«On a des solutions fonctionnelles! Ça me rend optimiste… ce qui me le rend moins, c'est que des changements de cette ampleur ne se font pas rapidement, voire pas du tout», confie Vincent Bretagnolle, directeur de recherche au CNRS.
Ce spécialiste en agro-écologie, et cité dans un rapport sur la disparition des oiseaux dans les campagnes françaises, aide les agriculteurs à se passer du glyphosate, classé comme cancérogène probable et qui symbolise, d'après Brune Poirson, Secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique, «une utilisation parfois excessive de produits phytosanitaires».
Le STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) et le Muséum national d'histoire naturelle ont étudié le phénomène sur l'ensemble du territoire et font état d'un déclin «dans tous les milieux, et clairement en chute libre dans le milieu agricole», avançant que «les oiseaux communs des milieux agricoles ont perdu 33% de leurs effectifs depuis 2001».
«Il y a tout un cortège, comme l'alouette des champs, la fauvette grisette, le bruant proyer. D'autres espèces, de type gallinacé, la perdrix rouge, la perdrix grise. Des espèces de rapaces, comme le busard cendré, le busard Saint-Martin, le faucon crécerelle, c'est un cortège assez large», énumère Jeremy Dupuy, chargé de recherche à la Ligue pour la Protection des Oiseaux.
«Sans insectes et sans pollinisateur, l'agriculture est morte», avertissait, le député LREM Jean-Baptiste Moreau, le «M. Agriculture» de l'Assemblée dans une précédente interview, car les produits phytosanitaires ne remplacent pas la pollinisation:
«L'ensemble de la biodiversité est menacée par les pesticides, mais pas seulement. Par la monoculture aussi, la culture de céréales et la diminution des rotations, la disparition des haies, des forêts.»
«On pourrait parler de la bétonisation, aujourd'hui c'est 22 m² par seconde qui s'en vont en bétonisation en France», s'insurge Benoit Vignaux, exploitant agricole dans les Deux-Sèvres. «Tous les sept ans, c'est un département français qui s'en va», rappelle-t-il: «Il y a eu des excès, c'est sûr, dans les trente glorieuses, et même après ou il fallait absolument produire. Aujourd'hui, on a divisé par je ne sais combien la quantité d'insecticides.»
Les raisons du déclin des oiseaux dans les campagnes sont «multifactorielles», consent Jeremy Dupuy, chargé de recherche à la Ligue pour la Protection des Oiseaux, après le «buzz» créé par la publication dudit communiqué. «On n'est pas dans une logique de dénoncer les agriculteurs, mais plus dans une optique globale», souhaite-t-il rappeler.
«Je pense que les agriculteurs sont victimes de ce modèle-là, parce qu'eux aussi subissent les conséquences de l'utilisation des insecticides par la déclaration de certaines maladies.»
Sauf qu'après la décision de l'Union européenne en novembre 2017 de renouveler la licence du glyphosate pour cinq ans, la promesse d'Emmanuel Macron de l'interdire en France «dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans» ne sera pas inscrite dans la loi.
«Je crains que ce courage politique soit éteint par le lobby de la grosse production agricole», soupire Jean-Michel Passerault, président du Groupe ornithologique des Deux-Sèvres. «Quand on veut protéger les oiseaux, il faut travailler avec les agriculteurs. On a de bons contacts. Mais il y a un lobby, celui de l'agriculture très productiviste qui, semble-t-il, a ses entrées au gouvernement», poursuit-il.
Si l'agriculture «productiviste» est pointée du doigt, les agriculteurs «ordinaires», comme Jean-Pierre Clipet, sont furieux: «Ça devient récurrent, on a toujours des communiqués à charge contre l'agriculture, donc forcément contre nous, les agriculteurs», fait savoir cet éleveur et exploitant agricole du Pas de Calais.
«On a l'impression que certains députés considèrent qu'on bafoue le travail, on ne respecte pas la nature ou l'environnement, alors que c'est le cœur de notre métier», confie-t-il.
À la question de savoir si les oiseaux ont bel et bien déserté ses parcelles, l'agriculteur répond que, sans avoir changé ses pratiques, il constate «des changements de comportements» dans la faune environnante. Par exemple, «Quand je me suis installé, on voyait un couple de cygnes passer. Aujourd'hui, c'est presque à chaque coin de parcelle qu'il y a un couple nicheur», constate-t-il.
«Ce qu'on ressent surtout ce sont des changements de météo, et des faits de plus en plus marqués et brutaux, des passages de sécheresse, des passages vraiment humides, des orages fort marqués.»
Ces perturbations climatiques sont actuellement en cours d'étude, pour comprendre leur impact sur les oiseaux. Ce que l'on constate déjà, c'est que «leur retour doit coïncider avec l'explosion des insectes pour qu'ils puissent se nourrir, et s'il y a un coup de froid, sans insectes, ils se retrouvent sans nourriture et cela peut avoir un impact», explique Jérémy Dupuy.
Les messages semblent on ne peut plus contradictoires, avec la loi Élan en faveur de l'accélération de l'urbanisme au détriment de la lutte contre l'artificialisation des sols, la date de sortie du glyphosate ou encore l'arrivée de tonnes de viandes sud-américaines aux normes sanitaires moins contraignantes. Et si ces thématiques passent d'un ministère à l'autre, en réalité tout est lié.
«Aujourd'hui, il n'y a pas grand-chose qui sort des états généraux de l'alimentation», constate de son côté Benoit Vignaud. «Cette Loi pour la reconquête de la biodiversité [votée en 2016] pour l'instant, c'est difficile de faire le bilan… puisqu'on a surtout passé beaucoup de temps à réorganiser les structures, à en créer de nouvelles», constate M. Passereau.
Des solutions pour une nouvelle agriculture existent, à contre-courant du modèle actuel. Feront-elles leurs preuves? Il restera toujours à résoudre d'autres facteurs comme le réchauffement climatique, la bétonisation, la chasse de plus en plus accessible et qui est encore autorisée à tuer des espèces en déclin. Quelle volonté politique dépassera les clivages?