La Chine et l'Iran ont donné le ton
En juin déjà, les économistes de la Banque mondiale l'avaient constaté: le processus de dédollarisation est lancé dans le monde, et on ne peut plus l'arrêter. Actuellement, 70% de toutes les transactions dans le commerce mondiale se déroulent en dollars, 20% — en euros, le reste est partagé par les monnaies asiatiques, notamment le yuan — troisième plus importante monnaie dans le panier du Fonds monétaire international (FMI). En mars, sur fond de guerre commerciale contre les USA, Pékin avait infligé un coup dur au dollar sur le marché mondial des hydrocarbures en ouvrant le commerce de contrats à terme pétroliers en monnaie nationale. C'était une mesure préventive opportune.
La Chine a l'intention d'aller plus loin, en passant aux paiements en yuans pour les livraisons physiques de pétrole.
En réponse au durcissement des sanctions, l'Iran a également tourné le dos au dollar. En avril, Téhéran a renoncé à la devise américaine pour transférer les paiements internationaux en euros. En dépit des nouvelles sanctions de Washington, l'Europe continue d'acheter le pétrole iranien, sauf qu'elle le fait en euros, et non en dollars. L'Inde aussi achète le pétrole iranien en euros. Tout en sachant que l'Inde avait proposé une autre option à son troisième plus grand fournisseur — des paiements en roupies indiennes.
En ce qui concerne l'abandon du dollar, la Turquie avait également de tels projets pour y renoncer, et à présent il est possible plus que jamais qu'Ankara passe de la réflexion à l'action. Aux échanges du 10 août, la livre turque a chuté jusqu'à son minimum record en perdant 18%. La raison reste la même — l'aggravation des relations avec les Etats-Unis. Début août, le président américain Donald Trump a décrété des sanctions contre le ministre de l'Intérieur et le ministre de la Justice de la Turquie après qu'Ankara a refusé de libérer l'Américain Andrew Brunson, soupçonné d'espionnage. De plus, Washington a doublé la taxe sur les importations d'aluminium et d'acier.
Le président turc Recep Erdogan s'est dit prêt à passer aux paiements en monnaies nationales dans le commerce avec ses plus grands partenaires — la Chine, la Russie, l'Iran et l'Ukraine. Et si les pays européens décidaient également de se déchaîner du dollar, Ankara commercerait avec eux aussi en monnaies nationales, a précisé le dirigeant turc.
La Russie pleine de détermination
Les analystes en sont persuadés: l'abandon du dollar est opportun non seulement pour vendre du pétrole, mais également dans tous les paiements. Et il faut commencer par l'Union eurasiatique.
Cela contribuerait au renforcement du rouble si les parties acceptaient d'investir leurs monnaies dans le rouble pour acheter ensuite le pétrole livré. Toutefois, les économistes pointent des risques élevés sur le rouble, et c'est son principal désagrément.
«Par conséquent, le passage est bien possible, mais les parties devront faire des remises ou accorder des préférences au moins pour couvrir les risques», explique Sergueï Khestanov.
Cette question pourrait être soulevée lors du sommet entre Vladimir Poutine et Angela Merkel, indique Dmitri Danilov, responsable du département de la sécurité européenne à l'Institut d'Europe affilié à l'Académie des sciences de Russie. D'après lui, le passage aux paiements en euros est une «carte sérieuse» et une «mesure économique» susceptible de sécuriser la coopération bilatérale contre les éventuelles restrictions de Washington.
Dès à présent, la Russie peut tout à fait exclure le dollar des opérations avec la Chine, la Turquie et l'Iran. L'abandon du dollar par les plus grands exportateurs de pétrole servira de sérieux déclencheur pour remanier le système financier et renforcera la tendance mondiale de dédollarisation.