Francis Perrin, directeur de recherche à l'IRIS et spécialiste des questions énergétiques, estime vraisemblable que Riyad veuille orienter à la hausse les prix du pétrole, tout en émettant des réserves quant à la volonté de l'Arabie saoudite d'atteindre le palier symbolique des 100 $.
«Dans la période récente, l'Arabie saoudite a plusieurs raisons, des raisons internes notamment, de vouloir de prix du pétrole relativement élevé. Ce pays pense que les conditions de marché sont réunies pour que les prix du pétrole soient relativement élevés, voire un petit peu plus élevés qu'ils ne le sont actuellement, sans pour autant se fixer un objectif de prix aussi symbolique que celui de 100 $ par baril.»
De l'avis de M. Perrin, l'Arabie saoudite, qui est l'un des plus gros producteurs de pétrole au monde, a de nombreuses raisons de vouloir un prix du pétrole plus élevé, dont trois principales. La première raison pour laquelle Riyad est intéressée par une hausse du prix du baril est la hausse du revenu tiré de la rente pétrolière.
«Si le prix du baril est relativement élevé, cela veut dire qu'il y a des revenus de la rente pétrolière plus importants qui tombent dans les caisses du royaume: recettes d'exploitation supérieures et recettes fiscales —et donc budgétaires- plus importantes», explique le chercheur.
La stabilisation et la pérennisation économique de l'Arabie saoudite passent par un rééquilibrage des comptes, que seule la manne pétrolière est en mesure de financer.
La seconde raison pour laquelle Riyad a, comme l'expliquait une source de l'OPEP à Reuters, «besoin de prix plus élevés» est le financement des réformes ambitieuses du prince héritier Mohamed Bin Salmane sur le plan intérieur. Une analyse partagée par M. Perrin qui expliquait que
«L'Arabie saoudite, en matière de prix du pétrole, a donné la priorité à des facteurs intérieurs qui sont essentiels pour le régime saoudien et pour le prince héritier qui a engagé des projets importants. Ces projets sont prioritaires pour le prince héritier et ils nécessitent des prix du pétrole relativement élevés.»
Parmi les réformes engagées par Mohamed Bin Salmane, une des plus importantes est le «plan de diversification de l'économie "Vision 2030" pour l'Arabie saoudite». Le but affiché est de permettre à Riyad de sortir de sa dépendance économique aux énergies fossiles avant le fameux «peak demand», moment à partir duquel la demande en hydrocarbures cessera de croître du fait de la transition énergétique.
«Dans ce plan il est prévu de faire monter en puissance d'autres secteurs de l'économie. Pour ce faire, il faut des moyens financiers importants pour permettre justement cette montée en puissance.»
Enfin, cette volonté de pousser à la hausse le prix du pétrole n'est pas dénuée d'arrière-pensées boursières:
«La troisième raison est la volonté de Mohamed Bin Salmane de privatiser —à hauteur de 5% seulement, mais symboliquement c'est très important- la compagnie pétrolière nationale Saudi Aramco.»
Alors, si un prix élevé intéresse autant l'Arabie saoudite, pourquoi Riyad ne pousse-t-elle pas pour un baril à 100 dollars? Selon Francis Perrin, plusieurs facteurs, par exemple l'irruption sur le marché des pétroles non conventionnels (principalement le gaz de schiste) venant des États-Unis, ont acquis suffisamment d'importance pour empêcher l'Arabie saoudite de déterminer entièrement le marché pétrolier.
«L'Arabie saoudite a souvent expliqué qu'elle ne visait pas un prix du pétrole en particulier. En effet, le prix du pétrole optimal sur le marché mondial à un moment donné, est lié à certaines conditions du marché mondial; conditions sur lesquelles l'Arabie saoudite peut avoir une influence, mais qu'elle ne peut pas complètement déterminer.»
Entre 2011 et début 2014, les prix du baril dépassaient les 100 dollars, ce qui a eu pour effet de rendre rentable l'exploitation du gaz de schiste américain, car comme le souligne le directeur de recherche à l'IRIS, «plus les prix du pétrole sont élevés, plus cela permet aux compagnies pétrolières américaines de rentabiliser l'exploitation» d'hydrocarbures domestiques.
«Si les prix augmentent de façon trop forte, trop importante, cela poussera encore davantage à la hausse la production américaine de pétrole non conventionnel.
[…] Cela pourrait entraîner une sanction pour les pays exportateurs de pétrole comme on l'a vu avec la chute des prix à partir de l'été 2014.»
Pour M. Perrin, il est important pour Riyad de «conserver un équilibre» entre un prix haut, favorisé par une demande en hausse et une production limitée, ce qui sert les intérêts des pays producteurs, et un prix bas qui empêche la rentabilité des pétroles non conventionnels et permet une meilleure maîtrise de l'offre.
«L'Arabie saoudite est convaincue que les prix ont encore un potentiel de hausse, mais qu'il est en partie liée à des aspects géopolitiques que personne ne peut maîtriser. Elle ne pense pas qu'aujourd'hui les conditions sont forcément réunies pour atteindre 100 $ par baril, mais peut-être, sur l'année 2018, une fourchette de l'ordre de 70 à 80 $ par baril est quelque chose qui semble assez réaliste.»
D'autant plus qu'une augmentation des prix du pétrole bénéficie à l'ensemble des pays producteurs, y compris à l'Iran, grand rival régional de l'Arabie saoudite et considéré par Riyad comme sa principale menace.
«Plus de recettes pétrolières pour l'Iran, cela veut dire augmentation de la capacité de nuisance de ce pays et de son potentiel de déstabilisation au Moyen-Orient.»