Le ministère français des Affaires étrangères pense à vous et à votre sécurité! «En raison de la prévalence de pratiques religieuses plus rigoristes, de l'apparition de foyers urbains de radicalisation islamiste et de l'existence de mouvements terroristes, la situation sécuritaire demeure instable dans certaines républiques du Caucase. Les déplacements au Daguestan, en Tchétchénie, en Ingouchie, en Kabardino-Balkarie et en Ossétie du Nord sont déconseillés sauf raison impérative», peut-on lire sur le site du Quai d'Orsay.
Malgré le fait que «les déplacements dans ces régions ne nécessitent plus d'autorisation spéciale de la part des autorités russes», on insiste lourdement sur le danger terroriste des républiques autonomes du Caucase du Nord. Il nous est paru intéressant de dresser les portraits (non exhaustifs) de ces pays méconnus du public étranger et ainsi vous faire voyager le long des côtes de la mer Caspienne, en passant par les vallées étroites des montagnes mythiques du Caucase, pour arriver vers les plaines fertiles de Krasnodar et Kertch — une porte désormais grande ouverte vers la presqu'île de Crimée.
Derbent, la plus ancienne ville de Russie
«Traditionnaliste», dit-on, toutes les femmes y sont obligées de porter le foulard. Vraiment? L'opinion publique est très ouverte sur la question. Et n'oublions pas non plus qu'au début de l'année 2018 on a découvert Aina Gamzatova, première femme musulmane à se lancer dans la course à l'élection présidentielle russe. Après Ksenia Sobtchak, patronne du plus grand groupe musulman de médias du pays, avec le portail islam.ru (télé, radio et journaux), Aina Gamzatova était la deuxième femme à se présenter à la présidence.
L'erreur la plus grave et la plus dommageable serait de dire qu'il n'y a rien à voir sur ces terres, habités par un peu plus de 3 millions de Daghestanais. Si la capitale Makhatchkala est une ville peu gracieuse, la ville de Derbent, dont le nom vient du perse «portes scellées», avec sa position-clé sur l'ancien chemin entre les terres du Nord et le Moyen-Orient, vient de fêter ses 2000 ans. Et elle les porte fièrement, couronnée de la Forteresse Naryn-Kala, répertoriée dans la liste du patrimoine mondial de l'Unesco et offre une vue spectaculaire sur la Mer Caspienne.
Juste à quelques 70 km au sud de Derbent se trouve le parc national naturel Samur. Cette forêt subtropicale est surtout réputée pour son aspect amazonien, entrelacée de vignes à feuilles persistantes. Si le Daghestan est prisé pour ses 200 km de plages caspiennes, les vrais joyaux se cachent dans la montagne. Le canyon de Sulak, dans la vallée de la rivière éponyme est l'un des plus profonds du monde, il est 120 mètres plus profond que le célèbre Grand Canyon américain. Pour avoir un avant-gout de cette merveille, il suffit de relire «Le Caucase» d'Alexandre Dumas qui est passé dans le coin en 1858…
Le Daghestan est la république la plus multiethnique de Russie. Le russe reste la langue dominante, mais 14 langues des peuples du Daghestan ont reçu le statut de langue d'Etat. Ce n'est point le fruit du hasard si les Daghestanais excellent dans les arts martiaux mixtes (MMA) qui sont beaucoup basés sur les pratiques de lutte ancestrales de la région. Un des lutteurs les plus connus de MMA est Khabib Nurmagomedov natif de Makhatchkala, champion des poids légers de l'Ultimate Fighting Championship en avril 2018.
Tchétchénie, synonyme du danger terroriste
Tout le monde ou presque a entendu parler de la Tchétchénie qui est devenue presqu'un nom commun à cause de la guerre éponyme. Mais les hostilités dans cette République, ont cessé depuis plus de dix ans et sa capitale, Grozny, s'est reconstruite pour devenir une ville moderne et spacieuse. Malgré les titres de presse, qui font référence à la persécution de la communauté LGBT, la Tchétchénie peut être fière d'un très bas niveau de criminalité: en 2017, elle obtient un bon score dans le classement inversé: 80ème place pour le taux de criminalité parmi 85 villes de la Fédération. On n'oublie pas les grands procès politiques, ni l'assassinat d'Anna Politkovskaïa, ni les accusations du Memorial, mais la Tchétchénie, qui se remet des conflits, est une réalité complexe, et pour la comprendre, il vaut mieux la voir de ses propres yeux. »
Peut-on se dire que l'énergie des Tchétchènes est canalisée (non sans une volonté politique du Président Ramzan Kadyrov) vers la pratique des arts martiaux mixtes? Ce sport, interdit en compétition dans certains pays européens, se pratique beaucoup en Tchétchénie. Récemment, la salle du sport « Colosseum » a accueilli dans Grozny le tournoi d'arts martiaux mixtes WFCA49. Dans neuf combats sur quinze, les représentants du club tchétchène «Akhmat» ont remporté la victoire.
Pour les caractères plus calmes, la Tchétchénie — pays montagneux — est une mine de trésors naturels. La vallée de l'Argoun, juste à 1h30 de route de Grozny, est non seulement un espace naturel, magnifique en automne, mais aussi le centre de la civilisation ancienne tchétchène. «Les vagues de l'Argoun parlent notre langue» plaide l'hymne national. En effet, la rivière est un trait-d'union fluvial qui réunit ces terres.
Depuis que la paix est revenue en Tchétchénie, le gouvernement national s'est beaucoup appliqué dans la restauration du patrimoine architectural. Il suffit de voir l'état des tours de guet d'Uchkaloj ou les tours d'appel près du village Sattou. Mais les amateurs de la littérature russe entendront dans ces terres également l'écho des «guerres du Caucase» dont l'histoire russe est malheureusement riche. Les connaisseurs de «Guerre et Paix» pourront se plonger dans les «années caucasiennes» de Tolstoï juste à une trentaine de minutes de Grozny, dans un musée situé dans le village Starogladovskaya. C'est ce village où Tolstoï a passé trois ans en 1851-1853 et a terminé sa première nouvelle «l'Enfance».
Ingouchie, la terre du peuple des forteresses
L'Ingouchie est la plus petite république du Caucase du Nord et sa capitale, Magas, qui ne compte même pas 6000 habitants, est le plus jeune chef-lieu de Russie, car ce n'est qu'en 2000 qu'il est devenu le centre de la République.
Le peuple a beaucoup souffert des purges staliniennes: au lendemain de la Seconde Guerre, l'URSS accusa les Ingouches et Tchétchènes d'avoir collaboré avec les nazis. L'ensemble de la population ingouche de Ciscaucasie a été déporté au Kazakhstan et en Sibérie où près des deux tiers périrent.
Les Ingouches se nomment eux-mêmes Ghalghaï, le nom qui, d'après les chercheurs provient de l'ingouche ghal: forteresse, et ghaï : habitants. Et il n'y a rien d'anodin dans ce nom. Ce peuple étonnant du Caucase est célèbre surtout pour ses tours de clan, étonnantes bâtisses qui rappellent un peu les tours toscanes de San Gimignano. On en décompte près de 200 dans le district de Djeïrakh, un pays montagneux situé à une altitude de 1 200 à 2 000 mètres. Le plus grand complexe, Eguikal, en compte plus de 40. Les montagnes ont permis au peuple de survivre, et les tours sont aujourd'hui le symbole non seulement de la résistance, mais de la fierté des descendants des bâtisseurs d'antan.
Les tours Vovnouchki constituent la forteresse la plus célèbre. Elle a été même en finale du concours visant à élire les Sept merveilles de Russie. Ressemblant à des châteaux hauts perchés des cathares, ces tours ont été défendues contre les invasions à travers les siècles par les habitants locaux. Habitées il n'y a pas si longtemps, elles n'ont été désertées que suite à la déportation stalinienne.
Elbrouz, le plus haut sommet de l'Europe
La Kabardino-Balkarie a été la quatrième république du Caucase russe voisine de la Tchétchénie à être emportée dans la tourmente terroriste. Les Français n'ont longuement entendu parler de ce petit pays qu'à travers des dépêches sur les actes terroristes, avant de découvrir cette année toute l'étendue (ou il faut plutôt dire l'«étroitesse») de sa vie à travers un film puissant de Kantemir Balagov «Tesnota — Une vie à l'étroit» qui raconte la vie d'une famille de la communauté juive du Caucase qui doit faire face à un enlèvement et une demande de rançon.
Mais de Kabardino-Balkarie dont la population n'atteint même pas un million d'habitants, les touristes connaissent surtout les pistes de ski et le Mont Elbrouz, le plus haut sommet d'Europe avec ses 5642 mètres d'altitude, qui s'élève au sud-ouest du pays. On loue en Europe la beauté et le caractère fort du Mont-Blanc, mais celui qui a vu une fois dans sa vie ce monstre sacré enneigé, ce volcan éteint depuis 5000 ans avec son double sommet, ne l'oubliera guère.
Apres la conquête de la montagne par une expédition russe, organisée en 1829 par l'Académie des Sciences de Russie, la première ascension «étrangère» de l'Elbrouz a été effectuée en 1868 par les Anglais, accompagnés par leur guide français François Devouassoud et deux porteurs locaux. Depuis, le mont Elbrouz, ce véritable toit de l'Europe, fait partie des passages obligatoires des «5000 m», et depuis 1989, il accueille les championnats annuels de vitesse de montée. Les moins sportifs peuvent profiter d'un funiculaire qui les amene à l'altitude de 3847 mètres dans un monde minéral et glacé. Ou mieux encore: ils peuvent passer une semaine à skier sur les pentes encore assez peu fréquentées du site de Tcheget qui offre la meilleure vue sur les sommets de l'Elbrouz.
Plus bas, dans les vallées profondes qui entourent le géant des montagnes, le parc national de Prielbroussié au sud-ouest de la République de Kabardino-Balkarie, enchante l'oreille par le son des nombreux cours d'eau et chatoie l'œil par la multitude des couleurs florales. Le calme et l'isolement de ces lieux font revenir par endroit l'ours, le loup et le lynx.
Ossétie du Nord-Alanie, la porte d'entrée au Caucase
L'Ossétie du Nord est une des Républiques les plus aisées du Nord-Caucase. Elle est la plus urbanisée et la plus industrialisée aussi. Mais le nom de l'Ossétie du Nord va surtout de pair avec les combats qui ont éclaté partout dans la région et dans sa capitale Vladikavkaz, en octobre 1992, quand des nationalistes ingouches ont pris les armes et se sont insurgés contre les autorités ossètes. Malgré la signature en 2002 par les présidents d'Ossétie du Nord et d'Ingouchie, d'un accord afin de «promouvoir la coopération et les relations de voisinage», la prise d'otages de Beslan a entravé le processus et aggravé les relations osséto-ingouches.
Vladikavkaz, dont le nom peut être traduit littéralement comme «celui qui contrôle le Caucase», est une porte d'entrée pour tout le Caucase du Nord, le point de départ de la Route militaire géorgienne. Une route utilisée par les militaires Russes depuis la fin du XVII siècle et chanté par les grands auteurs russes. Il suffit de l'emprunter pour voir le mont Kazbek avec ses 5 047 m d'altitude, le troisième plus haut sommet du Caucase, la passe de Darial creusée par le cours supérieur du Terek, et d'entrer sur le territoire géorgien par le point de contrôle entre Verkhny Lars en Russie et le district de Kazbegi en Géorgie.
La passe de Darial est le seul passage naturel à travers le Caucase, bien entendu un accès stratégique historique. On sait que le passage est fortifié, au moins depuis 150 av. JC, et les ruines d'une ancienne forteresse sont toujours visibles. Mais la gorge est remarquable aussi par sa beauté, ce n'est pas le fruit du hasard si le poète Mikhaïl Lermontov l'a immortalisé dans son poème Le Démon.
« Ne pas se rendre en Crimée, sauf raison impérative. »
Le message du site du Quai d'Orsay est bien clair: «L'entrée et le séjour en Crimée sont soumis à l'obtention d'une autorisation préalable des autorités ukrainiennes et au passage par des itinéraires clairement définis.» Il faut s'y retrouver, dans la langue d'Esope des diplomates… Puisqu'on parle des voyageurs qui s'y rendent également «avec autorisation des autorités locales de Crimée, par voie aérienne ou maritime depuis un autre pays», mais ne peuvent pas «quitter la Crimée par voie terrestre.» Il suffit d'analyser les tableaux d'arrivées et de départs de l'aéroport international de Simferopol, pour voir que 100% des vols relient la capitale de la Crimée aux villes de la Russie. Tout comme, il faut se rappeler que la Turquie n'accepte plus les ferrys venant des ports criméens depuis mars 2017. Ainsi, il faut traduire «un autre pays» par Russie… et «des autorités locales» par autorités russes…
Ce pont, qui relie la Crimée au territoire de Krasnodar, désormais le plus long de l'Europe, avec ses 19 km, a volé la vedette au Pont Vasco da Gama à Lisbonne. Le chantier, lancé en février 2016, est arrivé à son terme le 16 mai dernier. Bien que la circulation ferroviaire ne soit pas encore lancée, les automobilistes qui y passent n'ont qu'un regret — qu'on n'ait pas droit de freiner pour prendre en photos les paysages maritimes du détroit de Kertch.
Et maintenant, en route…
Pour se rendre dans les petites Républiques dans le Causes du Nord, on peut faire appel à certaines agences françaises, tel que Rendez-vous en Russie qui invite les touristes à visiter le Prielbroussié en été, ou encore BaïkalNature qui propose des circuits d'une douzaine de jours. On trouve surtout et beaucoup de sites anglophones, comme Kavkaz Explorer qui explore vraiment à fond les richesses de la montagne.
Mais pour les vrais aventuriers, les vrais voyageurs, la route la plus directe vers le Caucase du Nord reste de se prémunir d'un visa russe et d'un billet d'avion vers les villes de Mineralnye Vody ou Makhatchkala, de s'envoler vers Grozny ou Naltchik. Ou encore, pour les plus patients, de prendre un train de nuit, pour plus de 24 heures de voyage… toute un monde — ces trains de nuit en Russie.