«J'ai vu des colonnes de morts»: des témoins racontent l'enfer d'Hiroshima et Nagasaki

© AP Photo / Stanley TroutmanРазрушенный после ядерного удара город Хиросима, Япония
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Quand une bombe atomique a été lancée sur Hiroshima, Sadao Yamamoto avait 14 ans. Il sarclait les pommes de terre dans l'est de la ville quand, tout à coup, il a senti son corps brûler.

L'épicentre de l'explosion se trouvait à 2,5 km. Ce jour-là, Sadao devait aller à l'école à l'ouest d'Hiroshima, mais il est resté à la maison. Sinon, rien n'aurait pu sauver ce garçon. Il aurait certainement disparu comme des milliers d'autres personnes, sans laisser de traces. La ville s'était transformée en véritable enfer.

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Sadao Yamamoto - Sputnik Afrique
Sadao Yamamoto

«Partout étaient entassés des corps calcinés, gonflés et faisant penser à des poupées en caoutchouc. Le blanc des yeux ressortait sur les visages brûlés», se souvient Yoshiro Yamawaki, survivant.

«Little Boy» et «Fat Man»

Il y a exactement 72 ans, le 6 août 1945 à 8:15, la bombe atomique américaine Little Boy, d'une puissance de 13 à 18 kt d'équivalent TNT (aujourd'hui, même les munitions nucléaires tactiques ont une plus grande force destructrice), explosait au-dessus de la ville japonaise de Hiroshima à une altitude de 576 mètres. 80.000 personnes avaient été tuées sur le coup, dont plusieurs dizaines de milliers ont été désintégrées en molécules — il n'en restait que des silhouettes sombres sur les murs et les pierres. L'incendie qui s'est immédiatement déclaré a dévasté la ville.

An atomic cloud billows above Hiroshima city following the explosion of the first atomic bomb to be used in warfare in Hiroshima, in this handout photo taken by the U.S. Army on August 6, 1945, and distributed by the Hiroshima Peace Memorial Museum. The words written on the photo are from the source - Sputnik Afrique
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Trois jours plus tard, le 9 août à 11:02, la bombe Fat Man de 21 kt d'équivalent TNT explosait à 500 mètres au-dessus de la ville de Nagasaki, faisant autant de victimes qu'à Hiroshima.

Des années après l'explosion, la radiation a continué de faire des victimes. Aujourd'hui, le bilan du bombardement atomique du Japon en 1945 dépasse les 450.000 morts.

RIA Novosti et Sputnik Japon ont demandé à des témoins encore en vie après les frappes nucléaires Hiroshima et Nagasaki de partager leurs souvenirs de cette horrible période.

«Hibakusha» — ou «ceux qui ont survécu aux bombardements atomiques»

Hibakusha se traduit littéralement du japonais comme «ceux qui ont été soumis à l'effet de l'explosion». A présent, le monde entier connaît ce terme: c'est ainsi qu'on appelle les victimes des bombardements atomiques contre le Japon. Le pays en prend soin, veille à leur santé. Près de 190.000 hibakushas sont encore en vie, qui ont tous survécu aux bombardements quand ils étaient enfants ou adolescents.

«Mon père se trouvait à seulement 680 m de l'épicentre de l'explosion. Il a réussi à survivre grâce aux murs de béton de l'immeuble où il se trouvait. Même s'il y a eu des victimes parmi ceux qui s'y trouvaient également. Les gens se trouvant à proximité des fenêtres ont été tués par l'onde de choc», raconte Sadao Yamamoto.

Reiko Yamada avait 11 ans. Elle ne veut pas se souvenir de l'horreur, mais elle comprend que si personne ne raconte ces événements, ils pourraient être oubliés et se reproduire.

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Reiko Yamada  - Sputnik Afrique
Reiko Yamada

«Quand la bombe a explosé j'étais à l'école. Je me trouvais à 2,5 km de l'explosion. Le quartier de l'autre côté du fleuve a été complètement détruit. Des gens courraient dans notre direction, il y en avait énormément sur la route. En l'absence d'aide médicale ils mouraient les uns après les autres sous le soleil très chaud, directement sur la route. Pour dégager la route, les tas de corps étaient balayés comme des déchets et brûlés directement dans la cour de notre école dans des trous. On brûlait également les corps dans d'autres écoles ou sur les terrains vagues. L'odeur de chair brûlée empestait dans toute la ville», se souvient Reiko Yamada.

Yoshiro Yamawaki avait le même âge et vivait à Nagasaki. Le 9 août, Yoshiro était à la maison quand la bombe Fat Man a explosé à 2 km de chez lui. Heureusement, sa mère, son frère cadet et sa sœur étaient à l'abri à cet instant et n'ont pas été touchés.

«Avec mon frère jumeau, nous nous sommes assis à table pour manger, quand tout à coup nous avons été aveuglés par un flash. Puis la maison a été traversée par une puissante onde de choc, qui a tout dévasté. C'est à ce moment que notre frère aîné, écolier mobilisé, est revenu. Nous avons couru jusqu'à l'abri pour attendre notre père, mais il n'est jamais revenu», raconte Yoshiro Yamawaki.

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Yoshiro Yamawaki - Sputnik Afrique
Yoshiro Yamawaki

«Les gens mouraient debout»

Le lendemain de l'explosion, Yoshiro est parti avec ses frères à la recherche de leur père. Ils sont arrivés jusqu'à l'usine où ce dernier travaillait — la bombe avait explosé à seulement 500 m. Plus ils s'approchaient et plus ce qu'ils voyaient était effroyable.

«Sur le pont, nous avons vu des colonnes de morts le long de la rambarde des deux côtés. Ils sont morts debout. Ils se tenaient là la tête penchée, comme s'ils priaient. Des corps flottaient également à la surface du fleuve. A l'usine nous avons trouvé le corps de notre père — son visage mort semblait sourire. Des adultes de l'usine nous ont aidés pour la crémation du corps. Nous avons brûlé le corps de notre père, mais nous n'avons pas osé raconter à notre mère ce que nous avions vu et vécu», poursuit Yoshiro Yamawaki.

«Le premier printemps d'après-guerre, nous avons planté des pommes de terre sucrées dans notre cour d'école, raconte Reiko Yamada. Mais quand la récolte a commencé, des cris retentissaient ici et là: dans la terre, des os humains côtoyaient les pommes de terre. Même si j'avais faim, je n'ai pas pu manger ces pommes de terre.»

Le lendemain de l'explosion, la mère de Sadao Yamamoto lui avait demandé de rendre visite à sa sœur cadette, dont la maison se trouvait à seulement 400 m de l'explosion. Mais tout était détruit, et des corps calcinés longeaient la route.

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«Hiroshima — un grand cimetière»

«Le mari de la sœur cadette avait réussi à se rendre au poste de premiers secours. Nous étions contents de savoir que notre oncle avait évité les blessures et les brûlures, mais c'est un autre malheur, invisible, qui l'attendait. Rapidement il a commencé à vomir du sang, et les médecins nous ont dit qu'il était mort. Soumis à une forte dose de radiations, notre oncle est mort subitement de la maladie des rayons. Les radiations, qui tuent l'homme de l'intérieur et pas de l'extérieur, ont été la plus terrible conséquence de l'explosion atomique», déclare Sadao Yamamoto.

«Mon récit pourrait paraître trop cruel, mais croyez-moi: ce que je raconte est loin d'être le plus horrible. D'innombrables personnes ont été brûlées vives à leur domicile, de nombreux handicapés continuent de souffrir à ce jour des cicatrices chéloïdiennes et d'autres conséquences de ces explosions», conclu Yoshiro Yamawaki.

«Je voudrais vraiment que tout le monde, enfants et adultes, sache ce qui s'est passé dans la cour de mon école en ce jour terrible. En 2010, nous avons récolté de l'argent avec des camarades pour ériger une stèle commémorative dans la cour de l'école. Toute la ville d'Hiroshima est un grand cimetière. J'ai déménagé depuis longtemps à Tokyo, mais encore aujourd'hui quand je viens à Hiroshima je ne peux pas marcher tranquillement sur ce sol sans penser: est-ce qu'un autre corps non enterré se trouve ici, sous mes pieds?», livre Reiko Yamada.

«Il est très important de débarrasser le monde de l'arme nucléaire. S'il vous plaît, faites-le! Le 7 juillet, l'Onu a approuvé le premier traité multilatéral sur l'interdiction des armes nucléaires, mais les plus grandes puissances nucléaires — les USA et la Russie — n'ont pas participé au vote. Le Japon, placé sous le parapluie nucléaire américain, n'a pas voté non plus. Nous, victimes des bombardements atomiques, sommes très attristés et voulons appeler les puissances nucléaires à prendre la tête de la libération du monde de cette terrible arme», poursuit Sadao Yamamoto.

Les bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki sont les seuls cas d'utilisation de l'arme nucléaire à des fins militaires de l'histoire. Ils ont horrifié l'humanité. Cette tragédie est l'une des plus horribles pages de l'histoire non seulement du Japon, mais également de toute la civilisation. Presque 500.000 personnes ont été sacrifiées à des fins politiques, pour pousser l'URSS à entrer en guerre contre le Japon, forcer le Japon à capituler dans la Seconde Guerre mondiale, tout en intimidant l'Union soviétique et le monde entier en montrant la puissance de la nouvelle arme dont l'URSS allait bientôt se doter également.

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