Sénateur russe: la loi fake news sera «dirigée contre le pluralisme d’opinion»

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Les médias russes, accusés d’avoir propagé des rumeurs sur Macron durant la campagne présidentielle, sont dans le collimateur de la loi sur la «manipulation de l’information». Alekseï Pouchkov, sénateur russe et journaliste de formation, commente pour Sputnik cette loi et le phénomène des fake news, omniprésent… et bien souvent anglo-saxon.

L'examen à l'Assemblée nationale de la loi sur les «fausses informations» ou «manipulation de l'information» —quel que soit son nom- a fait couler beaucoup d'encre ces derniers jours, jusqu'au renvoi de son examen, sans doute courant juillet. Il faut dire que la «labellisation» ou encore de la «certification» des sources d'informations par l'État a de quoi interpeller les députés comme certains de nos confrères.

«Bien sûr je me méfie […] parce que je pense que ce type de loi peut être utilisé à des fins de guerre informationnelle»,

commente à Sputnik Alekseï Pouchkov. Ancien député de la Douma, actuel président de la Commission sénatoriale sur les médias, lui-même journaliste, ce Sénateur russe francophone est bien placé pour parler de la Loi sur la «manipulation de l'information». Sputnik a donc profité de son passage à Paris pour le faire réagir sur ce texte et sur les «fakes news» d'une manière générale.

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Il faut dire que, à en croire les débats parlementaires, les médias russes font partie des cibles toutes désignées de cette future loi voulue par Emmanuel Macron, qui depuis la campagne présidentielle clame être victime d'«ingérences» fomentées par le Kremlin et ses médias «de propagande» (vos serviteurs, ndlr).

La Loi sur la «manipulation de l'information» concerne les périodes électorales, élargies à trois mois avant les scrutins. Le temps des élections, une période que l'on présente, depuis celle manquée d'Hillary Clinton aux États-Unis, comme propice aux «ingérences» russes.

C'est en effet ce scrutin réputé «imperdable» pour la candidate Démocrate qui a lancé la mode d'accuser la Russie de tous les maux. Rappelons d'ailleurs que la candidate malheureuse à l'investiture suprême n'avait rallié à sa cause que 200 journaux américains contre 6 pour son adversaire, suivant le décompte de Jean-Bernard Cadier, correspondant de BFMTV à Washington…

Reste cependant à savoir si l'exécutif entend protéger les Français autant de nos prétendues «fake-news» que de celles d'autres médias étrangers pourraient commettre? Pour Jean-Luc Mélenchon, la réponse est clairement non: «Le sujet est très simple: allons-nous interdire Russia Today et Sputnik et quand? Il n'y a pas d'autre sujet!» résumait à l'Assemblée, le chef de file des députés de la France Insoumise (LFI), pointant du doigt des «consignes données par les Nord-américains» aux Européens, mettant par ailleurs en doute l'impartialité de cette surveillance des médias étrangers:

​Un point sur lequel Alekseï Pouchkov rejoint le sénateur LFI. Pour lui, peu de chances qu'une telle loi —si elle était adoptée en l'état- viserait à contrer certaines «manipulations d'informations» venues des médias anglo-saxons. Comme l'estime le député russe, en France et en Europe, «la presse américaine est considérée comme la presse d'un pays allié.»

«En principe, je crois que les lois contre la manipulation de l'information- dans le monde occidental —si elles sont adoptées, vont être dirigées contre le pluralisme d'opinion et contre l'information alternative.»

Une confiance de principe accordée à ces médias anglo-saxons qui étonne le Sénateur. Ce dernier évoque ainsi les «grands mensonges» à laquelle cette presse a été mêlée, comme notamment la possession d'armes de destruction massive par Saddam Hussein, menant au déclenchement de la Seconde guerre du Golfe en 2003 ou encore dans le cas de l'intervention de l'Otan en Libye en 2011.

Une presse anglo-saxonne «extrêmement manipulatrice», mettait-il déjà en garde la veille de notre interview, lors d'une conférence organisée par l'association Alliance Franco-Russe au Centre Russe pour la Science et la Culture.

Car, au delà de la manipulation d'information de laquelle le gouvernement français dit vouloir préserver les Français en contexte électoral, les «manipulations d'informations» deviennent omniprésentes dès lors qu'on aborde les grands dossiers internationaux.

Celles-ci peuvent notamment prendre la forme d'omissions, lorsque les médias occidentaux ne relaient les crimes que d'un seul camp, passant sous silence ceux de l'autre.

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Le sénateur évoque ainsi le cas de l'Ukraine et le silence entourant la quarantaine d'opposants au mouvement «Euromaïdan» tués à Odessa le 2 mai 2014, soulignant par ailleurs «le mensonge d'un pouvoir démocratique en Ukraine, qui est en fait le résultat d'un coup d'État effectué en février 2014». Et ce d'autant plus que les Occidentaux avaient parrainé et avalisé l'accord de sortie de crise entre le gouvernement du Président Viktor Ianoukovytch et ses opposants la veille de son renversement.

«Les évènements en Ukraine ne sont pas couverts d'une manière correcte par les médias occidentaux. Il y a toujours un biais politique très prononcé, comme si l'Ukraine avait une immunité de la critique, tout juste parce qu'elle veut se détacher de la Russie et rejoindre l'OTAN.»

Autre exemple mis en avant par Alekseï Pouchkov, la guerre en Syrie, où le phénomène est d'une ampleur bien plus importante. Le sénateur revient notamment sur la manière dont le caractère radical des groupes d'opposition —signalé de longue date par la Russie- avait été dénoncé par les médias occidentaux comme de la «propagande» de Moscou.

Toutefois, Alekseï Pouchkov note une «évolution récente» de ces médias sur ce point.

«Assad, quoi qu'on dise, n'est pas l'ennemi de l'Occident. L'État islamique est l'ennemi de l'Occident. C'est évident, ils ont coupé les têtes de journalistes américains. Faut-il encore des preuves?»

Allusion à James Foley et Steven Sotloff, deux journalistes américains kidnappés en Syrie puis exécutés par un djihadiste britannique de l'État islamique en septembre 2014. Notons d'ailleurs que six mois après l'enlèvement de James Foley dans la province d'Idlib en novembre 2012, le renseignement syrien fut pointé du doigt dans la presse occidentale suite aux accusations du directeur du Global Post, l'un des journaux pour lequel le journaliste travaillait.

Mais selon Alekseï Pouchkov l'omission n'est pas le mode de manipulation de l'information: il regrette la manière dont sont surexploitées certaines «sources douteuses», comme lors de l'affaire Skripal ou encore le cas de la prétendue attaque chimique de la Douma, à l'origine des frappes américaines, britanniques et françaises du 14 avril dernier. «On n'a jamais trouvé un seul cadavre!» lâche Alekseï Pouchkov, qui rappelle que la seule chose qu'on a vue ce sont des gens s'aspergeant d'eau sur une vidéo…

«C'était un fake, accompli par les Casques blancs et reproduit en masse dans la presse occidentale!»

Pour en revenir au contexte de politique intérieure et ainsi au cadre de cette future loi «fake-news», taillée sur mesure pour contrer l'influence des «agences de propagande», rappelons que là encore les médias américains ne sont pas en reste. Toujours lors de cette conférence de presse donnée au Centre Russe pour la Science et la Culture, Alekseï Pouchkov évoquait l'affaire de la «pee tape» de Donald Trump.

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Ce dossier publié en janvier 2017 par BuzzFeed, sur la base des déclarations d'un ancien membre du renseignement britannique, prétendait que les Russes étaient en possession d'une vidéo montrant un «certain nombre» de prostituées payées par Donald Trump pour uriner sur le lit de la suite présidentielle du Ritz Carlton de Moscou «où auraient séjourné les époux Obama (qu'il déteste)» afin de le «souiller».

Si ce rapport «contient des erreurs et les allégations sont non vérifiées» (dixit BuzzFeed) et pourrait selon des «sources proches du dossier» avoir été financé par le camp Clinton durant la campagne, l'information fait les gros titres de la presse. Une «manipulation évidente», s'emporte le Sénateur, critiquant la manière dont les journalistes américains s'étaient cachés derrière leurs sources… plus ou moins fiables.

«Quand je compare la presse américaine d'antan à la presse américaine d'aujourd'hui, je vois que ce n'est pas la vérité qui est leur but. Leur but est d'avaliser une ligne politique qu'ils ont choisie. S'ils sont contre Trump, ils disent un tas de bêtises contre Trump.»

Des manipulations d'information à des fins politiques, un phénomène que l'on n'observe pas forcément pour justifier des interventions armées (Kosovo, Irak ou Libye hier, Ukraine, Syrie aujourd'hui) ou déstabiliser un adversaire lors d'une élection qu'aux États-Unis, mais également en France.

Comme le soulignait justement Libération, la plupart des «fake-news» durant la présidentielle françaises dont les médias russes étaient accusés «émanait […] plutôt de médias français» et pas forcément des médias à la réputation sulfureuse. Quant à l'accusation de propager des fausses informations —comme dans le cas d'un supposé compte aux Bahamas d'Emmanuel Macron- celle-ci avait en fait été relayée sur les réseaux sociaux par des twittos ayant pour habitude de partager nos articles, mais n'avait jamais figuré dans nos colonnes. Des fake news, en somme. Ce n'est finalement pas très grave, puisque

«C'est ça le danger de la manipulation et des "fake-news". Les "fake-news", c'est une information manipulée, construite à des fins politiques concrètes et précises, afin de les obtenir. Quand ces buts politiques sont atteints, cela n'a plus d'importance que cette information soit démentie.»

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