Après sa remise en cause par Donald Trump, l'ALENA va-t-il survivre à l'élection du Président mexicain Andrés Manuel López Obrador? C'est l'inquiétude qui semble saisir Justin Trudeau: après les félicitations d'usage pour sa victoire, Justin Trudeau a immédiatement discuté avec López Obrador de l'avenir des relations économiques entre les deux pays. Le Gouvernement du Canada indique que:
«Le Canada et le Mexique sont des amis proches et des partenaires de longue date. Nous sommes unis par des objectifs communs et de forts liens entre nos populations. Nous entretenons une relation commerciale mutuellement profitable qui fait l'envie du reste du monde. Nos efforts communs visant à mettre à jour l'Accord de libre-échange nord-américain pour le 21e siècle en sont la preuve.»
Depuis la remise en cause de l'ALENA par Donald Trump, la ligne que maintient Justin Trudeau n'a pas changé:
Deuxièmement, Trudeau rejette toujours l'idée d'une négociation bilatérale avec les États-Unis, une suggestion de Donald Trump. Selon le Premier ministre canadien, les trois partenaires constitutifs de l'ALENA doivent prendre part aux négociations. Une vision économique qui rappelle le principe de multilatéralisme cher au Canada sur la scène internationale. Un principe qu'ont presque toujours défendu les divers gouvernements libéraux à travers l'histoire canadienne. Le 6 juin 2018, Trudeau déclarait que son gouvernement et lui restaient convaincus que
«L'ALENA est extrêmement positif. On va continuer à défendre l'option gagnante-gagnante-gagnante trilatérale, c'est ce qu'il y a de meilleur pour le Canada, le Mexique et les États-Unis.»
La victoire d'AMLO au Mexique survient à un moment où le gouvernement canadien se montre de plus en plus pressé de faire avancer le dossier. De fait, la ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, a affirmé que le gouvernement fédéral s'attendait à ce que les négociations de l'ALENA s'intensifient durant l'été.
Négociations: un pied sur le frein, l'autre sur l'accélérateur
Sous couvert d'anonymat, un fonctionnaire fédéral a aussi affirmé dans la presse que le gouvernement canadien espérait reprendre les pourparlers «dès que possible», maintenant que le nouveau Président mexicain avait été élu.
L'empressement du gouvernent canadien semble toutefois inutile, voire illusoire selon plusieurs experts. Interrogé par Radio-Canada, Raymond Bachand, ancien ministre provincial et négociateur en chef pour le Québec dans ce dossier, croit que l'arrivée d'AMLO au Mexique ralentira les négociations.
Bachand estime également que López Obrador tentera d'installer son propre personnel politique à la table des négociations. Une équipe dont le mandat sera évidemment de favoriser, en toute cohérence, le développement économique du Mexique. Selon lui,
«Il [López Obrador, ndlr] va mettre, évidemment, ses propres négociateurs pour accompagner les autres jusqu'à la transition. Il va prendre la présidence au 1er décembre, alors peut-être que ça va ralentir le processus, aussi.»
Sputnik s'est entretenu avec Simon-Pierre Savard-Tremblay, docteur en socio-économie et chroniqueur régulier au Journal de Montréal. Il croit que le Mexique de López Obrador voudra éliminer certaines dispositions de protection des investisseurs étrangers.
Les entreprises canadiennes au Mexique sur la sellette
Savard-Tremblay souligne que des dispositions comprises dans l'ALENA permettent aux multinationales de retoquer les décisions des États. Le chroniqueur économique donne l'exemple de la victoire de l'entreprise états-unienne Cargill qui, en 2014, a obtenu 90,7 millions de dollars américains de la part du gouvernement mexicain.
«Le Mexique a été reconnu coupable d'avoir créé une taxe sur certaines boissons gazeuses, lesquelles sont pourtant responsables d'une importante épidémie d'obésité au pays. C'est un problème grave de santé publique. Les multinationales qui profitent du libre-échange sont loin de faire l'unanimité dans un Mexique encore politiquement influencé, sur certains plans, par la pensée socialiste.»
Savard-Tremblay avertit que les sociétés minières canadiennes n'ont pas bonne presse au Mexique. Selon lui, elles se comporteraient comme des «entreprises-voyous», car elles auraient déjà causé de sérieux dommages à des populations locales dépourvues de moyens légaux pour se défendre.
Les sociétés minières canadiennes, des «voyous»?
Des dommages sociaux, mais aussi écologiques qui toucheraient particulièrement des populations autochtones. Un sujet controversé qui pourrait potentiellement être abordé, du moins évoqué, à la table des négociations. Rappelons qu'en février 2018, une association mexicaine de défense des droits de la personne se rendait au Canada pour déposer une plainte au Commissaire canadien à l'intégrité du secteur public. Cette plainte concerne l'implication supposée de l'ambassade du Canada au Mexique dans les activités de la société minière Blackfire Exploration dans la région du Chiapas.