«On constate dans les rues et sur les plages russes une liesse incessante, qui ne dissimule pourtant que partiellement une réalité sombre», écrit The Daily Beast (États-Unis).
«A quoi bon penser aux minorités réprimées, aux avions de ligne abattus ou aux péninsules annexées si l'on a de la bière glacée et des transports gratuits, et que le football fascine?», s'interroge Hufvudstadsbladet (Finlande).
«Vous commencez à accepter ce que la Russie veut vous suggérer à l'aide de ses monuments, de ses beaux lieux et bâtiments (…) il suffit pourtant de quitter la ville. Un voyage de quatre heures vers Saint-Pétersbourg en Sapsan brise ce scénario. Des usines rouillées s'entremêlent avec des cabanes vétustes, et vous doutez même qu'il s'agisse en réalité de maisons avant de vous apercevoir des femmes dans leurs potagers (…) tout cela n'est pas vraiment différent des bidonvilles brésiliens que j'ai vu aux alentours du stade brillant de la ville côtière de Salvador», relate The Toronto Sun (Canada).
Voilà des extraits de la nouvelle vague d'articles consacrés à la Coupe du Monde de football de 2018 en Russie. Qu'est-ce que tout cela signifie?
Leur nouvelle conception est la suivante: la Russie semble incroyablement cool pour tous ceux qui ne sont pas professionnels. Il ne s'agit pourtant que d'un décor visant à masquer l'horreur de la réalité russe. Voilà quelques exemples:
«La Coupe de monde est un nouveau village Potemkine de la Russie» (The Irish Time).
«Sexe, mensonge et football à la Coupe du monde Potemkine de Poutine» (The Daily Beast).
«La Russie tente de cacher la pauvreté, (…) on accuse les apparatchiks régionaux de Poutine d'avoir transformé les lieux d'organisation de la Coupe du monde en villages Potemkine modernes» (The Daily Express).
Ses collègues irlandais, américains ou britanniques peuvent eux-aussi ignorer que les villages Potemkine sont un mythe inventé et promu par les diplomates européens.
Nous ne faisons que constater qu'il existe actuellement une autre compétition mondiale, parallèlement à la Coupe du monde. Il s'agit d'un match du siècle entre le simple «journalisme populaire» des supporteurs et les médias professionnels qui ont une orientation tout à fait distincte. L'objectif de ces derniers est d'expliquer à tout le monde, y compris à ceux qui se sont personnellement rendus en Russie, qu'il ne s'agit que du décor d'un grand parc d'attraction.
L'enjeu est plus important que tout simplement l'«image de la Russie», bien que nous respections évidemment notre pays. Le fait est qu'au cœur de cet affrontement se trouve un dogme crucial pour la vision occidentale du monde. On peut le présenter de la manière suivante: les démocraties libérales sont efficaces, alors que les démocraties non-libérales ne peuvent pas l'être en principe.
Une démocratie non-libérale, dont le sommet dirigeant s'appuie sur la majorité de la population et s'adresse à elle, est incapable de construire des gratte-ciels, des voies rapides et des stades merveilleux, ainsi que d'assurer la sécurité et le bien-être de son peuple.
Les citoyens des démocraties libérales sont toujours souriants et n'ont peur de rien. Les citoyens des démocraties non-libérales sont sombres et terrifiés. Leur sourire ne signifie qu'une contrainte de le faire ou une tentative d'oublier les horreurs de leur vie (selon le dénonciateur canadien des potagers russes, les «gens regardent le Sapsan pour se distraire un moment de la routine quotidienne, privés qu'ils sont de tout ce que possèdent les habitants de l'Amérique du Nord».
Comme les démocraties non-libérales ont construit ces dernières décennies un nombre indécent de gratte-ciels, de voies rapides, de stades et de centres commerciaux, et que l'on constate dans leurs rues énormément de voitures personnelles, cette conception exige une mise à jour.
Quant à nous, nous ne pouvons que sympathiser avec ses adeptes car la «dénonciation de l' l'apparente efficacité russe» (la Russie est un modèle de démocratie non-libérale du point de vue de la propagande occidentale classique) est très similaire à celle de l'«Occident décadent» constatée en URSS peu avant son démembrement.
On pouvait remplacer les «Français ordinaires» par les «Londoniens ordinaires» («la vie est triste dans les quartiers ouvriers de la capitale britannique»), les «Américains ordinaires» («les feux de Noël ne remplissent pas de joie les cœurs des habitants de New York») etc. Il y a avait même des variantes comiques citant les «chants tristes des rossignols dans le bois de Boulogne».
Le caractère légendaire de cette phrase expliquait parfaitement l'impuissance de la propagande soviétique. On estimait que la percée soviétique, assurée par les mesures très strictes de l'époque postrévolutionnaire, était épuisée. Les accomplissements en matière de bien-être et de qualité de vie obtenus vers le milieu des années 1970 semblaient peu évidents. C'est pourquoi la propagande a choisi la voie la plus simple: reconnaître que la vie à l'étranger était reluisante, mais dévoiler sa nature fausse et artificielle.
Le même piège attend les dénonciateurs qui parlent d'une «liesse incessante dans les rues et sur les plages, qui ne dissimule pourtant que partiellement une réalité sombre». Parce que la réalité montre actuellement sa nature sévère aux citoyens ordinaires de toutes les civilisations du monde.
Quant aux propos soulignant l'absence d'inclusivité des membres de la communauté LGBT dans la Russie terrible et la restitution de la Crimée, ils n'ont actuellement aucune force réelle. Parce que la majorité de la population des démocraties libérales, qu'on tente activement de réduire à la clandestinité, considère ces informations plutôt comme un sujet de jalousie que comme une source de peur.
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