. Cela prendra probablement un an ou deux.

Et puis les Iraniens vont faire aussi preuve d'imagination pour contourner les sanctions américaines, faire des accords de troc. Je crois vraiment que cela soit possible. Il y a une sorte de cours de vitesse. Si les sanctions parviennent à avoir un effet très rapide, les Iraniens peuvent évidemment tomber à genoux avant que se mettent en place toutes ces contre-mesures. L'année 2019 sera l'année cruciale. On verra si l'économie iranienne est étranglée. Si elle arrive à traverser l'année 2019, après on trouvera un rythme de croisière.»

Sputnik France: Que pensez-vous de la procédure iranienne devant le Tribunal de La Haye? Est-ce plus une tribune ou une véritable action judiciaire, qui devrait prendre des années?

François Nicoullaud: «Non, c'est une véritable action judiciaire. C'est une vraie Cour, fondée par la Chartre des Nations unies et de fait, le recours iranien se fonde, assez paradoxalement si l'on veut, sur un accord de 1955 entre l'Iran et les États-Unis. C'est un accord d'amitié, de commerce, de relations consulaires et qui pose comme principe qu'aucun pays ne prendra des mesures hostiles contre son partenaire en matière commerciale notamment.

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Et puis, il est prévu dans l'accord que les différends pourront être présentés à la Cour International de La Haye. Les Iraniens font donc usage de ce traité pour mettre en cause et obtenir la suspension d'abord et ensuite l'annulation juridique des sanctions américaines. Il est possible que la Cour donne raison à l'Iran. Mais, si les décisions de la Cour sont juridiquement obligatoires, il n'y a aucun moyen pour obliger les Américains à les mettre en vigueur.

Il y a deux possibilités: ou la Cour ne prend pas position ou elle prend position contre les États-Unis, mais ces derniers répondront qu'ils n'ont pas l'intention d'appliquer la décision de la Cour. Et à partir de là, on ne peut pas faire grand-chose.

Il faut préciser, par ailleurs, que les Iraniens ont fait de même en 1979. Cette année-là, les États-Unis avaient poursuivi l'Iran devant la Cour de La Haye, toujours au titre du même Traité de 1955, pour la prise en otage de 52 diplomates américains qui a duré plus d'un an. La Cour a donné raison aux Américains. Elle a pris une décision obligatoire, mais les Iraniens ont refusé de l'appliquer.»

Sputnik France: Téhéran menace de fermer le détroit d'Ormuz si les États-Unis attaquent l'Iran. Peut-il y avoir un conflit au sujet du détroit d'Ormuz?

François Nicoullaud: «C'est une menace qui est régulièrement répétée par les Iraniens. Ils ont la capacité de créer une situation très difficile, ne serait-ce que s'ils minent le détroit d'Ormuz, les forces américaines, probablement aidées aussi par les Européens, parviendront à le déminer. Mais cela créera une situation d'incertitude qui risque de tarir le trafic dans le détroit d'Ormuz. Mais, à partir de là, on entrerait dans une escalade dont on ne sait pas très bien où elle s'arrêtera. Si les Iraniens se lancent dans une opération de ce genre, quelle sera la réaction des Américains? Est-ce qu'ils puniront l'Iran, sa marine, ses bases navales, par des frappes? Là, on ne sait plus où l'on va!»

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