Le recours démesuré aux sanctions économiques punitives diminue voire annule leur efficacité, estiment les analystes du magazine mensuel américain The Atlantic Neil Bhatiya et Edoardo Saravalle
En mars 2016, peu après la levée par les États-Unis de leurs sanctions contre l'Iran pour son programme nucléaire, le secrétaire au Trésor américain, Jack Lew, a prononcé un discours sur les leçons tirées par l'administration de Barack Obama. Les sanctions, a-t-il dit, «sont devenues une force puissante au service d'objectifs clairs et coordonnés en matière de politique étrangère», mais les États-Unis ne devraient s'en servir «que pour faire face à des menaces importantes à la sécurité nationale», ajoutant que leur gaspillage pourrait diminuer leur efficacité. Sa logique était simple: les sanctions fonctionnent parce qu'elles privent les pays ciblés de la possibilité de conclure des transactions avec les citoyens américains et les institutions financières américaines, leur coupant l'accès à la plus grande économie mondiale. Si Washington utilisait ce pouvoir avec légèreté, a suggéré M. Lew, cela pourrait encourager les pays à trouver des partenaires en dehors des États-Unis et miner l'effet dissuasif des sanctions.
Ces derniers temps, les décideurs américains ne se contentent plus d'imposer des sanctions toujours plus fréquemment, ils recourent à des mesures de plus en plus radicales et accordent toujours moins d'attention aux inconvénients.
«Les sanctions, sous leur forme la plus efficace, sont le résultat d'efforts multilatéraux visant à résoudre des problèmes de sécurité mondiale clairement exprimés et partagés. Aujourd'hui, elles deviennent des expressions stridentes de mécontentement de la part des États-Unis, isolés, et sont souvent au service de priorités nationales partisanes ce qui est une approche irresponsable qui pourrait bien neutraliser l'efficacité de ces puissants outils», signalent les auteurs de The Atlantic.
Selon eux, par le passé Washington a coopéré étroitement avec des alliés et des organisations internationales pour mettre en place de nouveaux régimes de sanctions. Ainsi, en 2014 les États-Unis et l'Union européenne ont collaboré pour minimiser, pour leurs propres économies, le coût des sanctions imposées à la Russie en réponse à la crise ukrainienne. Une telle adhésion internationale permet de préserver de bonnes relations au sein des alliances et donne des sanctions bien réelles. Lorsque les États-Unis et l'Europe ont collaboré à des sanctions pétrolières contre l'Iran en 2012, ils ont presque réduit de moitié les exportations de pétrole de Téhéran. Ces efforts ont permis de réduire le PIB de l'Iran de 9% entre mars 2012 et mars 2014 et ont finalement contribué à amener Téhéran à la table des négociations.
Un autre problème majeur lié à l'utilisation actuelle des sanctions consiste dans le fait qu'elles soient considérées comme une fin en soi plutôt que comme un moyen de parvenir à une fin. Les sanctions visent à inciter les adversaires à venir à la table des négociations; quand elles atteignent leurs objectifs, elles devraient être levées. Par contre, attaquer chaque problème de politique étrangère avec des sanctions les rendra plus rigides et plus difficiles à lever.
À cet effet, l'exemple des sanctions américaines contre la Russie, en lien avec les événements en Ukraine, est instructif. Ces mesures sont entrées en vigueur en 2014. Mais un an plus tard, les autorités américaines les ont assouplies, conditionnant leur assouplissement par le respect par Moscou des accords de Minsk. À mesure que les tensions avec le Kremlin se sont accentuées, les objectifs des sanctions se sont apparemment multipliés. Lorsque l'administration Trump a sanctionné les principaux oligarques russes en avril 2018, le département du Trésor a ajouté aux accusations contre la Russie concernant l'Ukraine plusieurs autres, y compris le soutien à Bachar el-Assad en Syrie, son ingérence électorale et sa cyberactivité malveillante.
Selon les analystes, cela conduit à une dispersion des ressources. Les sanctions fonctionnent mieux quand elles sont bien ciblées et sont liées à des demandes claires. Cette approche étant susceptible de déboucher sur des accords concrets.
Le recours aux sanctions à tort et à travers conduit les pays et les entreprises à les considérer comme un inconvénient qu'il faut contourner. Il favorise la mise en place de nouveaux partenariats, des «coalitions de pays sanctionnés» ou des écosystèmes de pays et d'entreprises qui ont accepté leur statut de sanctionnés et existent en évitant les restrictions américaines.
Cette situation demande un changement d'approche des sanctions aux États-Unis, qui dépend de la capacité des décideurs à parvenir à une meilleure compréhension de ces mesures, ce qui est, cependant, à douter, concluent les auteurs.