«Avant 2016, on ne criminalisait pas, parce qu'on n'avait peut-être pas tout à fait pris conscience du danger de Daech.»
Les récents propos de François Molins, procureur de la République de Paris, font froid dans le dos. Interviewé par Ruth Elkrief sur BFMTV, le magistrat peine à se montrer rassurant lorsque la journaliste l'interroge sur les chiffres d'une étude du Centre d'analyse du terrorisme (CAT) récemment publiée, faisant état de la libération d'ici 2020 de pas moins de 115 condamnés pour terrorisme.
Rapport @CAT_Centre sur la justice pénale face au djihadisme #Syrie #Irak (2014-2017): Date théorique de sortie (65% des condamnés, soit 115 personnes, auront purgé leur peine d’ici 2020) pic.twitter.com/7O4tVqzDqd
— CAT (@CAT_Centre) 25 mai 2018
«Une vingtaine en 2018, une vingtaine en 2019» corrige François Molins, mettant en avant le «risque de se tromper» en avançant un «chiffre précis». Le Procureur tente de rassurer les Français en indiquant que le parquet de Paris a obtenu de l'administration pénitentiaire la date de libération d'un terroriste 18 mois à l'avance, ce qui peut permettre de les «suivre encore pendant quelques mois» après leur sortie. François Molins se fait insistant quant à la nécessité d'un «travail très coopératif» entre «l'ensemble des acteurs» (administration pénitentiaire, services de renseignement, préfectures, acteurs judiciaires et parquet) afin de «prévenir le plus possible les risques de récidive.»
«C'est un enjeu majeur, car on court un risque majeur de voir sortir à l'issue de leur peine des gens qui ne seront pas du tout repentis, qui risquent même d'être encore plus endurcis compte tenu de leur séjour en prison»,
ajoute le magistrat, une mise en garde à peine voilée contre la menace «endogène» que représentent ces individus pour la société française. Un risque que confirme à BFMTV, à la suite de cette interview, Jean-Charles Brisard, directeur de la fameuse étude du CAT:
«On sait par expérience que tous ceux qui sont impliqués sur des théâtres d'opérations d'organisations terroristes ont toujours eu des conséquences pour la sécurité de notre pays à terme.»
Des djihadistes remis en liberté après «avoir purgé leur peine», un élément supplémentaire qui vient assombrir le tableau d'une France particulièrement frappée par l'islamisme intégriste.
Des remises en liberté d'individus à surveiller de près, qui s'ajoutent aux 20.000 fichés S pour radicalisation du FSPRT (Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste) déjà difficiles à surveiller ou encore aux «revenants»… ces Français partis par centaines rejoindre l'État islamique au Levant et qui en appellent aujourd'hui aux autorités françaises pour être rapatriés et jugés en France plutôt qu'en Irak et en Syrie, où ils encourent parfois la peine de mort.
Des revenants «à qui nous avons largement ouvert la porte, à eux et leurs familles» regrette Alain Marsaud, chef du service central de lutte antiterroriste au parquet de Paris dans les années 80.
S'il «ne veut pas désespérer ses compatriotes», l'ancien magistrat est peu confiant quant à l'avenir, à moins d'une mobilisation massive et inédite de la population, ce en quoi il ne croit pas.
«Il n'y a rien à faire, sauf souffrir, s'apprêter à souffrir et expliquer aux citoyens qu'ils vont souffrir,» déclare à Sputnik, Alain Marsaud avec amertume.
Pour lui, «il n'y a plus grand-chose à faire, le mal est fait»: malgré l'activité et l'inventivité du législateur ces dernières années afin de tenter de parer au mieux la menace islamiste sur le territoire national, les jours sombres restent devant nous.
«J'estime que nous n'aurons pas les moyens, aujourd'hui ni demain, de régler ce problème. Car, nous sommes devant un phénomène criminel et terroriste de masse à l'égard duquel un état démocratique et républicain —auquel nous sommes tous très attachés d'ailleurs- n'est pas capable, n'a pas les moyens, n'aura jamais les moyens de régler ce genre de situation. Donc je dis à mes compatriotes, nous en avons pour quelques années et il va falloir s'habituer à souffrir…»
Des propos qui rappellent ceux d'Emmanuel Macron. À quelques jours du premier tour des présidentielles, le candidat d'En Marche déclarait sur le plateau de l'émission «15 minutes pour convaincre» (France 2), que «cet impondérable, cette menace, elle fera partie du quotidien des prochaines années». Durant cette émission, une attaque terroriste avait eu lieu sur les Champs-Élysées, coûtant la vie au policier Xavier Jugelé.
Nous vivons et vivrons durablement avec la menace terroriste. #RTLMatin
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 21 avril 2017
Pour Alain Marsaud, ce sont justement les politiques «présents, passés et à venir», qui sont les principaux responsables de cette situation, par leurs «choix hasardeux», tant en politique intérieure qu'extérieure et surtout leur «grande lâcheté»:
«Personne ne veut nommer l'ennemi. Quand vous entendez nos responsables politiques, que ce soient les anciens ou les nouveaux, on ne doit pas parler d'Islam, d'islamisme, etc. Souvenez-vous que M. Hollande, lui-même Président de la République, avait interdit à ses ministres d'utiliser le terme d'État islamique, parce que c'était de nature à stigmatiser une religion, donc on a inventé Daech.»
«L'acceptation des communautarismes sous toutes formes» ainsi que la «peur» de leur «résister» sont clairement deux points où les décideurs politiques ont, selon Alain Maraud, péché par manque de courage.
«Regardez, quels sont les pays qui sont aujourd'hui les plus frappés [par le terrorisme islamique, ndlr]? Globalement c'est l'Allemagne, la Belgique, la Grande-Bretagne et nous: les pays qui ont accepté le communautarisme, même lorsqu'ils prétendent le contraire.»
La France reste, comme le soulignait en janvier le CAT «le pays le plus visé en Europe occidentale» avec 5 attentats, 6 tentatives et 20 projets d'attentats en 2017. La France, également première pourvoyeuse européenne des filières djihadistes avec 2.370 ressortissants impliqués (contre 1.700, 960 et 749 pour respectivement la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la Belgique, pour ne reprendre que les quatre pays cités par Alain Marsaud et reprendre les chiffres du mois de novembre 2017 du CAT.)
Dans ce contexte de menace terroriste, une note du Service central de renseignement territorial (SCRT), dont Le Parisien s'est fait écho le 26 mai, met en garde contre la «porosité […] avérée» qu'il existe entre le salafisme «quiétiste»- opposé à la violence- et celui des partisans du djihad.
Le SCRT évoque la «corrélation» effectuée par les Services de renseignements entre «les territoires marqués par une forte influence rigoriste et ceux gangrenés par l'économie souterraine.» Un constat qu'avait également dressé le JDD, deux semaines avant leurs homologues du Parisien. Reprenant le travail du SCRT, le journal évoquait le cas d'un quartier sensible de La Verrière (Yvelines) qui, selon le Renseignement, vivrait «sous emprise» des rigoristes de l'Islam (via une «police des bonnes mœurs» et le concours d'associations).
On notera que l'article vaudra au JDD de s'attirer les foudres de la maire communiste, Nelly Dutu. L'élue reprochera notamment au journaliste d'«avoir pris pour argent comptant ce que lui auraient dit les renseignements généraux.»
«Nous sommes impuissants devant ce qui est en train de se passer à l'égard du phénomène salafiste, qui étend son contrôle sur une bonne partie des banlieues»,
Estime l'ex-magistrat, qui évoque notamment le cas de l'ancien bastion du candidat socialiste à la présidentielle, Benoit Hamon. Trappes, une ville d'où quatre-vingts jeunes ont rejoint les rangs de l'État islamique et qui, comme le soulignent deux journalistes du Monde dans un livre (La Communauté, Éd. Albin Michel, 2018), est passée en 50 ans des «cocos» aux «barbus».
«Lorsqu'on doit virer un imam qui tient des propos particulièrement violents, la Cour Européenne des Droits de l'Homme annule la décision. Donc, du coup, on fait très attention aux décisions administratives d'expulsion et en plus on a les pays d'origine de ces imams qui ne veulent pas les récupérer, ce qui fait que nous ne savons pas quoi faire», déplore Alain Marsaud.
Une allusion à l'expulsion vers l'Algérie de l'imam d'une mosquée salafiste marseillaise, El Hadi Doudi en raison de ses prêches particulièrement violents. Une mosquée fermée sur décision du Conseil d'État. Si l'expulsion a bien lieu, la CEDH a suspendu son application quelques jours afin de «statuer sur le fond du dossier». Comme le résume d'ailleurs le JDD, le religieux fondamentaliste avait «réussi à asseoir son autorité sur tout un quartier et au-delà, bien qu'au bout de plus de trente-cinq ans de présence, il ne parle pas français, et vive depuis 1992 du versement des minima sociaux.»
«Nous sommes en présence d'une grande lâcheté, ce pays est lâche et bien il va falloir l'assumer,» conclut Alain Marsaud.