Burkina Faso: Ouf, le Roi a (encore) raté son départ!

© AFP 2024 AHMED OUOBATraditional Burkinabe chief the Mogho Naba Baongo (C), king of the Mossi people, sits at the 'Place de la Nation' square in Ouagadougou on August 19, 2012 as he came, along with other religious leaders, to wish a good Eid al-Fitr to the Burkinabe muslims observing Ramadan.
Traditional Burkinabe chief the Mogho Naba Baongo (C), king of the Mossi people, sits at the 'Place de la Nation' square in Ouagadougou on August 19, 2012 as he came, along with other religious leaders, to wish a good Eid al-Fitr to the Burkinabe muslims observing Ramadan. - Sputnik Afrique
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Une étrange cérémonie se déroule, chaque vendredi, en plein cœur de la capitale burkinabè, Ouagadougou. Ancestrale, la chorégraphie est également inédite: interdiction de filmer ni de prendre la moindre photo. Pourtant, le faux départ hebdomadaire du Roi est plutôt une bonne nouvelle…

La Cour royale du Mogho Naba envoûte par son mystère. Un îlot pluricentenaire de 15 hectares flottant dans le silence, assiégé par le vacarme de la ville, surnommée «Ouaga deux-roues». Un petit groupe d'«autochtones» se trouve déjà sur les lieux, très tôt ce matin. Ils sont assis, par terre, à l'ombre d'un grand neemier. Étienne est réparateur de climatiseurs. C'est également un sujet de Sa Majesté.

«Nous sommes des sujets du Mogho Naba. Assister à cette cérémonie est important pour tout Mossi [ethnie majoritaire au Burkina, ndlr], car ça fait partie de nos coutumes. C'est une tradition de nos ancêtres, qu'on observe depuis des siècles et qu'on ne peut pas abandonner. Bon, il y en a qui viennent chaque vendredi, d'autres qui viennent chaque mois, selon leurs engagements. Lorsque la cérémonie est finie, ils s'en vont vaquer à leurs occupations»,

dit Étienne, en fixant, à deux cents mètres de lui, la monture martiale que venaient de seller des serviteurs du Roi, en uniforme bleu. Deux vieux mortiers sont disposés à quelques mètres du cheval. Un vieux dignitaire, à la barbe blanche, surgit à bord d'une moto 150 cc. Bientôt, il est rejoint par d'autres chefs traditionnels affluant en deux-roues ou en voiture. Reconnaissables de loin à leurs boubous flottants et bariolés, les ministres du Roi sont également coiffés de chapeaux de couleur orange, ornés de motifs en forme de losanges et griffés d'une petite croix verte. Tous finiront par s'installer à l'intérieur d'une grande enceinte, délimitée d'un côté par des neemiers décrivant un demi-cercle et de l'autre par la résidence du roi. Les sujets, comme les touristes, doivent se garder de fouler l'enceinte ainsi réservée aux dignitaires et même de prendre la moindre photo de l'événement.

«Lui, c'est le chef du tambour. Il est chargé de battre le tambour quand le Roi s'apprête à partir. Il a un rang hiérarchique supérieur. Voyez comment d'autres enlèvent leurs chapeaux en venant le saluer»,

décrit Étienne, en montrant un vieux dignitaire muni d'une percussion traditionnelle, qui s'est installé sous une paillote à l'intérieur de l'aire protégée. Peu à peu, les différents chefs traditionnels prennent place, à l'intérieur de la grande cour, selon une disposition protocolaire bien rodée. Certains bordent la paillote, d'autres longent le mur du palais royal. Le plus grand nombre, une trentaine, s'agencent en lignes parallèles en plein centre de la cour, à une centaine de mètres tout au plus des yeux amusés ou détachés des spectateurs.

Premiers battements de tambour. Un chant sacré entonné par le chef du tambour en Mooré, la langue locale. Des mouvements s'opèrent au sein des chefs traditionnels, qui avancent en différents groupes en direction du palais, avant de retrouver, chacun, sa position initiale. Un canon retentit, bruyamment. Le Roi est finalement aperçu, brièvement, dans une tenue rouge écarlate. Des membres de la cour prennent le cheval loin de son regard. Au bout de quelques instants, le souverain Mossi réapparaît en tenue blanche, couleur de la paix. Il s'installe sur un trône placé devant son palais, entouré de sa cour.

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Les chants et tambours reprennent de plus belle. Un deuxième canon retentit. Quelques feuilles tombent. Mogho Naba se lève et s'en va retourner chez lui. Ses sujets respirent. Les touristes, aussi, sans trop savoir pourquoi. Sans surprise, le Roi a finalement annulé sa sortie. Pour le bonheur du royaume mossi qui sera préservé de la guerre.

La chorégraphie du Nabayious Gou, ou «le faux départ de l'Empereur pour la guerre», fait référence, raconte-t-on aujourd'hui encore à Ouagadougou, la rivalité qui opposa, au XVIe siècle, deux princes après la mort de leur père, le Naba Gnignemdo. Furieux d'avoir été écarté du trône par des notables lui reprochant sa cruauté, le fils aîné, Yadega, décida de lever une armée contre son frère «usurpateur», Naba Koundoumié.

La confrontation est empêchée en dernière minute par la Reine mère, qui lui confia toutefois les fétiches royaux, par l'intermédiaire de sa sœur, Pabré. Apprenant le vol des fétiches, le Naba Koundoumié décida de faire la guerre contre son frère. Il fut toutefois dissuadé par ses proches, et finit par annuler sa marche sur Ouahigouya, où loge l'aîné. Le «faux départ» commémore, jusqu'à aujourd'hui, le choix de la paix qui, un jour, épargna le sang au Royaume Yatenga.

Quelques siècles plus tard, le Roi des Mossis, l'ethnie majoritaire au Burkina Faso, reste investi d'une autorité morale incontestable. Il est souvent consulté pour toutes sortes de questions, aussi bien par les chefs traditionnels, que par tout sujet désirant le rencontrer après s'être dûment acquitté d'une demande d'audience auprès du secrétariat de Sa Majesté. Confréries religieuses, délégations politiques, écoliers, la porte du souverain est ouverte… et souvent encombrée par trop de sollicitants.

​​En 2015, alors que la transition démocratique dans le pays était hypothéquée par une tentative de coup d'État, le Mogho Naba s'est engagé dans une médiation déterminante, entre les putschistes et les autorités légitimes, pour un retour à l'ordre constitutionnel.

​Début juin, il a été récompensé par le Président sénégalais Macky Sall, qui lui attribua un prix annuel éponyme pour son rôle dans la préservation de la paix… dans la droite ligne de la philosophie du faux-départ. Autant dire qu'on n'est pas sorti du Palais…

​«Autant la préservation des institutions coutumières est un facteur de stabilité et un gage d'authenticité, autant elle traduit aussi, quelque part, la fragilité des institutions étatiques. Ainsi, la paix sociale échappe, souvent, aux circuits institutionnels et citoyens. Dans beaucoup de cas, cette paix résulte du recours à des instruments coutumiers et communautaires mieux adaptés aux attentes des populations et détenteurs, à leurs yeux, d'une plus grande légitimité», a résumé pour Sputnik un diplomate accrédité à Ouagadougou, fin connaisseur du pays mossi.

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