Macron: au nom du père, du fils… et du communautarisme?

© Sputnik . Alexey Vitvitsky / Accéder à la base multimédiaEmmanuel Macron
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Le 9 avril à Paris, le chef de l’État a déclaré au cours de la Conférence des évêques de France vouloir «réparer» le lien entre l’Église et l’État, qui «s’est abîmé». Les critiques ont fusé tant à gauche qu’à droite, l’accusant de porter atteinte à la laïcité ou de favoriser le communautarisme. Décryptage.

«Délire métaphysique», Jeanne d'Arc fait son «come-back», «clientélisme», les critiques ont fusé de toutes parts après le discours de M. Macron au collège des Bernardin à l'invitation de la Conférence des Évêques de France. Pour son premier grand discours à l'adresse des catholiques, la date de son discours, le lundi 9 avril n'est pas anodine: l'octave de Pâques, la plus grande fête chrétienne.

«Un événement rendu possible par le climat de dialogue qui s'est instauré ces derniers mois», note La Croix. Le Président a célébré en septembre avec les protestants les 500 ans de la Réforme, a rencontré à plusieurs reprises des représentants de la communauté juive, et a rompu le jeûne du ramadan en juin dernier avec la communauté musulmane.

Le chef d'État «multiplie les gestes positifs à l'égard des religions», constate Vincent Neymon, directeur de la communication de la CEF, cité par Le Point. Des gestes positifs, au risque de passer pour un «apôtre du communautarisme»?

«Je suis encore un peu dans le bénéfice du doute. Mais, hélas, j'en ai de moins en moins à penser que notre Président n'est pas porteur de la France, république laïque et indivisible, avec la neutralité de l'État», estime la Sénatrice Françoise Laborde, qui a obtenu en 2013 le prix national de la laïcité, suite à un projet de loi «laïcité et politique».

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Le discours de Macron devant la Conférence des évêques fait des remous sur la Toile
Un temps prévu pour fin 2017 puis début 2018, la prise de parole du chef de l'État sur la laïcité n'est plus d'actualité. Selon l'Élysée, le Président aurait déjà suffisamment esquissé sa vision dans plusieurs discours. Nommée à l'Observatoire de la laïcité en 2013, Françoise Laborde attendait avec impatience ce discours, sans pour autant avoir pu y voir plus clair, dans un texte où «il y a du bon et du pas bon»:

«Il manie bien le chaud et le froid, disant qu'on avait le droit de croire et de ne pas croire… mais il a oublié de dire qu'on avait le droit de renoncer ou changer de religion. Et ça, c'est important.»

Emmanuel Macron a mis en garde les responsables des six principales religions en décembre dernier contre une «radicalisation» de la laïcité, et résumé sa vision par «la République est laïque, mais non la société». Une position qui tranche avec son application des «codes» relatifs à certains cultes. Ainsi, ne pas avoir fait le signe de croix sur le cercueil de Johnny Halliday, mais avoir porté la kippa aux obsèques de Mireille Knoll ou encore pour avoir joint les mains lors d'une prière à Gandhi en Inde ont fait des vagues.

«Est-ce qu'il se croit obligé de faire ça pour montrer de la reconnaissance? Même sans kippa, les juifs présents auraient été contents que le Président soit présent. Est-ce qu'il joue avec les codes? Est-ce qu'il a une laïcité à géométrie variable? C'est peut-être un peu des deux.»

Si Sarkozy était un catholique revendiqué, François Hollande un laïc assumé, Emmanuel Macron est plus flou sur ses convictions. Et flou aussi dans son discours et ses objectifs, estime la sénatrice de la Haute-Garonne Françoise Laborde. En estimant que les catholiques ont un rôle politique à jouer («Votre foi est une part d'engagement dont notre politique a besoin»), Françoise Laborde y voit une certaine «préférence aux catholiques».

«Dire aux catholiques vous avez un engagement religieux, vous devriez l'utiliser à vous engager en politique, ça me gêne. Je ne crois pas l'avoir entendu dire ça ni aux juifs, ni aux musulmans, ni aux athées.»

Une déclaration doublement étonnante, car, ajoutée à l'évocation d'une Église catholique qui «accompagne» les familles homoparentales, elle a été perçue comme un acte de trahison par les partisans du mariage pour tous. Alors candidat, Emmanuel Macron estimait que la Manif pour tous avait été «humiliée» par l'ouverture du mariage et l'égalité des droits. «Je trouve ça très dangereux de réactiver des soutiens à la Manif pour tous», estime la Sénatrice:

«Il leur demande de s'engager? Mais pour quoi? Pour être vigilant aux textes qui arrivent? Mais à quoi il joue? Est-ce que d'un côté il leur dit "je suis reconnaissant de votre existence, mais vous devez appliquer les lois de la République? Ou bien ‘engagez-vous et jouez votre rôle pour que certain texte comme la PMA, la GPA, la fin de vie ne passent pas? Je ne sais pas…»

Parce que le Président a réitéré la primauté des lois de la République sur le sacré, Françoise Labrode ne pense pas qu'il veille troquer le modèle républicain pour le modèle anglo-saxon de communautarisme. Pourtant, «la question est là», admet la Sénatrice. «Pour l'instant, je n'irai pas jusque-là. Car il a dit que les lois de la République sont les plus importantes».

Dans son programme, le candidat Macron écrivait que « la confusion règne sur le sens de la laïcité et ses limites. Trop de Français confondent la laïcité et l'interdiction des manifestations religieuses —et certains font de cette confusion leur fonds de commerce». À vouloir donner l'impression d'un dialogue équitable entre tous les cultes, le Président Macron est parfois accusé de communautarisme.

«Il est tenté, sincèrement, par le modèle du multiculturalisme à la mode canadienne», estime Fatiha Boudjahlat, cofondatrice du mouvement «Viv (r) e la République», qualifiant le discours devant les catholiques «d'homélie, avec des envolées lyriques, mais qui ne trompe personne».

En se positionnant comme «un Président qui a décidé d'organiser le discours et les relations interconfessionnelles», il met fin à «tradition pluriséculaire qui ne comprend pas la laïcité. Pas par opportunisme, mais par clientélisme», poursuit Fatiha Boudjahlat, notant que « Il installe, comme pratique ordinaire, le fait de dialoguer avec les instances religieuses pour des sujets de sociétés qui concerne l'ensemble des citoyens ».

«C'est un Président multiculturaliste, un adepte de la mondialisation, du libéralisme […] On ne connaît pas ses convictions personnelles… certes! Mais on sait ce qu'il pense de la laïcité: et il n'en pense pas du bien […] Il ne s'adresse qu'aux religieux, car il souhaite leur externaliser la paix sociale».

Un avis que partage, plus modérément, Guillaume Bernard, historien du droit et politologue —, spécialiste en particulier de l'histoire des institutions et des idées politiques: «la position qui consiste à dire que la laïcité n'est pas agressive et permet l'expression de la religion […] est celle de Nicolas Sarkozy. De ce point de vue là, il a une position libérale et pourquoi pas, qui peut dériver vers une forme de communautarisme.»

«L'État pourrait se retrouver dans la position d'être arbitre des différentes religions communautarisées. Il y a une sorte de transformation à l'anglo-saxonne de la laïcité par rapport à une laïcité agressive telle qu'elle l'a été en France en 1905.»

En développant sa position récurrente du «en même temps», M. Macron «va essayer, ce que je crois parfaitement irréaliste, d'avoir un melting-pot religieux, qui serait susceptible d'apporter la paix sociale et il y a une erreur fondamentale là-dedans», conclut l'expert.

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