Suppression de l’«Exit tax»: le cadeau de Macron qui passe mal

© Sputnik . Sergey Guneev / Accéder à la base multimédiaEmmanuel Macron
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Emmanuel Macron, serait-il parvenu à faire l’unanimité contre lui? C’est ce que pourrait réussir la possible suppression de l’«Exit-tax», un dispositif anti évasion fiscale, loin d’être une spécificité française. Une décision particulièrement surprenante dans un pays européen, restant sur le podium des régimes fiscaux les plus lourds au monde.

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Grosse polémique suite à la parution de l'interview en anglais d'Emmanuel Macron dans le magazine Forbes. Non à cause de la couverture du bimensuel américain — où le Président français apparaît tout sourire —, barré du titre «leader des libres marchés», mais de l'annonce d'une possible suppression en 2019 de l'«Exit tax», un dispositif de lutte contre l'évasion fiscale, qui enverrait selon-lui un «message négatif» aux entrepreneurs ainsi qu'aux investisseurs souhaitant s'installer temporairement en France.

Une annonce, en plein 1er mai qui a fait bondir autant à gauche qu'à droite, les uns et les autres dénonçant «une fleur faite aux plus riches» ou encore une mesure confortant l'image d'un «président bookmaker». Au-delà d'être une «énorme erreur politique», l'avocate fiscaliste Virginie Pradel voit dans cette possible suppression de l'«Exit tax» une mesure non seulement peu justifiable, mais surtout complètement contre nature.

«Supprimer ce dispositif revient à dire à ces investisseurs "vous pouvez encore être moins taxé à l'étranger", ce qui est totalement inacceptable! Faire de l'attractivité fiscale, c'est dire aux gens "venez en France", ce n'est pas dire aux investisseurs français "vous pouvez partir à l'étranger pour être moins taxés".»

Fondatrice de l'institut fiscal Vauban, Virginie Pradel était pourtant l'une des premières à saluer certains allègements fiscaux entrepris par le nouvel exécutif: réforme de l'ISF, prélèvement forfaitaire unique. Des mesures qui visaient à diminuer l'imposition des investisseurs en France. Pour cette fiscaliste, le rapprochement qu'effectue le Président Macron entre encourager la fibre entrepreneuriale dans l'Hexagone et la suppression de ce «dispositif anti-abus» n'apparaît pas si évident:

«C'est absurde, la plupart des investisseurs sont situés à l'étranger. Aujourd'hui, plus de 50 % des participations dans les sociétés françaises sont détenues par des fonds ou des investisseurs étrangers. Ces personnes n'ont absolument pas besoin d'être résidents fiscaux français pour investir […] Je ne vois pas pourquoi ces personnes auraient subitement à venir en France… elles ne l'étaient pas.»

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Une décision du chef de l'État, qui pour l'avocate tient au mieux de l'«angélisme fiscal», au pire d'un «appel à l'exil fiscal», rappelant l'«extrême mobilité» des contribuables, d'autant plus que l'«Exit tax» est loin d'être une spécificité française, le Président français allant donc à contre-courant de nos voisins européens.

Comme le souligne Virginie Pradel, des dispositifs similaires à celui visé par Emmanuel Macron — concernant les personnes physiques — ont été introduits en Europe (notamment au Danemark, en Espagne, en Norvège ou au Royaume-Uni), mais aussi dans de nombreux pays en dehors de l'UE, comme le Canada, l'Australie ou le Japon. Quant aux personnes morales, l'UE est justement sur le point de généraliser à l'espace économique européen, d'ici 2020, un dispositif de lutte contre les pratiques agressives d'optimisation fiscale de certaines multinationales, le tout via la directive ATAD (anti tax avoidance directive). «Il est tout à fait légitime que des pays préservent leur base fiscale pour l'imposer,» insiste-t-elle.

«Tous les pays protègent aujourd'hui leur base imposable, la matière fiscale, en particulier les États-Unis et l'Allemagne — des pays qui font une grosse promotion de l'entrepreneuriat — donc on voit que cela n'a aucun rapport…»

Est-il en effet nécessaire de rappeler que les méthodes de recouvrement du fisc américain, auprès de ceux qu'il estime être ses contribuables, peuvent parfois faire relativiser les pratiques de Bercy? Cependant, spécificité française ou non, comment justifier une telle décision de l'exécutif alors même que la concurrence fiscale au sein même de l'Union européenne n'a jamais été aussi rude? Rappelons que la liberté de circulation (des personnes et des capitaux) est l'un des piliers fondateurs de l'UE.

Pour Édouard Philippe, la réponse semble aller de soi. Défendant la position de son Président, le Premier ministre assure au micro de Ruth Elkrief vouloir faire de la France le pays «le plus attractif économiquement» en Europe. Une déclaration, qui a de quoi surprendre, de la part du chef de gouvernement d'un pays où la part que les impôts et cotisations sociales dans le PIB avoisine les 48 %. Un ratio recettes fiscales/PIB, qui place la France tout en haut du podium européen en matière de prélèvements obligatoires.

Une lourdeur fiscale vécue au quotidien par les Français (salariés ou chefs d'entreprises) avec laquelle vient donc dénoter cette mesure à destination des entrepreneurs et investisseurs étrangers. Ainsi, supprimer l'«Exit tax» dans un tel contexte ne «serait pas très lumineux, politiquement» estime Virginie Pradel, d'autant plus qu'au niveau fiscalité l'année 2019 sera marquée par l'entrée en vigueur du prélèvement à la source, qui amputera sensiblement le pouvoir d'achat immédiat des Français en ponctionnant immédiatement sur leur salaire, une somme qu'ils auraient pu éventuellement placer ou épargner en attendant d'avoir à payer l'impôt.

«Peut-être que cela ne défraierait pas autant la chronique si l'État en parallèle n'était pas en train de faire les poches de tous les Français en augmentant la fiscalité immobilière, écologique, ce serait plus acceptable, mais là c'est totalement inaudible, totalement incompréhensible, pour la majorité des contribuables.»

«La France n'est pas du tout en position de force» estime ainsi Virginie Pradel, soulignant que ce ne sont pas les allègements fiscaux mis en place jusqu'ici par le gouvernement, dont une flat-taxe encore «bien supérieure» à celle d'autres pays — qui feront la différence. Pour elle, «le gouvernement fait fausse route», si l'on veut renforcer l'attractivité de la France et encourager la flamme entrepreneuriale chez nos résidents fiscaux (tant physiques que moraux) c'est à la charge fiscale en vigueur dans le pays qu'il faut s'attaquer.

Des impôts qui, depuis (tout juste) un an, continuent d'augmenter dans l'hexagone. La fiscaliste dénonce ainsi un véritable «concours Lépine» des créations d'impôts concernant tout particulièrement les propriétaires, «j'ai entendu parler de la création d'une contribution citoyenne pour remplacer la taxe d'habitation, ou de la création d'une surtaxe foncière.»

«On ne manque pas d'imagination pour taxer les gens qui ne sont pas délocalisables. On ne peut pas inciter des investisseurs aisés ou les entrepreneurs à quitter la France… c'est inaudible! À un moment où l'on est quand même au bord de la jacquerie fiscale en France.»

Toujours au cours de son interview à BFMTV, le Premier ministre met — tout comme le chef de l'État — en avant le message «symbolique» et «mauvais» envoyé par le dispositif de «l'Exit tax» aux entrepreneurs, soulignant que cette mesure n'aurait dissuadé personne de partir après les augmentations d'impôts de François Hollande.

Un argument repris sur les quotidiens économiques, auquel s'ajoute celui de coûts administratifs élevés pour des rentrées fiscales faibles. Un dernier argument de mauvaise foi, selon Virginie Pradel, qui souligne le caractère dissuasif du dispositif.

«C'est un dispositif anti-abus pour céder leurs actions ou leurs obligations pour dégager une plus-value qui serait beaucoup moins taxée qu'en France. […] Il ne faut pas l'apprécier au regard de son rendement, justement il a vocation à ne pas faire de rendement, mais à désinciter les gens à quitter le territoire.»

En effet, l'«Exit tax» n'est pas un «impôt» qui cible indistinctement les contribuables fortunés décidant d'aller s'installer sous des latitudes fiscales plus clémentes, mais un dispositif qui ne s'enclenche que lorsque ceux-ci réalisent une plus-value en revendant des actions ou des obligations au cours des quinze ans qui suivent leur depart. Précisons que ce délai, initialement fixé à 5, puis 8 ans par Nicolas Sarkozy, puis étendu à 15 ans par François Hollande, est manifestement excessif. Le gouvernement pourrait légitimement le réduire à 5 ans afin de sanctionner les abus. On peut en effet supposer qu'un entrepreneur qui cede ses actions au bout de 14 ans ne quitte pas la France que pour éviter la taxation des plus-values.

«Les contribuables ciblés sont seulement soumis à la taxe, qu'ils auraient dû payer en France, s'ils cèdent leurs actions à l'étranger dans un certain délai.»

«De toute manière, c'est une imposition qui était due», précise l'avocate, qui ne cautionne pas l'image d'épée de Damoclès que véhicule ce dispositif. En effet, le montant que les contribuables concernés reversent au titre de l'«Exit tax» — en cas de plus-value — est celui qu'ils auraient eu à régler s'ils avaient vendu ces actifs au moment de leur «émigration».

En l'occurrence, depuis 2014 ce dispositif vise les personnes qui détiennent plus de 800.000 euros en actions — contre 1,3 million d'euros lors de sa réintroduction en 2011 — ou la moitié des actions d'une société.

On notera ainsi que s'ils ont à s'acquitter de cette taxe quelques années plus tard, le montant à reverser à l'État français reste fixe, même si la plus-value réalisée est bien plus importante qu'au moment de leur départ. Pour Virginie Pradel, l'exécutif surfe ainsi sur l'ignorance des Français en matière fiscale. Un paradoxe, dans un pays où l'impôt est omniprésent.

«Je trouve vraiment les justifications qui entourent la suppression de cet impôt très légères et je trouve cela assez regrettable vis-à-vis de l'ensemble des contribuables français qui sont soumis à des hausses d'impôts.»

Une suppression d'autant plus surprenante, que l'«Exit tax» n'a pas été remise à l'ordre du jour par le moins «business friendly» des Présidents (pour reprendre l'un de ces anglicismes chers à notre Président). Comme le souligne Virginie Pradel, si le dispositif est dans un premier temps retoqué par la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) après sa création en 1999 sous le gouvernement socialiste de Lionel Jospin, pour non-conformité avec les traités, il est réintroduit en 2011 par Nicolas Sarkozy.

«Ce n'était pas François Hollande, ce n'était pas un Président anti-business. C'est parce qu'il y avait vraiment des abus, il y avait des entrepreneurs français qui partaient en Belgique pour être beaucoup moins imposés qu'en France. Ce qui n'est pas tolérable vu que la valeur de cette entreprise a été créée grâce notamment à des fonds publics, à des infrastructures françaises, donc c'est un juste retour des choses.»

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Un juste retour des choses dans un pays qui, comme le rappelle la fiscaliste, n'est pas dans un système liberal: «beaucoup de start-ups sont aujourd'hui finances par l'État via la BPI, donc c'est quand même normal que l'État récupère une partie de la mise,» précise-t-elle.

«Les start-ups, rappelons-le, sont gavées d'argent par la BPI, qui sont donc financées par l'ensemble des contribuables. Je ne vois pas pourquoi ces jeunes pousses bénéficieraient de tous les avantages d'être en France — à savoir un financement public exorbitant — et partiraient ensuite à l'étranger en exonération d'impôts…»

Des entreprises qui tiennent une place toute particulière dans le cœur d'Emmanuel Macron — comme on avait pu le constater à l'occasion de la French-Tech Night à Las Vegas. Les start-ups, un cas de figure justement mis en avant par le Président lors de son interview au magazine Forbes afin d'illustrer la nécessité de supprimer ce «gros problème» pour elles qu'est l'«Exit tax». Leurs créateurs qui selon Macron «décidaient de lancer leurs projets en partant de zéro à l'étranger dans le but d'éviter cet impôt».

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