La question s'est pour la première fois posée après le match avec l'Australie, puis a resurgi après France — Pérou. Où sont les supporteurs des Bleus?, s'interrogeaient les habitants des villes hôtes, s'évertuant à trouver des fans français dans la masse multicolore des amateurs de foot venus des quatre coins du monde. La polémique s'est aussi enflammée sur la Toile, les internautes pointant du doigt ce grand absentéisme de leurs compatriotes dans les tribunes de Kazan et d'Iekaterinbourg.
Y’a des drapeaux anglais partout dans le stade au niveau de la séparation du premier et du deuxième etage du stade… nous pour France Australie on était 3000 pauvres petit français éparpillés dans un stade de 45000 places….
— Lukkás Burasczyńska (@Clem_Maan2717) 18 июня 2018 г.
Même constat amère quelques jours plus tard, après le match contre le Pérou, suivi cette fois par une vague d'incompréhension encore plus forte.
+ de 20000 péruviens ont fait le déplacement en Russie pour supporter leur équipe nationale alors quil sont en population total meme pas la moitié de la france ~ 30 millions dhab et quils ont en PIB par habitant 1 sixieme de celui du français,les français ne sont que 2000 why?
— LARABE (@batmanlarabe) 21 июня 2018 г.
Cet internaute était d'ailleurs loin d'être le seul à dénoncer l'absence des Français.
#franceperou je ne comprends pas qu'avec toute la ferveur nationale, toutes les recettes de pub récoltées par les différents médias gratuits ou payants il n'a pas été décidé d'affreter des cars pour emmener des supporters français en Russie. Ils ont besoin de nous la-bas les gars
— Joe (@flavyjo) 21 июня 2018 г.
Une goutte dans l'océan
Les supporteurs français sont en effet minoritaires en Russie lors de ce Mondial. Selon la FFF et la FIFA, ils seront au total entre 17.000 et 20.000 à soutenir les Bleus sur le sol russe durant toute la période de la compétition.
La France n'est pas un pays de foot?
Face à ces chiffres, il faut se rendre à l'évidence: la plupart des Français ont préféré rester chez eux, laissant la fête du football passer à côté. Déjà au Brésil, quatre ans plus tôt, ils n'étaient pas très enthousiastes, comme en témoignent les 35.000 billets achetés. Depuis, la situation s'est encore dégradée. En cause, estiment de nombreux supporteurs que nous avons interrogés, la passivité générale en Europe, tout comme la culture du foot qui ne serait pas assez forte.
«Les Français sont un peu plus habitués à ce que leur équipe soit qualifiée pour le Mondial, ils vont supporter leur équipe mais depuis la France en famille ou entre amis», nous explique Johann Bollier, qui n'a pourtant pas hésité à venir suivre les matchs des Bleus dans les tribunes russes.
«Le Pérou est un pays qui vit football alors que la France n'est pas un pays de foot ce qui explique le nombre peu important qu'on est en Russie…», ajoute de son côté Thomas Otalora après le match des Bleus contre les Péruviens.
Il serait pourtant erroné de penser que tous les Européens se sont montrés aussi peu intéressés. Quatrième dans le top des pays les plus demandeurs de billets, l'Allemagne s'est procurée 62.000 sésames pour suivre sa Mannschaft sur le terrain. Plus de 30.000 fans sont d'ailleurs attendus en provenance d'Angleterre.
Qu'en est-il de la France? Sa spectaculaire ascension jusqu'à la finale de l'Euro, deux ans plus tôt, ainsi que son équipe, reconnue comme étant la plus chère au monde, n'ont apparemment pas jusqu'ici suffisamment inspiré les fans.
La faute à la FFF?
Comme autre cause de cette grande absence, on peut relever le manque d'aide de la part de la FFF aux supporteurs de l'équipe nationale, estime Olivier. Blogueur et auteur du projet Baroud4sports, il parcourt les continents en quête d'événements sportifs et n'a pas manqué l'occasion de venir au Mondial en Russie. Le jeune homme dénonce le coût des voyages à la Coupe du Monde et le faible soutien informationnel à ceux qui cherchent une alternative moins chère aux packages officiels.
«Nous ne sommes pas aidés par notre fédération qui ne nous a même pas placés ensemble. Déjà que nous ne sommes pas beaucoup et en plus nous sommes dispersées. Les prix pratiqués par les agences françaises qui vendent des packages sont exorbitants», nous explique-t-il.
Et de poursuivre: «Il est possible d'assister à la Coupe du Monde avec un petit budget, mais les personnes ne sont pas assez informées. Il y a un manque de communication et de clarté pour la billetterie ».
Merci, les médias!
On en vient finalement au contexte dans lequel se déroule la Coupe du Monde. Cet événement sportif a été précédé d'un minutieux travail de sape mené par la presse mainstream sur fond de tensions diplomatiques avec Moscou. «Malheureusement, la Russie fait peur aux Français avec l'image dégagée par les médias», nous dit Thomas. «C'est mon premier Mondial donc je suis dans un rêve, de plus ça aide à avoir une autre idée de ce qu'est la Russie», ajoute-t-il.
En effet, à la veille du Mondial, toute une armée de journalistes européens et américains a fait ses choux gras en effrayant ses lecteurs avec du racisme, des hooligans, des agents secrets chargés de surveiller les étrangers, la morosité des Russes, tout en prédisant que les stades ne seront jamais construits et que personne ne viendra au Mondial.
Ont-ils produit l'effet recherché? À vous de juger. N'oubliez juste pas de jeter un œil sur le top 10 des pays qui ont acheté le plus de places pour le Mondial. Là, en tête du classement, vous serez peut-être étonné de retrouver… les États-Unis. L'absence de leur équipe à la compétition ainsi que l'amour tendre nourri par leur presse envers Moscou n'ont pas dissuadé 89.000 personnes de se procurer un billet en vue de rejoindre le pays des ours. Même chose pour l'Allemagne et le Royaume-Uni.
Depuis l’Euro 2016 et les hooligans russes, on nous dit de ne pas aller en Russie car trop dangereux. Et maintenant ça déplore dans chaque émission le faible nombre de supporters français à la CDM2018. Schizophrénie des médias.. #RMCLive @jltourre @Jano_Resseguie @PierreDorian
— La Gachette 🔫 (@abeaulaigue) 21 июня 2018 г.
Alors les Français ont-ils eu peur de venir? «Non je ne pense pas. Ou alors une minorité», affirme Johann Bollier. «Je pense que ce n'était simplement pas dans leurs projets de se déplacer pour la Coupe du Monde», dit-il en ajoutant que «pour nous en tout cas, on a pas eu peur de venir et tout se passe bien».
«Ne pas s'arrêter aux idées reçues»
Ces Français qui sont tout de même venus n'ont pourtant pas l'air déçu. «En aucun cas je regrette, c'est quelque chose d'exceptionnel de vivre ça», dit Olivier.
«Il y a une très bonne ambiance entre supporters, et les Russes nous ont bien accueillis même si c'est parfois dur de se faire comprendre car on ne parle pas russe», ajoute Johann.
Thomas Otalora dit lui aussi ne pas regretter son déplacement. «Les Russes sont des gens très ouverts. Ils m'ont rappelé les vendéens en France. Après, la sécurité est tellement grande dans le Mondial qu'il y a pas de soucis à se faire», confie-t-il.
Alors que la Coupe entre dans sa phase la plus chaude, il reste encore plus de deux semaines pour en profiter. Et si les billets pour les matchs sont déjà vendus, pourquoi ne pas venir respirer cet air de fête qui flotte en cette période dans toutes les rues des villes russes.
«On a la chance de pouvoir voyager plus facilement qu'avant, il faut en profiter pour aller à la rencontre des gens et sortir des sentiers battus et des destinations plus classiques. Pour nous, ce voyage en Russie est une réussite et peut être qu'on reviendra», conclut Johann.