Aquarius: une vague de critiques plus que de migrants en France et en Europe

© REUTERS / Antonio ParrinelloAquarius
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La crise migratoire revient au cœur de l’actualité. Le refus de Malte et de l’Italie d’accueillir l’Aquarius, navire d’une ONG française, pour débarquer 629 migrants, le silence de Paris et la décision de Madrid d’accueillir ces réfugiés ont créé des tensions entre les pays européens qui se reflètent au sein de l’échiquier politique français.

Les 629 migrants secourus par l'Aquarius, un navire affrété par l'ONG française SOS Méditerranée, pourront débarquer sains et saufs dans le port de Valence, en Espagne. C'est ce qu'a annoncé le nouveau chef de l'exécutif espagnol le 11 juin dernier, mettant fin à une situation embarrassante pour l'Europe.

«J'ai donné des instructions pour que l'Espagne accueille le navire #Aquarius dans le port de Valence. C'est notre devoir d'offrir à ces 600 personnes un lieu sûr. Nous respectons nos engagements internationaux en matière de crises humanitaires.»

Le navire, battant pavillon gibraltarien, était bloqué entre Malte et l'Italie depuis deux jours, après le refus de Rome et de La Valette de laisser le bâtiment accoster dans leurs ports. La veille, Matteo Salvini, le flamboyant ministre de l'Intérieur italien et figure de proue de la Lega (ex-Ligue du nord), avait dans un premier temps menacé d'interdire l'accès aux ports pour les opérations de sauvetage de migrants, avant de mettre sa menace à exécution face au refus de Malte d'accueillir les rescapés de l'Aquarius.

«À partir d'aujourd'hui, l'Italie commence à dire NON au trafic d'êtres humains, NON au business de l'immigration clandestine. Mon objectif est de garantir une vie sereine à ces gens en Afrique et à nos fils en Italie.»

«VICTOIRE! 629 migrants à bord du navire Aquarius en direction de l'#Espagne. Premier objectif atteint! #FermonsLesPorts»

Le gouvernement maltais, rappelant que la mission dépendait d'un centre de coordination des secours situés en Italie, avait en effet opposé à Rome une fin de non-recevoir, déclenchant un «blocus italien», selon les mots de l'éditorialiste Laurent Marchand.

Un canot de migrants en Méditerranée - Sputnik Afrique
Ce que l’on sait sur le sort des 629 migrants bloqués en mer Méditerranée
Une situation enlisée, qui a rapidement fait le tour des pays européens pour tenter de trouver une solution. Si l'ironie du gouvernement belge, qui déclarait que la Belgique «n'a pas de port en Méditerranée», n'a pas beaucoup fait rire, les responsables politiques français n'ont apporté ni humour ni solution aux problèmes de l'Aquarius.
Sur cette question comme sur celle de l'accueil des migrants en général, le spectre politique dans son ensemble réagit en effet de trois manières différentes, reflétant les clivages qui traversent la France, comme nombre d'autres pays occidentaux.

Tout d'abord, il y a ceux quoi soutiennent sans ambiguïté la décision du ministre de l'Intérieur italien. Ce sont les souverainistes et l'extrême-droite, alliés à la Lega au Parlement européen sous la bannière de l'Europe des Nations et des Libertés (ENL), ainsi que quelques personnalités connues pour être à droite des Républicains.

Tant le Rassemblement National (RN, ex-FN) de Marine Le Pen que Debout la France (DLF) ont approuvé la décision «salutaire» ou «courageuse» de leur allié italien de refuser l'accès aux ports italiens à l'Aquarius.

​Les deux principales figures de l'extrême-droite et de la droite souverainiste ont également mis l'accent sur le rôle des «mafias» et des «passeurs» dans le flux migratoire du sud vers le nord de la Méditerranée pour justifier le renvoi des migrants vers la Libye, d'où ils sont le plus souvent partis.

​Chez Les Républicains, la ligne ne semble pas clairement définie. Plusieurs personnalités connues pour se situer à la droite du parti, à l'instar d'Éric Ciotti, ont catégoriquement refusé l'idée que l'Aquarius soit détourné vers un port français. Le député des Alpes-Maritimes estimait sur CNEWS que

«La solution évidente, c'est le retour vers les côtes tunisiennes ou vers les côtes libyennes. Aujourd'hui, l'Europe doit dire très clairement "Les bateaux retournent vers le point de départ des migrants". […] C'est la fermeté qui est gage d'humanité.»

La porte-parole du parti de droite, Laurence Sailliet, abondait dans ce sens et reprenait des arguments de l'extrême-droite sur RTL le 12 juin en estimant qu'«accepter ce bateau» reviendrait à «cautionner le travail des passeurs» et à créer un appel d'air pour de prochains migrants.

À l'inverse, les différents mouvements classés à gauche de l'échiquier politique ont quant à eux salué la décision de Pedro Sanchez d'accueillir les 629 migrants. Rapidement après l'annonce du Premier ministre espagnol, Benoît Hamon s'est exprimé via Twitter pour remercier Madrid de «faire simplement [son] devoir d'humanité», tout en taclant Rome pour son blocus, mais aussi Paris pour son inaction.

​La députée Nouvelle Gauche de Paris, George Pau-Langevin, a rejoint la position du candidat PS à la présidentielle:

​Les membres de la majorité présidentielle qui se sont exprimés à ce sujet penchent clairement à gauche et fustigent leur exécutif pour son silence total sur le sort de l'Aquarius. Dans une déclaration malheureuse et assez peu diplomatique, le porte-parole du parti LREM a dit de la décision de monsieur Salvini qu'elle était «à vomir» et a ajouté qu'il n'imaginait pas «que la France ne participe pas à trouver une solution humanitaire pour ce bateau».

​Anne-Christine Lang, députée de la majorité à Paris, a exprimé son regret quant à l'inaction de la capitale (pourtant, à l'instar de la Belgique, dépourvue de port méditerranéen). Pieyre-Alexandre Anglade, député à l'Assemblée nationale des Français du Benelux, a jugé que le silence du gouvernement allait à l'encontre des valeurs européennes.

​Il est vrai que le silence gouvernemental et présidentiel au sujet de l'Aquarius est d'autant plus assourdissant que l'Élysée s'était saisi avec célérité du cas de Mamoudou Gassama, le migrant clandestin malien qui avait sauvé un enfant au péril de sa vie. C'est qu'au-delà de ce cas propre à émouvoir les seuls Français, Emmanuel Macron, qui se pose en chef de file européen, sait qu'il est de plus en plus isolé. Sur les dossiers relatifs à la crise migratoire, il a beau avoir le soutien d'Angela Merkel, cette dernière est en difficulté sur le plan intérieur et, ensemble, ils font face à l'opposition des pays du nord de l'Europe, de celle du groupe de Višegrad ainsi que de l'Autriche et de l'Italie.

Et à moins d'un mois du prochain sommet européen les 28 et 29 juin prochains, la crise migratoire est un enjeu crucial sur lequel il n'existe aucun consensus et, face à la pression des électorats et des pays membres opposés à l'idée d'accueillir des réfugiés, le silence du gouvernement français est peut-être la meilleure stratégie pour sauver les meubles.

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